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L’Émissaire (Interloper) Poul Anderson

J'aime beaucoup Poul Anderson, surtout "celui" qui écrit de la fantasy, et cette nouvelle est celle qui m'a le plus émerveillé. 

L’émissaire (Interloper) par POUL ANDERSON

La torpille interstellaire, se servant de ses rayons de gravité, descendit lentement et fortuitement sur la mer dont les flots agités roulaient au clair de lune. Pendant un instant la lumière lunaire brisée sembla s’étendre du point de chute vers l’extérieur en anneaux concentriques de vaguelettes brillant d’un éclat froid, puis la torpille disparut sous la surface de l’eau. Elle atteignit le fond à peu de profondeur, la côte ne se trouvait qu’à environ cinq cents mètres, et y resta couchée enveloppée d’obscurité. Pendant un bon moment il n’y eut pas le moindre mouvement, pas le moindre son. Puis la porte extérieure du sas à air s’ouvrit et Beoric remonta à la surface en nageant. Autour de lui s’étendait la nuit immense et sombre. Il voyait très distinctement dans la faible clarté inconstante de la lune, mais ne pût distinguer âme qui vive nulle part. Il n’y avait que la mer et le ciel et l’ombre de la côte, aussi pendant un instant la pensée de ce qui l’attendait lui causa-t-elle une appréhension terrible. Il lui sembla que son cœur était de glace. Au cours de tous les siècles de son existence, il ne s’était encore jamais senti aussi seul. Il eut l’impression de l’ultime solitude de la mort. Une pensée atteignit alors son cerveau, froide et inhumaine comme les profondeurs de la mer d’où elle venait d’être lancée : « La créature est en train d’attendre. Elle attend depuis une heure ou plus, tapie dans l’ombre des arbres. » La « pensée-réponse » de Beoric trahit une réaction proche de la panique : « Attention ! Après tout, ils sont peut-être capables de capter nos pensées…» La réplique lui parvint aussitôt : « Pendant des milliers d’années ils n’ont jamais donné le moindre signe nous permettant de supposer qu’ils sont sensibles à notre gamme d’ondes particulière. Évidemment il est préférable de ne pas prendre de risques inutiles et nous limiterons maintenant nos communications à l’indispensable, mais, naturellement, nous resterons constamment à l’écoute de tes pensées. » « Tu n’es pas seul. » Cette nouvelle pensée lui parvenait maintenant du rivage, de quelque part au-delà de la rangée d’arbres sous laquelle l’attendait l’étranger. « Nous sommes avec toi, Beoric. » 
Ceci le réconforta beaucoup. Quoi qu’il arrive, quoi qu’il se produise, il ne serait jamais complètement seul. Quoique toutes les puissances de l’univers soient contre lui, il avait tout de même quelques forces à ses côtés. Mais… en si petit nombre ! Nageant à longues brasses souples, paraissant glisser sur les vagues, il se dirigea vers le rivage. La plage, blanche au clair de lune, se rapprocha. Il prit pied quand il eut atteint les eaux basses et remonta sur le sable sec. 
La créature qui l’attendait bougea dans l’ombre. Beoric était nyctalope. Ses yeux distinguèrent cette grosse masse noire et, une fois de plus, la peur lui fit passer un frisson glacé dans le dos. Maintenant, il était trop tard pour abandonner, pour revenir en arrière, même s’il avait voulu le faire après ces longs siècles d’attente dont cette nuit allait peut-être devenir le point culminant. Trop tard ! 
Il traversa la plage en courant et se dissimula derrière un arbre, comme si la créature n’avait pu le voir. Puis il envoya ses pensées sonder le cerveau de cette « chose » pour essayer de découvrir si elle était intelligente ou non. Si elle appartenait à la race dominante de cette planète, la première chose à faire serait de lui contrôler le cerveau et… 
La réaction défensive fut si rapide, si puissante et si féroce que Beoric sentit son esprit vaciller. Pendant un instant, il fut pris de vertige et éprouva la sensation de s’abîmer dans une obscurité impénétrable… c’est la chose qui fut à un cheveu de le contrôler ! Puis son énergie nerveuse revint à flots, il protégea son cerveau par un blindage impénétrable et émit une pensée perçante sur la longueur d’ondes télépathiques universellement détectable : 
— « Votre race semble avoir maîtrisé les secrets de la télépathie. Si vous avez atteint un tel point de progrès, il ne vous sera certainement pas difficile de deviner mon origine. » 
