Accéder au contenu principal

HULK : Les origines (Fin ?)


... En ouverture de ce billet permettez-moi de récapituler les étapes précédentes.

J'ai d'abord tenté de replacer Hulk dans son temps, la Guerre froide, en insistant sur deux points.
D'une part la bombe H qui se transforme en bombe Gamma de l'autre côté du Quatrième Mur, et d'autre part la synchronicité entre l'arrivée du Dianabol (transformant durablement la pratique sportive) et celle de Hulk, mastodonte préfigurant les bodybuilders d'aujourd'hui. J'ai ensuite postulé que Buck le chien domestique qui répond à l'Appel de la forêt a été un sérieux modèle au Goliath de jade ; d'autant plus si l'on prend en compte Croc-blanc pour former un diptyque à l'instar de Hulk/Banner.

Le sang de Hulk essence de la wilderness ? - Planète Hulk
Or donc, développant ce postulat j'ai précisé que cet Appel n'était rien de moins que celui de la wilderness "cet espace intérieur de folie, hérité des Puritains" mais aussi "ces régions reculées qui suscitent crainte ou émerveillement" de l'Ouest américain. 

Ceci dit il ne faut pas oublier que le Nouveau monde est scarifié par une vision alchimique, hérité de l'impérialisme magique initié par John Dee, et associé à la "materia primera" un chaos que l'adepte transmute en "or", conjuguant ainsi  perfection spirituelle et abondance matérielle (Cf. Hakim Bey - TAZ). D'où le concept de Frontière qui exprime une dynamique de conquête, puisqu'elle est la représentation idéologique de la wilderness "domestiquée", conquise. Ce qu'a bien compris John Fitzgerald Kennedy qui reprend dans son discours de juillet 1960 l'idée de Turner, un discours qui m'apparaît comme l'une des pierres angulaires de la création de The Marvel Age of Comics dont Hulk est le deuxième rejeton juste après les Fantastic Four.

Marvel n°1
Un personnage qui aura une revue à son nom qui ne durera que six numéros.
Pourquoi une telle brièveté ?

Nous verrons que répondre à cette question c'est résoudre l'énigme de "l'origine de l'origine" que je posais lors du premier billet sur le Titan vert.

La forme c'est le fond qui remonte à la surface.
Victor Hugo

GRIS de Tim Sale & Jeph Loeb
... Si dans le premier épisode Hulk est gris il devient vert dés le deuxième. Ce changement de pigmentation serait dû au fait "qu'à l'époque les personnages gris ne se vendent pas" (Jean-Paul Jennequin SCARCE n° 63). Choix judicieux puisque nous dit Michel Pastoureau (Le petit livre des couleurs) le gris a longtemps renvoyé à la sagesse, à la connaissance, une idée qui perdure puisqu'on parle encore aujourd'hui de matière grise pour qualifier l'intelligence. Une conception assez antinomique à Hulk.  Le vert quant à lui a manifesté un caractère transgressif et turbulent jusqu'au XVIIe siècle, il avait autrefois la particularité d'être une couleur instable et la symbolique du vert s'est organisé autour de cette notion : "il représente tout ce qui bouge, change, varie." Ce n'est pas un hasard si l'on a pris l'habitude de représenter les mauvaises esprits, les démons et les créatures maléfiques qui "errent dans l'entre-deux, entre le monde terrestre et l'au-delà en vert". Une symbolique qui trouvera un satori en conclusion de notre billet.

Tim Sale
Cependant ce changement de couleur renvoi aussi à certaines pratiques guerrières.

"Je crois possible qu'il existe et revienne
Échappé de l'abîme, ainsi qu'aux temps anciens,
Quelque monstre vainqueur du désastre des siens
Dernier fils de la faune antédiluvienne."
Jean Richepin (1849-1926)

... L'historien Tacite (55-120 av JC) dans Les Mœurs des Germains écrit : 
" [..] Les Aries surpassent en forces les peuples que j'ai nommés avec eux. Ces hommes farouches, pour enrichir encore leur sauvage nature, empruntent le secours de l'art et du temps : ils noircissent leurs boucliers, se teignent la peau, choisissent pour combattre la nuit la plus obscure [..] il n'est pas d'ennemi qui soutienne cet aspect nouveau et pour ainsi dire infernal [...].
C'est la tincta corpora.


