... Avec ABC - America's Best Comics - Alan Moore et les artistes associés au projet ont tenté de créer une importante ligne de comics qui aurait de très grosses exigences : les couverture, les histoires et les dessins devaient tous être très bons et tout le monde devait essayer de rendre chaque comic unique.
Une somme de travail considérable pour le scénariste de Northampton qui pense avoir rendu plus de pages de BD durant cette période, et avec des impératifs plus forts que lorsqu'il travaillait sur Swamp Thing ou Watchmen .
Bref si Moore en a terminé avec ABC depuis quelques temps déjà, en France le dernier recueil des aventures de Promethea vient juste de paraître.
Un moment propice pour en parler avec l'un des auteurs.
Artemus Dada : Bonan tagon Alan. Dis-moi, revenons sur America's Best Comics, qu'avais-tu en tête lorsque tu as lancé le label ?
Artemus Dada : Parlons maintenant si tu veux, de Promethea.
Artemus Dada : Tu avais déjà tenté ce genre d'expérience à tes débuts, avec Marvelman ?
Par exemple, pour revenir à Promethea, pour le numéro 12 je me souviens avoir été marqué dans les années 60 par un magazine dans lequel les articles et les strips de comics n'étaient pas agencés comme d'habitude. Ils s'étalaient littéralement dans tout le le magazine , et ça donnait un continuum intéressant.
Ça ne fonctionnait pas complètement, mais j'ai bien aimé l'idée, et je me suis dit qu'avec un peu plus de travail et d'application ça pouvait faire un bon moyen de raconter différemment une histoire de comics.
Et que ça serait une expérience unique de toute façon.
Artemus Dada : Alan, tu sais ce que disait Kipling sur la meilleure méthode pour écrire un livre ?
Alan Moore : "Commencer par le commencement" [Rire].
Artemus Dada : Tout juste (Auguste), alors revenons au départ de cette odyssée.
Alan Moore : Au début, je cherchais à introduire les grands concepts de la magie : les quatre éléments, les quatre armes, les quatre suites du Tarot.
À partir du numéro 12, je me suis dit que l'on pourrait en profiter pour expliquer la Kabbale. C'est un système spirituel et magique très visuel. Se faisant, nous avons dû perdre plusieurs milliers de lecteurs mais ce fut incroyable.
C'est le plus complexe de mes comics ; il présente des concepts très anciens et certains numéros peuvent être assemblés différemment en changeant l'ordre des pages, ça permet de découvrir certains secrets.
Artemus Dada : Promethea n'est pas seulement une formidable bande dessinée, ou un manuel destiné à des Castors Juniors férus de magie, c'est aussi un exploration de l'Imagination ?
Alan Moore : Tout d'abord, je voudrais préciser que l'imagination est une composante de la réalité et qu'elle ne peut pas être vraiment étudiée comme une entité séparée. Ceci étant dit, l'Histoire est aussi une fiction, et je pense qu'il est dangereux de la considérer autrement. Nous avons nos souvenirs, nos archives. Nous avons toutes ces informations, mais ensuite, nous imposons une structure.
Pour en revenir à ta question, ABC était un travail qui se situait à l'intérieur du mainstream mais qui en repousait les limites. Promethea est une BD mythologique et occulte écrite à ma maniére, genre qui ouvre de multiples voies nouvelles dans l'art de conter des histoires.
[Silence]
.... Le Promethea n° 14, qui se situe dans la grande Cabala Quest, explore le royaume lunaire et je l'ai lié à cet écrivain du XIXième siècle John Kendrick Bangs qui a écrit cette histoire intitulée The Houseboat on the Styx (La Péniche sur le Styx) ...... pour la couverture de ce numéro j'ai pensé, et si on mettait L'Île des Morts de Böcklin, ou Gustave Doré. Pour le n° 15 c'est le royaume de Mercure, nous l'avons construit autours de puzzles de maths et de sciences, un peu comme chez Escher, avec la couleur orange qu'il utilisait beaucoup en couleur secondaire. Alors oui, tu as sûrement raison.
