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À crever de rire

C'est grâce à cette nouvelle que j'ai découvert Joe R. Lansdale.

Elle se trouve dans le recueil titré Le Joker L'homme qui riait publié par les éditions Fleuve Noir (1994) et qui réunit des auteurs tels que F.Paul Wilson, Robert McCammon, Stuart Kaminsky &cætera ....

Je ne l'ai pas relue depuis et si je n'en garde aucun souvenirs précis, j'ai toujours à l'esprit la forte impression que j'ai eu en la lisant. C'est en tout cas la seule nouvelle qui ne m'a pas fait me demander où étaient les dessins de cette putain d'histoire.
Extrait :

*-*

(Batjournal, 28 octobre)

... Parfois, il m'arrive de croire ce que les journaux disent de moi.
... Tard dans la nuit, avant de m'endormir, il m'arrive de me prendre pour le Vengeur Masqué, le Chevalier Noir et tous ces surnoms ridicules dont m'affublent toutes les feuilles de chou. Je suis rapide, précis, parfait. Le plus grand acrobate du monde, le maître des détectives. Rien ne m'est impossible.
... Puis je me réveille et le monde redevient tel qu'il est en réalité. Je vois sortir de la lumière des minables comme le Joker, et ils retournent dans l'ombre.
... Il y deux semaines le Joker s'est échappé de l'asile d'Arkham. J'ai remué ciel et terre pour le retrouver. En vain. Et j'attends toujours qu'il montre son vilain museau, prêt à nous faire subir sa derniére élucubration.
... La nuit derniére il a frappé à nouveau.
... Le juge Hadley est mort.
... Je n'étais pas là pour assister à ses derniers instants, mais Jim m'a tout raconté, et je peux reconstituer toute la scène et ce qu'il dut ressentir. Il marche, seul, bien dans sa peau. Il vient de faire quelques longueurs dans sa piscine, puis soudain, il a la désagréable surprise de constater que ses pieds se métamorphosent en chewing-gum à l'intérieur de ses chaussures. Il s'effondre et ses côtes percent sa peau, s'amollissent et dégoulinent sur le carrelage. Son cœur et ses poumons traversant sa poitrine, pulsent contre le tissu de sa robe de chambre, puis se liquéfient. Son cerveau coule de ses oreilles comme un flot de flocons d'avoine graisseux. Enfin, il n'a même plus d'oreilles, plus de crâne, plus qu'une masse blanche et grise.
... Toute cette boue reste là, à gargouiller et bouillonner et la robe de chambre à demi enlisée pulse comme si elle cachait une nichée de rats. Puis plus rien ne bouge. Un rayon de lune esseulé vient frapper la boue qui régurgite un petit arc-en-ciel de clarté lunaire. Une main gantée de blanc surgit de nulle part et jette un chapeau claque sur ce gâchis. Sur le chapeau, on a peint un visage à la peau blanche et aux lèvres rouges, couronnées d'une botte de cheveux verts.
... Le visage du Joker.

... Parfois, j'aimerais avoir moins d'imagination.

... Et voilà comment j'ai appris sa mort, hier, peu après midi, dans le bureau de Gordon.
... Jim voulait me parler, et je suis allé le voir, me suis assis dans un fauteuil aux ressorts fatigués, et l'ai regardé. Pas au mieux de sa forme. Ses vêtements étaient froissés, son visage mal rasé. Les commissures de ses lèvres s'affaissaient comme un ouvrage de maçonnerie en ruine.
Ses mains agrippaient les rebords de son fauteuil comme s'il voulait les broyer. Une goutte de sueur pendouillait au bout de son nez. la pièce n'avait pourtant rien d'une étuve, cependant, son front était luisant de transpiration.
... Moi-même, je ne me sentais pas très bien. Tout petit, très vieux, très fatigué, engoncé dans ma cape et mon masque. Et même un peu bête. C'était une mauvaise année. Ma derniére affaire, ma rencontre avec Jack-du-métro, avait sapé mes forces.
... J'avais compris que Gordon avait quelque chose à me dire, et avant même qu'il ait ouvert la bouche, je sus de quoi il s'agissait.
... - Le Joker.
... Gordon sortit un magnétophone du tiroir de son bureau, tira une cassette d'un sac en plastique réservé aux indices, la glissa dans l'engin et dit :
... - Écoutez.

... (Clic)
... - Eh ben, mon vieux ! Ce sacré vent hurle autour de l'asile, et la pluie fouette les murs de cette maison de dingues. Des éclairs explosent là dehors comme des six-coups, mais ce son et lumière ne me dérange pas, non monsieur.
... "Je suis assis là, toujours le même, toujours tel que je suis depuis que Batman m'a arrangé le portrait. La peau blanche, les cheveux verts, les lèvres rouges. Pas de stetson, pas de cheval. Je suis là où Batman m'a collé. Et je regarde la pluie et les éclairs à travers mes barreaux. Et mon vieux, si tu savais comme je peux en avoir en marre. Et tu sais quoi ? Ça m'étonnerait pas que je ponde un plan pour sortir de ce trou comme un cow-boy de cinéma.
... "Je m'évade et je disparais dans le soleil couchant. ...
... " Tu m'entends, shérif Batman ?
... "Bientôt ce sera la rencontre ; le train sifflera trois fois et les six-coups auront la parole. Et lorsque la fumée se dissipera, ce sera toi avec tes grandes oreilles qui aura mordu la poussière et sera étalé en plein milieu de la piste.
... " Bon, laissons un peu tomber John Wayne. Je peux aussi faire Humphrey Bogart et le plus beau Sidney Poitier du monde, à faire rougir Sid lui-même.
... " Maintenant, c'est le Joker qui parle. Et mon vieux ce n'est pas de la tarte. Parce que ce type est aussi azimuté que la tornade de Dorothy dans le Magicien d'Oz et furax comme un démocrate libéral à qui on a réduit son budget social.
... " Et tu sais quoi, Bat ? D'ici à ce que tu entendes tout ça, il y longtemps que j'aurai quitté l'asile d'Arkham. En fait, je n'y suis déjà plus. Il n'y a ni pluie, ni vent, ni éclairs de l'autre côté de ma fenêtre. Ce n'était qu'un mauvais souvenir que je tenais à te faire partager.
... " Ce que je veux dire, beau masque, c'est que le monde entier est une scène et que j'ai quitté celle de l'asile. J'ai changé d'air et de peau. Le crime m'a tendu les bras et je m'y suis jeté.
... (Long silence)

La couverture du Fleuve Noir et la même que celle de l'édition originale, publiée sous la direction de Martin H. GREENBERG, elle est de Kyle Baker.

Traduction de Thomas Bauduret.

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