Pratique que l'on retrouve d'une certaine manière chez les Berserkir, les "soldats d'Odin enragés comme des fauves" revêtus d'une peau d'ours qui les "investit du pouvoir de la bête" leur conférant une vigueur incomparable. Le parallèle avec Hulk me semble indéniable. Ça l'est d'autant moins que les Berserkir se rattachent à la famille des garous, comme dans ours-garou, ou loup-garou que l'encyclopédie Larousse définit comme "Un sorcier qui, suivant les gens superstitieux, erre la nuit sous les apparences d'un loup, [..]" Le sorcier en question est sans nul doute ici le scientifique Bruce Banner. 
Pour en revenir à nos moutons, il existe aussi dans les traditions des anciens Scandinaves des loups-garous, les Ulfhednir (autrement dit pelisse de loup) et c'est de ce côté de notre inconscient collectif que nous allons nous rendre.


... Mais avant un petit rappel, l'année 1962 a vu apparaître un autre personnage dans l'univers Marvel, lui aussi fruit de la collaboration entre Stan Lee et Jack Kirby. En août 1962 dans les pages du numéro 83 de Journey Into Mystery c'est le puissant dieu nordique qui vient rejoindre les premiers membres de la cohorte de la Maison des idées. Rien n'est plus éloigné du hasard que son arrivée.

CLIQUEZ
Faut-il rappeler qu'en 1962 la Guerre froide se réchauffe dangereusement alors que paradoxalement les relations entre l'URSS et les USA se refroidissent :  voir la Baie des Cochons ou encore la crise des missiles de Cuba pour ne citer que deux exemples. Je m'avance peut-être, mais l'hypothèse d'une Troisième guerre mondiale devait alors flotter dans le Ciel des Idées. Et qui d'autre mieux que Hulk pouvait cristalliser la peur de la bombe ? 
Par-delà les frontières du langage et de l'humain Hulk est "le retour d'une violence à la mesure de sa rétention", une composante de la culture nordique dont j'ai montré l'influence sur la psyché étasunienne.

S'éveillant d'un sommeil maussade
L'instinct sauvage nous entraîne.
J.M. O'Hara

Si comme je le pense L'Appel de la forêt est le plasma germinatif de l'incroyable Hulk, la bombe Gamma a elle réveillé un loup d'une tout autre envergure.

CLIQUEZ
... L'arrivée de Thor au sein des personnage de la Marvel est un lapsus clavi révélateur de Kirby & Lee. Si Hulk est l'incarnation de la wilderness des Puritains il est aussi Fenrir, apporté dans les bagages culturels des populations nordiques venues coloniser les États-Unis. C'est le "mythe odinique d'un perpétuel conflit [..] entre animalité et divinité, entre la pulsion dévoratrice (Fenrir) et la loi ordonnatrice (Thor)" (Dennis Duclos). 

Démiurges, Jack Kirby et Stan Lee n'en subissent pas moins le zeitgeist, l'esprit du temps, et la tension de la Guerre froide exacerbe sans aucun doute la sensibilité de leur mémoire phylogénétique. Ce qui a pour effet de raviver une "scène primitive" en étroite relation avec l'époque dans laquelle ils vivent.

Hulk vs Thor
... En ce qui me concerne, la disparition de Hulk est une conséquence du Ragnarök, qui est une sublimation (entendue ici d'un point de vue  métapsychologique) de la Troisième guerre mondiale, un rituel, une conjuration. Un sacrifice.