Artemus Dada : Tiens, en parlant de John Kendrick Bangs, y a-t-il un rapport avec le nom de Sophie Bangs (NdR : l'alter ego de Promethea) ?
Alan Moore : Non, en fait, j'ai donné à Sophie Bangs le nom de Lester Bangs l'un de mes compositeurs de rock préférés.
Artemus Dada : Peux-tu, pour terminer nous dire quelques mots sur la magie, puisque depuis quelques années tu es devenu magicien ?
Alan Moore : La magie est devenue aussi naturelle dans ma vie que le fait de respirer ou de se lever le matin, Promethea a d'ailleurs fait de moi un bien meilleur magicien.
La magie n'est pas vraiment une manière d'accéder à d'autres dimensions même s'il y a un peu de cela, il s'agit surtout d'avoir un regard différent sur l'univers. On a dit que les perceptions humaines peuvent être vues comme nos fenêtres individuelles sur l'univers, hé bien le magicien essaie consciemment de modifier l'angle ou la taille de sa fenêtre ; pour obtenir une vue différente du paysage extérieur.
C'est aussi un nouveau langage, grâce auquel nos vies ordinaires peuvent être exprimées de façon plus lumineuse. Aleister Crowley a dit que la magie est fondamentalement une maladie du langage, [Rire] .... grammaire et grimoire ont d'ailleurs la même racine.
Tout a démarré avec les chamans dans les cavernes. Ils ont inventé le culte, la médecine et l'écriture ; dans la plupart des sociétés tribales et anciennes le dieu de la magie et d'ailleurs le même que celui de l'écriture.
Les premières langues sont des bandes dessinées. Les pictogrammes chinois, les idéogrammes, ont inventé le symbolisme : une hutte ressemble à une hutte, le symbole du riz ressemble à du riz, etc ... La phrase est devenue une suite de dessins, et c'est l'une des premières manières d'écrire des phrases. Tout acte créatif qui part de rien pour créer quelque chose est une forme de magie ; et c'est l'essence même des comics.
Artemus Dada : Et concrètement, comment cela s'est-il passé, je veux dire, ta première expérience magique ?
Alan Moore : Comme tu le sais, l'idée a fait son chemin, notamment en écrivant From Hell et aussi grâce Steve (NdR : Steve Moore un ami d'Alan très branché là-dessus), bref le jour de mes quarante ans plutôt que d'ennuyer mes amis avec une crise de la 40aine, trop mondain, j'ai pensé qu'il était plus intéressant de les effrayer en devenant complètement fou et en annonçant que j'étais magicien, et le 7 janvier 1994 au cours d'une tentative de rituel avec Steve, quelque chose ..... d'inhabituel est arrivé.
Il me semble que nous avons eu une sorte de contact avec un genre d'entité et qu'une somme d'informations nous a imprégnée, pénétrée. Ce fut en tout cas suffisant pour me convaincre moi !
J'ai donc continué à travailler avec ce matériel, à chercher ce que c'était, ce que je pouvais en faire. Le tout est en tout cas très révélateur, très régénérant.
Artemus Dada : Et cette entité que tu as ressenti c'est ....
Alan Moore : .... un dieu-serpent de l'époque romaine, Glycon déjà évoqué par Alexandre d'Abonotichos, un philosophe qui a parcourut l'Asie Mineure accompagné de ce serpent miraculeux qui devint un roi. Voilà toute l'histoire.
Artemus Dada : Bon Alan je te remercie pour cet entretien, mais c'est moi qui paye le téléphone, alors bises à Melinda, mes respects à Glycon, et à la prochaine.
Alan Moore : Quand tu veux Arty, et bon Fulchibar à toi.
Un moment propice pour en parler avec l'un des auteurs.
Artemus Dada : Bonan tagon Alan. Dis-moi, revenons sur America's Best Comics, qu'avais-tu en tête lorsque tu as lancé le label ?
