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Howard the Duck, les origines

••• C'est dans les pages d'Adventure into Fear #19 (date de couverture : décembre 1973), l'un des premiers titres réguliers confiés à Steve Gerber lors de son arrivée dans les locaux de la Maison des Idées, qu'est apparu Howard the Duck. Le palmipède au cigare y fait une entrée remarquée, au même titre qu'un dénommé Korrek, "barbare" de son état comme on a pu le dire de Conan, né d'un pot de beurre de cacahuète !
Leur hôte n'est autre que Man-Thing le mutique homme-chose des Everglades.
Howard est habillé par Val Mayerik d'une veste de costume, d'une chemise ;  il porte une cravate et un chapeau, ainsi que des gants - dans la tradition des animaux anthropomorphiques - qui recouvrent quatre doigts.
Il a un cigare au bec & des guêtres.
Gerber dotera sa créature du rude caractère brooklynien, mais selon lui l'apparence d'Howard est le fruit de l'imagination de Val Mayerik. À l'époque Steve est à New York et Val dans l'Ohio, et ils n'avaient même pas l'équivalent de 5 cents pour les appels longue distance se souviendra Gerber, ce dernier aurait surtout insisté pour que ce canard-là ne ressemble pas à celui de Walt Disney,  le célèbre Donald Duck.

L'idée d'Howard le Canard est venue à Steve alors qu'il vivait à Brooklyn, ce jour-là un gars devait avoir utilisé toutes ses économies pour acheter une stéréo parce qu'il ne passait qu'un seul et même disque, un disque de salsa. Cette musique, la répétition de cet unique disque a mis dans une sorte de transe le jeune scénariste qui s'est attelé à taper sur sa machine à écrire quelque chose à propos d'un canard qui émerge de derrière des arbustes dans un marais.
Roy Thomas verra d'un mauvais œil dit-on l'arrivée d'un tel personnage dans un comic book sérieux, avec des humains, contrairement aux histoires de funny animals (animaux rigolos). Il est vrai qu'Adventure into Fear était un comic book d'horreur avant tout.
Il presse donc Gerber de se débarrasser rapidement du nouvel arrivant, ce qui sera fait dans Man-Thing #1, suite directe des aventures de la créature du marais, Morbius devant l'hôte d'Adventure into Fear #20.
Rendons à César .. Deadpool #250
Seulement c'était compter sans les lecteurs dont une partie demandera le retour d'Howard, un retour qui s'effectuera dans les pages de Giant-Size Man-Thing n°4 (Mai 1975), oui entre temps la créature du marais a acquis une série à son nom.
La légende veut qu'un paquet arriva un jour dans les bureaux du Bullpen de Marvel, peu après la disparition du volatil amateur de tabac, contenant la carcasse d'un canard et un mot disant : "Meurtriers, comment avez-vous pu oser tuer ce canard ?".
Courrier des lecteurs Man-Thing #5
Cette fois c'est à Cleveland (là où est né Superman) qu'Howard atterrit, et la même année, en 1975 donc, Howard le Canard se voit confier son propre mensuel, résultat d'une notoriété suffisante auprès du public.
Toutefois Marvel en la personne du responsable des ventes d'alors Ed Shukin, ne croyait vraisemblablement qu'à moitié au succès d'une telle série, et n'imprima que 275.000 exemplaires c'est-à-dire le minimum pour un comic book de ce type, et ce qui devait arriver arriva, le premier numéro devint très dur à trouver et fit la joie des spéculateur. 
D'autant que peu de numéros arrivèrent dans le newsstand market c'est-à-dire les supermarchés, les papeteries, les épiceries, les magasins de jouets et les kiosques (à cette époque les comic shops  - magasins spécialisés dans la bande dessinée - et le direct market n'existent pas encore ou disons que c'est encore balbutiant) car des spéculateurs de tout poil en avaient acheté autant que possible avant leur mise en vente, créant des conditions artificielles pour en faire un numéro rare. Et cher.
Marvel Treasury Edition  #12
Jim Kovacs de Cleveland, a ainsi prétendu avoir acheté 900 exemplaires le jour de sortie du premier numéro. Il a dit qu’il a suivi le camion du diffuseur alors qu’il faisait ses livraisons.
On trouve notamment dans le Washington Post du 27 décembre 1977 (sous la plume de Kenneth Turan) et repris par d’autres journaux comme The Tuscaloosa News du 30 décembre 1977 son témoignage : «Tout le monde criait "on veut plus d’Howard the Duck, donnez-nous en plus". Ce personnage était celui que tout le monde recherchait, vous savez il allait devenir un hit. » Dans tout le pays la même chose s’est répétée, les vendeurs et les spéculateurs ont fait la même chose que Jim Kovacs, faisant instantanément du numéro 1 d’HtD un numéro collector, une rareté, vendu parfois jusqu’à 25 $. 
Et des rumeurs ont commencé à courir, comme quoi sa rareté serait due à tout un tas de chose comme l’attaque des camions de livraison, une erreur des ordinateurs qui auraient envoyé toute la production au Canada, etc. Ce qu’on fait Jim Kovacs et les autres vendeurs avec le premier numéro d’HtD semble rejoindre ce que je mettais en lumière ici concernant une fraude généralisée du marché des comic books durant les années 70 :
« [...] des dysfonctionnements de grande ampleur étaient imputables au système des "retours sur l'honneur" (affidavit returns), qui encourageait la fraude au niveau de la distribution locale : au cours des années 60, afin de faire des économie (car l'opération était à leurs frais), les gros éditeurs avaient cessé de demander aux distributeurs et aux grossistes de leur envoyer les couvertures des invendus comme base de calcul de ce qu'ils devaient ; ainsi s'était mis en place un fonctionnement allégé dans lequel les grossistes déclaraient "sur l'honneur", sans avoir a en fournir les preuves, combien d'exemplaires avaient été retournés pour être pilonnés ; en l'absence de tout contrôle, ils étaient en fait nombreux à revendre au noir des milliers d'exemplaires officiellement détruits et à facturer leur valeur comme futur crédit auprès des éditeurs. Le résultat de cette fraude généralisée était qu'en 1974, selon toute vraisemblance, seul un quart de la totalité des comic books imprimés était physiquement mis en vente chez les détaillants. [..] ».
Des Comics et des hommes - Histoire culturelle des comic books aux Etats-Unis. Jean-Paul Gabilliet
On pourra également consulter l’article de Robert Beerbohm intitulé Secrets of the Direct Market  dans le Comic Book Artist n°6 dans lequel ce dernier apporte des éléments concernant la fraude dite des affidavit returns

