Dans une tribune qui se propose de donner la parole à des gens qui ne pensent pas comme la ligne éditoriale de l’hebdomadaire, le n°1319 de Marianne la donne à madame Rokhaya Diallo, journaliste au Washington Post.
Titrée « Comprendre Ms. Marvel », madame Diallo y évoque une flambée critique sur les réseaux sociaux hexagonaux (?) au sujet de la série télévisée que consacre Disney+® à Ms. Marvel, une jeune super-héroïne également connue sous l’alias de Kamala Khan.
Je ne suis pas les réseaux donc mon billet ne s’intéressera qu’aux propos qu’a tenus la journaliste dans cette tribune.
Tout d’abord un point de détail.
Madame Diallo laisse entendre, dans son éditorial, que les « comics » ne concerneraient que les super-héros. Il se trouve que la bande dessinée américaine, qui si on l’appelait comme ça prêterait moins bien à confusion, est un secteur bien plus large que les seuls super-héros.
Mais soit !
Or donc, la journaliste du Washington Post affirme que les super-héros sont « les émanations de périodes politiquement agitées ». Je veux bien le croire.
Cependant j’aimerais bien que madame Diallo me cite une période, disons depuis la fin des années 1930 jusqu’à aujourd’hui, qui ne soit pas une « période politiquement agitée ».
C’est bien ce que je pensais.
Pour appuyer sa déclaration elle cite, bien évidemment la création la plus célèbre de Joe Shuster & Jerry Siegel : Superman.
Je ne doute pas que les deux jeunes hommes d’alors s’intéressaient à ce qui se passait autour d’eux, voir plus loin ; mais il ne faut pas oublier non plus qu’ils étaient aussi, et à mon avis surtout, investis dans la création de bande dessinée. Un média encore à l'époque très très récent. Shuster travaillait cependant déjà depuis 1935 pour la maison d’édition qui deviendra DC Comics™, et le Kryptonien n’est pas le seul personnage qu’il y créera (ici en collaboration avec Jerry Siegel au dessin) pour la Distinguée Concurrence™. Joe Shuster est aussi un amateur très averti de ce qui se passe alors dans le domaine de la science-fiction littéraire (les pulp magazines). Il y entretient d’ailleurs quelques amitiés comme Edmond Hamilton par exemple.
Or donc, Superman m'apparait être uniquement un personnage volontairement novateur (pour être vendu plus facilement aux éditeurs), inspiré par ce qu’ils ont déjà produit (Slam Bradley notamment). La nouveauté est donc l'adjonction d'un supplément science-fictif qui le démarquera du tout-venant (mais qui ressemble quand même beaucoup à la réunion des qualités de John Carter et de Tarzan).
Ensuite Rokhaya Diallo cite Jack Kirby & Joe Simon, juifs, comme Shuster & Siegel, précise-t-elle, lesquels inventent en 1940 Captain America. Un personnage dont j’avais par le passé noté et écrit qu’il était, à mon avis (il s’agit donc d’une interprétation et non de la lettre d’intention des deux auteurs), une sorte d’avatar du golem de la mythologie juive.
En tout cas qu’il s’en inspirait bien plus que Superman qu’on rapproche, à tort, de l’être d’argile.
Bref, cela reste toutefois une interprétation, et à aucun moment Simon ou Kirby ne l'ont suggéré.
Le point important pour madame Diallo n’est pas de dire de toute façon, que ces personnages de fiction ont été inventés par des juifs, mais que ces auteurs appartenaient à « des minorités opprimées ». Et que leurs créatures d'encre et de papier sont une réponse à des « menaces systémiques ».
On assiste ici au déballage du catalogue des éléments de langage progressiste (attention faux-ami) bien connus : « minorités », « opprimées », « systémique » ; et un peu plus loin madame Diallo n'oubliera pas d'évoquer les « violences policières » sans qui le progressisme ne serait pas ce qu'il veut être.
À quoi correspondent toutes ces affirmations péremptoires, nous n’en sauront rien. L’important étant – bien évidemment – de les placer dans n’importe quel texte quel qu’en soit le sujet.
Shuster, Siegel, Kirby et Simon étaient-ils opprimés ?