Alan Moore : Good morning Arty ! Tu sais, avec America's Best Comics je voulais produire des comics amusants et émouvants, en un mot imaginatifs. De bons comics de super-héros mainstream, distrayants et intellectuellement stimulants ; du genre de ceux que j'aime écrire et que j'aime lire. Je voulais ainsi tenter de revitaliser un tant soit peu la bande dessinée américaine. America's Best Comics n'a pas sauvé à lui tout seul l'industrie des comics, c'est sûr [rire] mais c'est en tout cas ce que j'ai pu faire de mieux à mon niveau.
Artemus Dada : Parlons maintenant si tu veux, de Promethea.
Alan Moore : C'était un sale boulot, mais il fallait que quelqu'un le fasse. [Rire communicatif] Avec Promethea j'ai voulu explorer ce concept de l'héroïne glamour, tu sais ; une bonne idée qui n'avait, à mon sens, jamais été très bien exploitée .
Mon approche a été de détourner quelque peu cet archétype basique pour construire des scénarios bizarrement structurés et raconter des histoires d'avant-garde.
Artemus Dada : Tu avais déjà tenté ce genre d'expérience à tes débuts, avec Marvelman ?
Alan Moore : [Rire] Tu as bonne mémoire, c'est vrai avec Marvelman j'ai fait une sorte de "révisionnisme expérimental" [Rire]. Prendre un personnage complètement oublié alors, lui donner un nouvel angle, et envoyer ce super-héros dans des régions expérimentales.
Par exemple, pour revenir à Promethea, pour le numéro 12 je me souviens avoir été marqué dans les années 60 par un magazine dans lequel les articles et les strips de comics n'étaient pas agencés comme d'habitude. Ils s'étalaient littéralement dans tout le le magazine , et ça donnait un continuum intéressant.
Ça ne fonctionnait pas complètement, mais j'ai bien aimé l'idée, et je me suis dit qu'avec un peu plus de travail et d'application ça pouvait faire un bon moyen de raconter différemment une histoire de comics.
Et que ça serait une expérience unique de toute façon.
Artemus Dada : Alan, tu sais ce que disait Kipling sur la meilleure méthode pour écrire un livre ?
Alan Moore : "Commencer par le commencement" [Rire].
Artemus Dada : Tout juste (Auguste), alors revenons au départ de cette odyssée.
Alan Moore : Au début, je cherchais à introduire les grands concepts de la magie : les quatre éléments, les quatre armes, les quatre suites du Tarot.
À partir du numéro 12, je me suis dit que l'on pourrait en profiter pour expliquer la Kabbale. C'est un système spirituel et magique très visuel. Se faisant, nous avons dû perdre plusieurs milliers de lecteurs mais ce fut incroyable.
C'est le plus complexe de mes comics ; il présente des concepts très anciens et certains numéros peuvent être assemblés différemment en changeant l'ordre des pages, ça permet de découvrir certains secrets.
Artemus Dada : Promethea n'est pas seulement une formidable bande dessinée, ou un manuel destiné à des Castors Juniors férus de magie, c'est aussi un exploration de l'Imagination ?
Alan Moore : Tout d'abord, je voudrais préciser que l'imagination est une composante de la réalité et qu'elle ne peut pas être vraiment étudiée comme une entité séparée. Ceci étant dit, l'Histoire est aussi une fiction, et je pense qu'il est dangereux de la considérer autrement. Nous avons nos souvenirs, nos archives. Nous avons toutes ces informations, mais ensuite, nous imposons une structure.
Pour en revenir à ta question, ABC était un travail qui se situait à l'intérieur du mainstream mais qui en repousait les limites. Promethea est une BD mythologique et occulte écrite à ma maniére, genre qui ouvre de multiples voies nouvelles dans l'art de conter des histoires.
[Silence]
.... Le Promethea n° 14, qui se situe dans la grande Cabala Quest, explore le royaume lunaire et je l'ai lié à cet écrivain du XIXième siècle John Kendrick Bangs qui a écrit cette histoire intitulée The Houseboat on the Styx (La Péniche sur le Styx) ...... pour la couverture de ce numéro j'ai pensé, et si on mettait L'Île des Morts de Böcklin, ou Gustave Doré. Pour le n° 15 c'est le royaume de Mercure, nous l'avons construit autours de puzzles de maths et de sciences, un peu comme chez Escher, avec la couleur orange qu'il utilisait beaucoup en couleur secondaire. Alors oui, tu as sûrement raison.