Jibbenainosay


Car n'oublions pas que les Puritains sont le "peuple du Bélier" qui trouve alors en arrivant sur ce Nouveau continent ses premiers "boucs-émissaires" chez les sauvages de la wilderness. C'est le Bélier biblique opposé au Taureau (Bison) païen. 
En 1963 (le dernier numéro d'Incredible Hulk date du mois de mars de cette année-là - un mois de circonstance) c'est Hulk/Fenri que l'on sacrifie. La wilderness incarnée est terrassée par Thor (métaphoriquement s'entend) mais que l'on se rassure il s'agit d'une "période de mort symbolique" pour le Goliath vert.



... Dans quelle mesure la défaite de Hulk/Fenrir a-t-elle eu des effets de ce côté-ci du Quatrième Mur ? Il est difficile de répondre à cette question, cependant constatons que l'utilisation de la bombe a été reportée sine die et que la Troisième guerre mondiale n'a pas eu lieu ...

Ron Garney
Bibliographie.

Commentaires

  1. Faut que je me lise ça peinard, mamma mia !

    RépondreSupprimer
  2. alors là....
    la conclusion est tout simplement BLUFFANTE !!!

    RépondreSupprimer
  3. Quand les marvel comics sauvent le monde... bravo !

    RépondreSupprimer
  4. Si je veux une claque, je vais lire un billet ici. Et je repars assommé. Mais un peu plus intelligent.
    Chapeau, c'est d'une richesse incroyable !



    Jim

    RépondreSupprimer
  5. Merci de votre passage, et surtout merci pour vos commentaire. C'est motivant.

    RépondreSupprimer
  6. je vais pas te cirer les pompes, mais j' apprends vachement de trucs quand je lis tes articles
    je viens sur ton blog quasiment tout les jours pour voir ce qu' il y a de nouveau

    RépondreSupprimer
  7. @ midnighter, c'est très sympathique de dire ça (et encourageant), merci.

    Cependant il ne faut pas perdre de vue que je m'appuie toujours sur une importante bibliographie. [-_ô]

    RépondreSupprimer
  8. si ça t' encourages, tant mieux , comme ça je pourrais continuer à te lire
    imposante bibliographie, soit
    mais la façon dont tu relie tant de choses différentes me scotche à chaque fois

    RépondreSupprimer
  9. Merci Artemus, milles fois merci

    Hulk est la seule bande dessinée que je n'ai jamais cessé de lire depuis 10 ans; je trouve qu'à l'instar du personnage lui-même, c'est une "création" dont la richesse reste hautement incomprise.
    Le puissant film d'Ang Lee, tout aussi incompris, à mon avis LE grand chef d'oeuvre de film de bédé de la décennie (nous avons littéralement fait un plaidoyer sur le sujet à notre émission, si tu es curieux d'y jeter un coup d'oreille. Notre entrée de blogue pour cette émission risque de te plaire un tantinet!

    http://7eantiquaire.blogspot.com/2009/04/notre-emission-du-15-avril-un-grand.html)

    Je pense très sincèrement que Hulk est l'égal de Batman, rien de moins qu'une des créations les plus importantes du canon super héroïque.

    Un billet de ce genre est une véritable bénédiction. Ca répare de nombreuses injustices. La pertinence de tes billets me sidère à toutes les fois, Artemus. C'est un plaisir de te lire.

    Pour un aficionados de ta trempe du Titan Vert, j'ai une recommandation: de 1984 à 1986, une run três spéciale de Hulk a vu le jour, malheureusement elle n'existe pas encore en collection, mais peut-être peux tu mettre la main dessus en français chez toi (je l'ai lu ainsi ici même).
    Une équipe incroyable: Bill Mantlo, Sal Buscema au dessin (un génie trop peu célébré) au sommet de sa forme et occasionnellement Mike Mignola.
    L'histoire: pour protéger l'humanité d'un Hulk devenu trop dangereux, Docteur Strange l'exile dans un Carrefour inter dimensionnel (littéralement appelé "le carrefour"). À chaque numéro, le temps de 17 numéros, Hulk explore aléatoirement une dimension de son choix. Le but: permettre au géant de trouver un monde où il trouvera enfin la paix.
    Démons Lovecraftiens, épopée cosmique, saga médiévale, psychodrame freudien. Nouvelles amitiés, nouvelles trahisons: je n'ai jamais rien lu de plus puissant chez Hulk. C'est la collection de comics la plus avant-gardiste que j'ai lue à l'époque. Elle pressentait les grands pérégrinations de Grant Morisson.