C'est ainsi qu'en 1977 le prix moyen du numéro 1 valait encore 12,50 $ pour un prix de vente initial de 0,25 $.
Selon Steve Gerber, plutôt furieux, si le premier numéro avait été vendu normalement, plutôt qu'avec parcimonie pour pourvoir spéculer dessus, la série tout entière aurait bénéficiée de meilleurs ventes.
Toujours est-il que durant l'été 1976 Marvel propose de nouveau cette première aventure avec ce qui est déjà paru sur le personnage ainsi qu'une nouvelle aventure, le tout au format tabloïd (Marvel Treasury Edition #12).

En 1977 HtD est imprimé à environ 400.000 exemplaires par numéro et la bonne santé du titre s'exprime également par son passage de bi-mensuel à mensuel.

L'une des particularités du personnage c'est que contre tout attente il n'est pas un toon, contrairement à Vile Coyote par exemple, s'il se fait rouler dessus par une voiture il ne s'aplatit pas comme un crêpe mais se retrouve dans le même état qu'un être humain pourrait l'être à sa place. Il est fait de chair et de sang, simplement il vient d'une planète située dans une autre dimension d'où son apparence. Cependant Gerber ne baptisera jamais le monde d'Howard, contrairement à certains de ceux qui prendront sa suite.

La première aventure d'Howard dans son propre magazine commence par un scène qui indique clairement qu'il ne s'agit pas d'une bande dessinée pour les plus jeunes lecteurs, contrairement à ce que pourrait laisser penser la présence d'un canard anthropomorphique. En effet notre héros pense au suicide.
Puis, rapidement le lecteur se retrouve dans un environnement qui appartient à l'Heroic fantasy ; Gerber avait confié lors d'un dîner à Frank Brunner le dessinateur de ce premier numéro qu'il avait envie d'écrire une histoire de ce genre (sword and sorcery selon ses propres mots), Brunner s'était montré enthousiaste venant lui-même du fandom sword and sorcery ; par ailleurs son style, inspiré ouvertement de Frank Frazetta, ne pouvait que s'épanouir sous cet auspice.
Cependant si les poncifs du genre sont présents l'aventure de l'intrépide Howard commence par l'escalade d'un château dont les murs sont faits de ..... cartes de crédits en plastique.

C'est Mary Skrenes, une amie et occasionnellement collaboratrice de Gerber qui baptisera du prénom de Beverly l'amie qu'Howard rencontrera à cette occasion, Gerber natif de Saint Louis dans le Missouri ajoutera Switzer en souvenir du Switzer Hall situé sur le campus de l'université de Columbia (MO).
Si Spider-Man fait une apparition remarquée dans ce premier numéro c'est uniquement par la volonté du scénariste qui pensait que ça serait plutôt bizarre vu le contexte.
Et effectivement dès ce premier épisode Steve Gerber pose les bases d'une série qui deviendra quelque chose comme la rencontre d'un parapluie et d'une machine à coudre sur une table de dissection.
Le parapluie c'est notre monde quotidien, une surface molle & sans surprise où le regard ne fait que glisser. La machine à coudre, ou plutôt à découdre c'est Howard ; c'est l'étranger, l'intrus, le bizarre qui nous dévoile abruptement les rouages scintillants et les manivelles tournoyantes de ce monde.
La table de dissection ce sont les pages de ces comic books qui organisent la rencontre surréaliste du parapluie et de la machine à (dé)coudre.

(À suivre ....)

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