Bien sûr dans l’esprit de madame Rokhaya Diallo. Puisque ce sont des juifs. Comment pourrait-il en être autrement.
Belle preuve d’essentialisme.
On saute ensuite quelques décennies pour invoquer un lieu commun bien connu des amateurs de BD U.S., celui où les X-Men seraient « l’écho de la lutte antiraciste pour les droits civiques ». Le flou qu’entretient le terme « écho » sera sans nul doute utilisé par Rokhaya Diallo pour infirmer ce que je m’apprête à écrire, si d'aventure elle en avait l'envie.
En effet prêter aux mutants de la Marvel™ première mouture des velléités revendicatrices s’est méconnaitre la situation dans laquelle se trouvait alors la maison d’édition de Martin Goodman.
Stan Lee & Jack Kirby avaient uniquement en tête, à l'époque, d’inventer des personnages viables, et surtout auxquels l'éditeur DC Comics™ ne puisse pas reprocher d’être des copies de ce qui se faisait alors dans les pages de leurs propres publications.
Pour les moins familier avec l'univers des super-héros, je signale qu'en même temps que les X-Men, mais chez la Distinguée Concurrence™ apparaitra un groupe de super-héros, nommé la Doom Patrol, étrangement similaire aux mutants susnommés.
Leur créateur/scénariste Arnold Drake dira à qui voudra bien l'entendre qu'il avait remarqué que les personnages Marvel™ (très novateurs pour l'époque, mais aussi en regard de ce que produisait alors DC™) fonctionnaient de mieux en mieux, et qu'il en avait par ailleurs découvert la recette.
Dont le résultat concret était bien évidemment ladite Doom Patrol. Des misfits tout aussi en marge de la société que les étudiants de l'école de Charles Xavier, mais qui n'ont pas, toujours à ma connaissance, fait l'objet d'un étiquetage progressiste équivalent.
Pourquoi ?
Croire ensuite, que « les histoires de super-héros ont su accompagner l’évolution des grands changements sociaux », en citant la création de Wonder Woman, c’est surtout faire preuve d’anticipation. <sourire>
L'Amazone est en effet la création d'un trio dont la vie familiale, dans la société américaine des années 1940, avait tout de la place qu'occupent les poissons volants chez les vertébrés aquatiques à branchies.
Wonder Woman est effectivement un personnage résolument féministe, inventé par Elizabeth Holloway Marston, son mari William Moulton, et leur amante commune Olive Byrne, pour faire pièce à l'hégémonie masculine du milieu.
Je ne peux toutefois pas croire que madame Rokhaya Diallo n'ait pas fait ses devoirs.
Elle oublie pourtant Spider-Woman et She-Hulk, deux super-héroïnes qui n'ont pas été créées pour satisfaire la parité homme/femme, mais plus simplement pour s'en approprier les noms au cas où d'autres entreprises de divertissement envisageraient de faire de l'argent avec. Stan Lee avait alors en tête la série Super Jaimie (dérivée de L'Homme qui valait 3 milliards), pendant qu'il constatait le succès du Hulk télévisée. Question opportunisme ça se pose là.
Et comme nous le verrons, l'opportunisme et le progressisme font souvent bon ménage (si je peux me permettre).
La preuve en est que dès les années 1940, Wonder Woman donc a satisfait l'idéologie de ses concepteurs, et le porte-monnaie de son éditeur.
Pour ce qui est d'un changement de mentalité c'est moins sûr.
Dire que Ms. Marvel n’est pas le premier personnage lié à une quelconque religion, c’est vrai. Mais ni Magneto, ni Daredevil, cités par Rokhaya Diallo n’ont été inventés avec une identité religieuse en guise d'étendard. Leurs liens avec la religion sont venus plus tard, et de manière ponctuelle, pour les besoins dramatiques des histoires que les scénaristes voulaient raconter.
Alors que contrairement à ces derniers, Kamala Khan et le Nightrunner alias Bilal Alsselah (que cite donc l'auteur de l'article publié par Marianne), ont été inventés sur la base de l’islam, et en toute connaissance de cause. La religion est un élément crucial de leur identité fictionnelle.
