…. Sur un sujet qui fait écho à son propre engagement face à une situation humanitaire mondiale préoccupante, Greg Egan choisit, selon son propre point de vue sur la science-fiction*, de « prendre un microscope pour s’en servir de presse-papier ».
Le résultat s’intitule Cérès et Vesta, du nom de deux astéroïdes colonisés par l’homme, dont l’un placera l’autre « face à un choix impossible, une horreur cornélienne » ; une novella publiée dans la collection « Une heure-lumière », de l’éditeur Seine-et-Marnais de SFFF Le Bélail’.
Traduit par Erwann Perchoc, Egan y imagine un scénario où l’épanouissement des uns n’est possible qu’au détriment des autres.
…. Entreprise salutaire que de maintenir visibles des questions que l’on préfèrerait peut-être oublier, dans une fiction, lieu de créativité mais aussi d'inventions pratiques.
Mais de l’auteur de science-fiction, que d’aucuns qualifient comme le plus important du XXIème siècle, j’attendais cependant autre chose.
Greg Egan se contente ici d’une logique qui vise à choisir les sacrifiés, sans jamais explorer une autre voie qu’aurait pu lui permettre son histoire (ou alors sans vraiment y croire lui-même), dont la pertinence aurait pu dépasser sa particularité. La question de l'inévitabilité de ce type de dilemmes n'est pas non plus évoquée.
Pas plus qu’il ne fait rétrospectivement réfléchir l’un ou l’autre de ses personnages, « à empêcher la naissance de situations où il n’est plus possible d’être moral », selon les mots de Gunther Anders. Autrement dit de faire en sorte d’éviter à quiconque d’avoir jamais à se montrer héroïque (en empêchant la naissance de pareilles situations).
Non, tel que j'ai lu ce récit, Egan transpose des situations contemporaines dans un futur incertain, mais que l'on devine lointain, pour y appliquer les raisonnements d'aujourd'hui. Lui qui n'hésite pas à pousser les dernières découvertes scientifiques dans leurs retranchements les plus reculés, achoppe lorsqu'il s'agit de faire de même avec les « sciences molles ». Dommage
…. Reste que tout n’est pas à jeter dans cette novella d’une petite centaine de pages, d’autant qu’elle permet de démêler les différents fils ayant amené au point culminant de la crise, et par la force des choses d’en apprivoiser le tragique. « Décrypter un imaginaire partagé, c’est aussi entreprendre d’en critiquer la logique mortifère », nous dirait Fréderique Leichter-Flack.
D’un point de vue formel, Cérès et Vesta est d’une lecture agréable et distrayante, l’auteur conjuguant un décalage chronologique qui fait par ailleurs son petit effet.
En outre, il met en sourdine son penchant pour les extrapolations scientifiques pointues, pierre angulaire de son travail littéraire & marque de fabrique inoubliable. Tout en étant parfois rédhibitoire.
Un rendez-vous manqué donc (dans lequel j'ai aussi ma part de responsabilité), qui n'entame en rien ma confiance dans cette belle collection. Ni dans le travail de l'auteur le plus mystérieux de la planète SF.
______________
Intéressant : Oui
Illisible : Non
Incontournable : Non
* « Utiliser la science-fiction pour bricoler des métaphores sur des thèmes familiers revient à la dévoyer ; c’est comme prendre un microscope pour s’en servir de presse-papier » in Greg Egan : une conversation, Bifrost n°88.
Propos recueillis par Karen Burnham et traduits par Erwann Perchoc
Couverture d'Aurélien Police |
Traduit par Erwann Perchoc, Egan y imagine un scénario où l’épanouissement des uns n’est possible qu’au détriment des autres.
…. Entreprise salutaire que de maintenir visibles des questions que l’on préfèrerait peut-être oublier, dans une fiction, lieu de créativité mais aussi d'inventions pratiques.
Mais de l’auteur de science-fiction, que d’aucuns qualifient comme le plus important du XXIème siècle, j’attendais cependant autre chose.
Greg Egan se contente ici d’une logique qui vise à choisir les sacrifiés, sans jamais explorer une autre voie qu’aurait pu lui permettre son histoire (ou alors sans vraiment y croire lui-même), dont la pertinence aurait pu dépasser sa particularité. La question de l'inévitabilité de ce type de dilemmes n'est pas non plus évoquée.
Pas plus qu’il ne fait rétrospectivement réfléchir l’un ou l’autre de ses personnages, « à empêcher la naissance de situations où il n’est plus possible d’être moral », selon les mots de Gunther Anders. Autrement dit de faire en sorte d’éviter à quiconque d’avoir jamais à se montrer héroïque (en empêchant la naissance de pareilles situations).
Non, tel que j'ai lu ce récit, Egan transpose des situations contemporaines dans un futur incertain, mais que l'on devine lointain, pour y appliquer les raisonnements d'aujourd'hui. Lui qui n'hésite pas à pousser les dernières découvertes scientifiques dans leurs retranchements les plus reculés, achoppe lorsqu'il s'agit de faire de même avec les « sciences molles ». Dommage
…. Reste que tout n’est pas à jeter dans cette novella d’une petite centaine de pages, d’autant qu’elle permet de démêler les différents fils ayant amené au point culminant de la crise, et par la force des choses d’en apprivoiser le tragique. « Décrypter un imaginaire partagé, c’est aussi entreprendre d’en critiquer la logique mortifère », nous dirait Fréderique Leichter-Flack.
D’un point de vue formel, Cérès et Vesta est d’une lecture agréable et distrayante, l’auteur conjuguant un décalage chronologique qui fait par ailleurs son petit effet.
En outre, il met en sourdine son penchant pour les extrapolations scientifiques pointues, pierre angulaire de son travail littéraire & marque de fabrique inoubliable. Tout en étant parfois rédhibitoire.
Un rendez-vous manqué donc (dans lequel j'ai aussi ma part de responsabilité), qui n'entame en rien ma confiance dans cette belle collection. Ni dans le travail de l'auteur le plus mystérieux de la planète SF.
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Intéressant : Oui
Illisible : Non
Incontournable : Non
* « Utiliser la science-fiction pour bricoler des métaphores sur des thèmes familiers revient à la dévoyer ; c’est comme prendre un microscope pour s’en servir de presse-papier » in Greg Egan : une conversation, Bifrost n°88.
Propos recueillis par Karen Burnham et traduits par Erwann Perchoc
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