Artemus Dada : Tiens, en parlant de John Kendrick Bangs, y a-t-il un rapport avec le nom de Sophie Bangs (NdR : l'alter ego de Promethea) ?
Alan Moore : Non, en fait, j'ai donné à Sophie Bangs le nom de Lester Bangs l'un de mes compositeurs de rock préférés.
Artemus Dada : Peux-tu, pour terminer nous dire quelques mots sur la magie, puisque depuis quelques années tu es devenu magicien ?
Alan Moore : La magie est devenue aussi naturelle dans ma vie que le fait de respirer ou de se lever le matin, Promethea a d'ailleurs fait de moi un bien meilleur magicien.
La magie n'est pas vraiment une manière d'accéder à d'autres dimensions même s'il y a un peu de cela, il s'agit surtout d'avoir un regard différent sur l'univers. On a dit que les perceptions humaines peuvent être vues comme nos fenêtres individuelles sur l'univers, hé bien le magicien essaie consciemment de modifier l'angle ou la taille de sa fenêtre ; pour obtenir une vue différente du paysage extérieur.
C'est aussi un nouveau langage, grâce auquel nos vies ordinaires peuvent être exprimées de façon plus lumineuse. Aleister Crowley a dit que la magie est fondamentalement une maladie du langage, [Rire] .... grammaire et grimoire ont d'ailleurs la même racine.
Tout a démarré avec les chamans dans les cavernes. Ils ont inventé le culte, la médecine et l'écriture ; dans la plupart des sociétés tribales et anciennes le dieu de la magie et d'ailleurs le même que celui de l'écriture.
Les premières langues sont des bandes dessinées. Les pictogrammes chinois, les idéogrammes, ont inventé le symbolisme : une hutte ressemble à une hutte, le symbole du riz ressemble à du riz, etc ... La phrase est devenue une suite de dessins, et c'est l'une des premières manières d'écrire des phrases. Tout acte créatif qui part de rien pour créer quelque chose est une forme de magie ; et c'est l'essence même des comics.
Artemus Dada : Et concrètement, comment cela s'est-il passé, je veux dire, ta première expérience magique ?
Alan Moore : Comme tu le sais, l'idée a fait son chemin, notamment en écrivant From Hell et aussi grâce Steve (NdR : Steve Moore un ami d'Alan très branché là-dessus), bref le jour de mes quarante ans plutôt que d'ennuyer mes amis avec une crise de la 40aine, trop mondain, j'ai pensé qu'il était plus intéressant de les effrayer en devenant complètement fou et en annonçant que j'étais magicien, et le 7 janvier 1994 au cours d'une tentative de rituel avec Steve, quelque chose ..... d'inhabituel est arrivé.
Il me semble que nous avons eu une sorte de contact avec un genre d'entité et qu'une somme d'informations nous a imprégnée, pénétrée. Ce fut en tout cas suffisant pour me convaincre moi !
J'ai donc continué à travailler avec ce matériel, à chercher ce que c'était, ce que je pouvais en faire. Le tout est en tout cas très révélateur, très régénérant.
Artemus Dada : Et cette entité que tu as ressenti c'est ....
Alan Moore : .... un dieu-serpent de l'époque romaine, Glycon déjà évoqué par Alexandre d'Abonotichos, un philosophe qui a parcourut l'Asie Mineure accompagné de ce serpent miraculeux qui devint un roi. Voilà toute l'histoire.
Artemus Dada : Bon Alan je te remercie pour cet entretien, mais c'est moi qui paye le téléphone, alors bises à Melinda, mes respects à Glycon, et à la prochaine.
Alan Moore : Quand tu veux Arty, et bon Fulchibar à toi.
Trop fort, Artemus il a le téléphone d'Alan Moore !
RépondreSupprimerIl s'agit d'un téléphone arabe, essentiellement.
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