    Elle a aussi eu un impact évident mais jamais mentionné sur ce que le personnage est devenu par la suite. On y trouve un "retconing" de son origine devenue depuis canonique (dans le film d'Ang lee aussi) et toute la "run" de Greg PAk, de Planet Hulk à World War Hulk, est un immense hommage à cette période.

    Je te garanti que tu y trouveras ton compte Artemus. La chasse en vaudra la chandelle.

    Bref, merci pour ton solide et salvateur billet et bonne chasse.

    RépondreSupprimer
  10. Merci, je vais tenter de trouver le "run" dont tu parles et of course écouter votre émission, je suis d'ailleurs étonné d'être passé à côté.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Triple frontière [Mark Boal / J.C. Chandor]

En même temps qu'un tournage qui devait débuter en 2011, sous la direction de K athryn B igelow, Triple frontière se verra lié à une tripotée d'acteurs bankables : S ean P enn, J avier B ardem, D enzel W ashington. Et même T om H anks. À ce moment-là, le titre est devenu Sleeping dogs , et d'autres noms circulent ( C hanning T atum ou encore T om H ardy). Durant cette période de valses-hésitations, outre M ark B oal au scénario, la seule constante restera le lieu où devrait se dérouler l'action. La « triple frontière » du titre est une enclave aux confins du Paraguay , du Brésil et de l' Argentine , devenue zone de libre-échange et symbole d'une mondialisation productiviste à fort dynamisme économique. Le barrage d' Itaipu qui y a été construit entre 1975 et 1982, le plus grand du monde, produirait 75 % de l’électricité consommé au Brésil et au Paraguay . Ce territoire a même sa propre langue, le « Portugnol », une langue de confluence, mélange d

The Words

... The Words ( Les Mots ) est un film qui avait tout pour me séduire : le roman en tant qu'élément principal, des acteurs que j'aime bien ; D ennis Q uaid, J eremy I rons, J . K . S immons et B radley C ooper. Éléments supplémentaire l'histoire se révèle être une histoire dans l'hisitoire. Ou plus exactement un roman à propos de l'écriture d'un roman, écrit par un autre ; entre fiction et réalité.  Je m'explique. Clay Hammon fait une lecture public de son dernier livre The Words dans lequel un jeune auteur, Rory Jansen , en mal de reconnaissance tente vaille que vaille de placer son roman chez différents éditeurs. Cet homme vit avec une très belle jeune femme et il est entouré d'une famille aimante. Finalement il va se construire une vie somme toute agréable mais loin de ce qu'il envisageait. Au cours de sa lune de miel, à Paris , son épouse va lui offrir une vieille serviette en cuir découverte chez un antiquaire, pour dit-elle qu'

Wheelman [Frank Grillo / Jeremy Rush]

En partie produit, et surtout entièrement cornaqué par War Party™, la société de production de J oe C arnahan & de F rank G rillo, et magistralement interprété par ce dernier ; « Wheelman 2017 » repose sur la règle des 3 unités du théâtre dit classique :  • Unité temps : Une nuit.  • Unité d'action : Une attaque à main armée ne se déroule pas comme prévue.  • Unité de lieu : Une BMW E46  Autrement dit, 98% du film se déroule dans une voiture avec seulement F rank G rillo au volant et à l’écran. Son personnage n'interagit avec l'extérieur quasiment que via un téléphone portable.              Tourné à Boston en seulement 19 jours, pour un budget légèrement supérieur à 5 millions de dollars, « Wheelman » est, au moment des comptes, une péloche dégraissée et bien relevée.  D'entrée de jeu les premières minutes donnent le ton : « l'homme au volant » du titre a été embauché pour être chauffeur lors d'un braquage à main armée. Divorcé, sa fille adolescente, d