Accéder au contenu principal

Bangkok nites [Katsuya Tomita]

Ce billet est l'occasion d'en inaugurer d'autres qui seront écrits par Benoît, un ami numérique, rencontré sur feu le site Superpouvoir.com, et dont j'ai toujours apprécié les avis.
Si ses goûts sont différents des miens, je l'ai cependant invité à écrire sur ce blog car j'ai souvent découvert des films ou des lectures vers lesquels je ne serais pas allé spontanément, et que j'ai tout aussi souvent appréciés, grâce à lui.....

.... Bangkok nites de Katsuya Tomita aura été une découverte étourdissante en cette fin d'année cinématographique. 

Ce film indépendant japonais est issu d'une longue production de cinq années - tout en ayant maturé bien plus longtemps dans l'esprit du cinéaste - qui s'explique par le sujet sensible du film et le temps nécessaire pour le traiter. Katsuya Tomita, dont je découvre le travail, évoquait la Thaïlande par le biais de ses précédents films tous tournés au Japon

Pour Bangkok nites, il est parti en Thaïlande avec l'envie de parler de la vie nocturne de la rue Thaniya, réservée exclusivement aux touristes et résidents japonais, dont la prostitution est l'un des ressorts économiques du tourisme local. 
En se rendant sur place, le réalisateur va à la rencontre des habitants et travailleurs du milieu, visite différents endroits (il ambitionne de tourner dans des décors réels) et débute un processus de longue haleine: il souhaite engager des acteurs amateurs rencontrés sur place et filmer dans d'authentiques lieux et boîtes de nuits où le commerce du sexe est répandu. Les locaux se montrent méfiants de prime abord et ont du mal à croire au sérieux de l'entreprise. Il faudra donc quatre années d'allers et retours à Tomita entre le Japon et la Thaïlande pour bâtir patiemment une relation de confiance avec les habitants, tout en approfondissant ses recherches et en rédigeant le scénario au fur et à mesure de ces pérégrinations. Tout ce travail finira par payer et le réalisateur parviendra à embaucher une grande partie du casting sur place parmi des non professionnels dont le premier rôle féminin est dévolu à Subenja Pongkorn, native de Bangkok et ancienne travailleuse de la rue Thaniya

.... Le film s'ouvre sur le reflet de Luck - interprétée par Subenja Pongkorn - projeté dans l'une des fenêtres d'un hôtel luxueux dont la vue domine une Bangkok nocturne, le moment de la journée synonyme de début du travail pour cette jeune prostituée qui vit au rythme de la rue Thaniya. 
Ce précis de la vie de Bangkok circonscrite à Thaniya se dévoile au rythme des déambulations de Luck à la faveur de rencontres avec les clients, de discussions avec les collègues et ami(e)s qui dressent une cartographie d'un milieu malséant dans lequel vivotent quantité d'individus d'horizons divers. 
Un soir, Luck tombe nez à nez avec Ozawa, un ancien client perdu de vue. Cette rencontre ravive des souvenirs de ce qui fut une relation vraisemblablement plus profonde qu'un rapport professionnel. Profitant d'un voyage professionnel d'Ozawa, Luck décide de l'accompagner et de retourner dans sa province natale d'Issan pour visiter sa famille et lui présenter ce compagnon. Soit l'entame d'un périple haut en couleurs et teinté d'émotion. 
En un peu plus de trois heures d'une rare densité, Katsuya Tomita - qui réalise, co-écrit le scénario et joue le rôle d'Ozawa - plonge au cœur d'un tourbillon de vies qui errent, se cherchent, se croisent et parfois se ratent au cœur de l'agitation nocturne de Bangkok