Et en ce qui concerne plus précisément Ms. Marvel, sa maison d'édition a utilisé ce monothéisme comme fer de lance de leur communication. Allant jusqu’à mettre en avant la propre religion de la scénariste attachée au projet, madame G. Willow Wilson.
On remarquera par ailleurs que Dust, une mutante musulmane incorporée en 2002 à la distribution pourtant déjà pléthorique des mutants de la Maison des Idées®, par le scénariste Grant Morrison, n’a soulevé (à ma connaissance) aucun débat. Alors que les attentats du 11-septembre étaient pourtant encore bien présents dans toutes les mémoires (surtout étasuniennes). Mais Marvel™ n'avait absolument pas communiqué sur le personnage.
Bien sûr que Marvel™ est une entreprise opportuniste, contrairement à ce que soutient madame Rokhaya Diallo.
Ainsi au début des années 1970 elle n'hésitera pas à changer le nom du super-héros africain Black Panther en un Black Leopard bien moins connoté.
Aujourd'hui le sens du vent a changé, Batman n'hésite pas à laisser une émeute se dérouler sous ses yeux dans Gotham car les magasins pillés sont assurés (Voir Batman Forteress#1).
En poussant un peu plus ce raisonnement, il suffirait donc aux criminels de Gotham de choisir leurs victimes chez ceux qui ont une assurance-vie pour que l'alter ego de Bruce Wayne les laisse massacrer les gothamites qui avaient eu l'idée d'en contracter une.
L’assurance-vie comme circonstance atténuante, il faudrait y penser !
Et puisqu'on a parlé de Captain America, que penser de cette récente mini-série qui met en scène des Captain America communautaristes (comme Joe Gomez, le Captain America de la tribu Kickapoo infra) ?
Est-ce que cela a un sens, ou est-ce de l'opportuniste mal placé ? (Et un plaidoyer pour le pire des communautarisme ?)
Et cet épisode, qui dans la grande tradition des What if? de Marvel™ imagine Miles Morales (alias Spider-Man) devenir le détenteur de Mjölnir, en même temps qu'une réclame pour la quasi exhaustivité des clichés qu'on prête aux jeunes Noirs américains mâles.
Avant de faire des histoires bien-pensantes Marvel™ devrait avoir à cœur d'en faire écrire des bien pensées.
Ce qui a d'ailleurs était le cas avec Ms. Marvel. Du moins les épisodes que j'ai lus, ceux écrits par G. Willow Wilson ; l'islam y est traité comme la classe d'âge à laquelle appartient Kamala Khan. Si Marvel™ n'avait pas orchestré toute sa communication autour de cet aspect il y a finalement peu de chance que quiconque l'aurait alors noté.
Une sorte d'islam soft (power), très éloigné finalement de l'image que cette religion donne d'elle-même.
Je reviens avant d'en terminer sur un autre personnage cité donc par madame Diallo : Nightrunner (voir ci-dessus).
Il s'agit d'un jeune homme dont le meilleur ami a été « victime de violences policières » (et là ce n'est pas du bluff, il faut voir les planches de l'épisode en question), et dont la mère (comme lui) musulmane, « très pieuse » précise Rokhaya Diallo, lui recommande de ne pas recourir à la violence pour exprimer sa colère.
Comment pourrait-il en être autrement pour une religion de paix et d'amour.
Seulement, vu le contexte fictionnel qui introduit ce personnage, très inspiré des émeutes de Clichy-sous-Bois de 2005 ; et compte tenu des attentats de Charlie Hebdo™, du Bataclan, la décapitation de Samuel Paty, et j'en oublie .....
Lire que « les comics se sont toujours placés aux avant-postes des enjeux sociaux. Celles et ceux qui pensent déceler de l'opportunisme dans ces nouveaux personnages n'ont manifestement pas compris l'essence même de ces créations, nées pour défier les conservatisme. », me fait dire que j'ai raté un épisode.
Et qu'avant de « défier les conservatismes », il faudrait peut-être s'attaquer à quelques archaïsmes qui permettent aux uns de tuer des gens pour un dessin, et aux autres de fermer les yeux. En nous faisant la leçon.
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