... Joe R. Lansdale est l'un de mes auteurs favoris, le genre dont j'achète les livres sans même regarder de quoi il s'agit. Un romancier qui me fait souvent interrompe la lecture que j'ai en train pour me faire derechef commencer son roman.
Voici en tout cas une courte nouvelle proposée il y a un an ou deux avec un catalogue gratuit, peut-être Folio, je ne sais plus, que je reproduis ici.
... La vieille Maude, qui vivait dans les ruelles, fouillait les poubelles et collectait des loques, trouva les fausses dents au milieu d'une flaque de sang derrière chez Denny's. De toute évidence, il y avait eu une agression. Un malchanceux s'était aventuré dans le coin et s'était fait tabasser dans les règles, avant d'être trainé ailleurs ailleurs pour Dieu sait quelle raison.
... Mais le dentier, qui avait certainement bondi comme un animal effrayé de la bouche de la victime, était encore là et le sang dans lequel il baignait attestait de la violence du drame.
... Maude le ramassa, l'inspecta. En plus du sang, il y avait de vilaines taches de café sur les molaires du fond et ce qui ressemblait aussi à un petit bout de clafoutis. Une tache ou un morceau de nourriture, voilà des choses que Maude pouvait repérer et identifier avec un étonnant degré de précision. Il faut passer une bonne partie de sa vie à trainer dans les ruelles et à fouiller les poubelles pour être experte en la matière.
... Mais Maude était aussi une vieille fille à l'esprit pratique et, comme elle avait presque autant de dents qu'une grenade, elle essuya le sang sur sa robe - haute couture des années 20 - et fourra le râtelier en plein dans sa petite bouche édentée. Sans savoir pourquoi, elle avait le sentiment que c'était ce qu'il fallait faire. Pile poil. Le dentier aurait été fabriqué sur mesure qu'il n'aurait pas mieux collé. Elle sorti de son sac en tissu la vieille laitue noircie qu'elle avait dénichée avec la moitié d'une tomate derrière le Burger King, et elle mordit à belles dents dans le légume. Les ratiches claquèrent dans la salade avec un bruit de guillotine qui s'abat et la réduisirent en bouillie.
... Ce que ça changeait, pensa Maude, de s'attaquer à sa pitance avec la vigueur du cochon, le groin dans l'auge ! Ras le bol de mâchouiller ses victuailles comme une vieille !
... Les dents semblaient être un peu plus à l'étroit dans sa bouche, mais Maude était convaincue qu'elle finirait par s'y faire. C'était triste pour la pauvre âme qui les avait perdues, mais le malheur de cette personne faisait le bonheur de la clocharde.
... Elle prit le chemin du pas de la porte qu'elle appelait son chez-elle et, le temps de remonter un pâté de maisons, elle se rendit compte qu'elle avait vraiment faim. Ce qui ne manqua pas de la surprendre. Ça ne faisait pas une heure qu'elle avait mangé la moitié d'un hamburger tout frais pêché dans la poubelle du Burger King, accompagné de trois frites grasses et de la moitié d'un gâteau aux pommes. Mais, bon sang, ce qu'elle avait les crocs ! À en goinfrer n'importe quoi.
... Elle sortit la moitié de tomate de son sac, avec tout ce qu'il y avait de comestible là-dedans, et elle se mit à table.
... Plus elle ingurgitait, plus elle avait faim. Bien vite elle n'eut plus rien à se mettre sous la dent, et le trottoir et la rue ressemblaient au fond d'une assiette vide qu'il fallait remplir. Mon Dieu, son ventre la brûlait. Comme si elle n'avait jamais rien mangé et qu'elle prenait subitement conscience de ce besoin.
... Elle continua de marcher en faisant grincer ses grandes ratiches. Un demi-bloc plus loin, elle repéra un gros chat de gouttière, la tête dans une poubelle, à essayer d'attraper quelque nourriture de la patte, et mmmm, mmmm, mmmm, ce matou était aussi appétissant qu'un doughnut de chez Dunkin'.
À suivre .......
Joe R. LANSDALE
Nouvelle inédite traduite de l'américain par Aurélie Tronchet.
Aaaaah, Lansdale....Un de mes favoris aussi, gringo.
RépondreSupprimerVive la suite !