En restant à hauteur pudique de ces femmes, Katsuya Tomita maintient la bonne distance pour ne pas sombrer dans le sordide; nul besoin de filmer plein cadre des ébats tarifés quand le réalisateur parvient à saisir le jus ambiant dans lequel baignent ces âmes errantes. Tomita ne s'arrête pas à ce premier tour de force et s'embarque dans un voyage intense qui prend le pouls du pays et plonge dans les racines de l'histoire tourmentée thaïlandaise. Cette immersion prolongée du réalisateur dans cette culture se traduit autant par l'itinéraire d'Ozawa vers la province d'Issan qui le mènera jusqu'au Laos - dans un périple qui ménage son lot de rencontres fortuites, d'embardées fantastiques et de découvertes topographiques - que par ce travail d'une grande finesse opéré sur l'habillage sonore du film. 
Dès lors que Luck et Ozawa quittent le tumulte de Bangkok pour s'en aller en Issan, la musique mue et se colore au rythme de chansons, de poèmes et de coutumes traditionnelles de la région - qui se font l'écho d'un élan de contestation face à l'oppression et la misère subies - résonnant admirablement avec les thématiques du récit; la richesse culturelle ainsi mise au jour ne saurait se faire sans l'évocation de la situation compliquée de pays subissant les affres de la pauvreté et des inégalités, marqués par un passé dont les stigmates demeurent toujours visibles à l'image de ces plans mémorables de cratères au Laos, empreintes indélébiles laissées pendant la guerre du Vietnam
.... Tout concourt à faire de Bangkok nites un voyage inoubliable jusqu'au générique de fin qui s'accompagne d'archives de tournage et d'instants pris sur le vif. 
L'image de Subenja Pongkorn emmenant l'équipe du film visiter un temple reste gravée en mémoire, la fêlure dissimulée de la jeune femme portée par son personnage au sein du film explosant finalement lorsqu'elle fond en larmes au son d'une prière purificatrice.

A bientôt, Benoît.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

The Words

... The Words ( Les Mots ) est un film qui avait tout pour me séduire : le roman en tant qu'élément principal, des acteurs que j'aime bien ; D ennis Q uaid, J eremy I rons, J . K . S immons et B radley C ooper. Éléments supplémentaire l'histoire se révèle être une histoire dans l'hisitoire. Ou plus exactement un roman à propos de l'écriture d'un roman, écrit par un autre ; entre fiction et réalité.  Je m'explique. Clay Hammon fait une lecture public de son dernier livre The Words dans lequel un jeune auteur, Rory Jansen , en mal de reconnaissance tente vaille que vaille de placer son roman chez différents éditeurs. Cet homme vit avec une très belle jeune femme et il est entouré d'une famille aimante. Finalement il va se construire une vie somme toute agréable mais loin de ce qu'il envisageait. Au cours de sa lune de miel, à Paris , son épouse va lui offrir une vieille serviette en cuir découverte chez un antiquaire, pour dit-elle qu'

Juste cause [Sean Connery / Laurence Fishburne / Ed Harris / Kate Capshaw]

« Juste Cause 1995 » est un film qui cache admirablement son jeu.             Paul Armstrong , professeur à l'université de Harvard (MA), est abordé par une vieille dame qui lui remet une lettre. Elle vient de la part de son petit-fils, Bobby Earl , accusé du meurtre d'une enfant de 11 ans, et qui attend dans le « couloir de la mort » en Floride . Ce dernier sollicite l'aide du professeur, un farouche opposant à la peine capitale.   Dès le départ, « Juste Cause 1995 » joue sur les contradictions. Ainsi, Tanny Brown , « le pire flic anti-noir des Everglades », dixit la grand-mère de Bobby Earl , à l'origine de l'arrestation, est lui-même un africain-américain. Ceci étant, tout le film jouera à remettre en cause certains a priori , tout en déconstruisant ce que semblait proposer l'incipit du film d' A rne G limcher. La déconstruction en question est ici à entendre en tant que la mise en scène des contradictions de situations dont l'évidence paraît pour

Nebula-9 : The Final Frontier

... Nebula-9 est une série télévisée qui a connu une brève carrière télévisuelle. Annulée il y a dix ans après 12 épisodes loin de faire l'unanimité : un mélodrame bidon et un jeu d'acteurs sans vie entendait-on très souvent alors. Un destin un peu comparable à Firefly la série de J oss W hedon, sauf que cette dernière bénéficiait si mes souvenirs sont bons, de jugements plus louangeurs. Il n'en demeure pas moins que ces deux séries de science-fiction (parmi d'autres telle Farscape ) naviguaient dans le sillage ouvert par Star Trek dés les années 60 celui du space opera . Le space opera est un terme alors légèrement connoté en mauvaise part lorsqu'il est proposé, en 1941 par l'écrivain de science-fiction W ilson T ucker, pour une catégorie de récits de S-F nés sous les couvertures bariolées des pulps des années 30. Les pulps dont l'une des particularités était la périodicité ce qui allait entraîner "une capacité de tradition" ( M ich