— « Pas la deviner… l’apprendre. » La pensée-réponse vibra violemment dans le cerveau de Beoric. Ce grand corps à écailles devait renfermer une puissance incroyable. Il avait cru saisir une intention sardonique : « Au premier abord, j’avais pensé que vous deviez être un naturel de ce pays… vous avez presque la même apparence qu’eux… mais évidemment, ce n’est pas ça. » 
— « Alors… vous aussi… n’êtes pas d’ici ? » 
— « Bien sûr que non. D’où que vous soyez, vous devez certainement venir de très loin, car autrement nous aurions déjà rencontré des êtres de votre espèce. Cependant, votre première réaction, en vous rendant compte de ma présence ici, suggère que vous avez une grande habitude du concept et de la technique de visite des planètes appartenant à d’autres. » 
— « En effet ! » Au plus profond du domaine de ses pensées secrètes, Beoric sentit brusquement ce rire rauque qui lui était particulier. Oui, en effet, il avait cette habitude ! « Cependant, je ne m’étais pas attendu à trouver d’autres… visiteurs… sur ce monde. » 
Il sortit en terrain découvert. La lune brillait, froide, sur sa tunique mouillée mais imperméable. Ses yeux en amande, totalement bleu opalin, sans pupilles ni blanc, fouillaient les ténèbres où le monstre était tapi. 
— « Allons, montrez-vous donc, » dit-il. « Montrez-vous et venez me souhaiter la bienvenue. » 
— « Mais naturellement. » La créature trapue, d’une grosseur énorme, sortit de l’ombre en se dandinant et apparut à la clarté de la lune. Ses yeux inexpressifs de reptile brillèrent en scrutant Beoric. Instinctivement, le nouvel arrivant dressa ses longues oreilles pointues en direction du monstre, quoique les mots qui se détaillaient et frappaient son cerveau n’eussent aucune origine sonique. 
— « Oui… oui, vous ressemblez beaucoup aux naturels d’ici. Sauf en ce qui concerne vos yeux et vos oreilles… mais des lunettes noires et un chapeau cacheront très bien tout ça. Ce visage aux pommettes hautes et saillantes, et cette peau très blanche risqueront peut-être d’attirer l’attention, mais certainement pas au point de soulever beaucoup de commentaires. » 
— « Voyons que je m’oriente un peu, » pensa Beoric. « Quelle est exactement cette planète ? Je veux dire comment l’appelle-t-on ? » 
— « Les naturels l’appellent la Terre. Toutes les races habitant une terre n’appellent-ils pas leur monde la Terre ? La prononciation dans la langue locale – ils parlent encore de nombreuses langues ici – est… » Le monstre pensa le son. « Ils appellent le soleil Sol et nous employons ce terme étant donné qu’il est facile à prononcer et que toutes nos appellations différent. Quant à nous, nous désignons cette planète sous le nom de Sol III, ainsi que vous le savez probablement. » 
— « Oui, en effet, je savais que c’est la troisième planète de l’étoile Sol. Mais qui sont ces « nous » ? Y aurait-il plus d’une race de… visiteurs ici ? » 
— « Mais certainement… certainement ! » Puis, devenant brusquement méfiant : « Il me semble que je ne fais que répondre à des questions de votre part. Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Où sont vos compagnons ? Quelles sont vos intentions ? Pourquoi n’y a-t-il pas de fer dans votre torpille interstellaire ? Quelle sorte de civilisation votre race a-t-elle atteinte ? » Beoric, tendu, répondit avec prudence : 
— « Une seule chose à la fois. Il n’entre nullement dans mes intentions de vous donner des informations gratuitement, je suis prêt à les échanger contre les renseignements que vous pourrez me donner. Vous ne pouvez tout de même pas vous attendre à ce que, ayant découvert toute une nouvelle civilisation interstellaire, je vous révèle tous les secrets de la mienne avant de m’être convaincu de vos intentions amicales. » 
— « Cela me semble parfaitement équitable. Mais j’aimerais néanmoins savoir qui vous êtes ? » 
— « Dans la langue parlée de ma race mon nom est Beoric, quoique ceci ne puisse certainement pas avoir grande importance. Mon astre natal se trouve de l’autre côté de la Galaxie, près du pourtour. Pour le moment je ne tiens pas à être plus précis. Depuis assez longtemps déjà, en fait, il y a plusieurs siècles de ça, ma race, les Alfes, a mis au point un système de propulsion plus rapide que la lumière, et nous avons visité les étoiles les plus proches. Finalement, l’expédition dont je fais partie fut chargée de circumnaviguer la Galaxie, explorant des planètes d’étoiles choisies au hasard, afin de nous faire une idée des conditions générales. Mais comme, nécessairement, nous avons été obligés de sélectionner une petite fraction de tous les astres à étudier, il n’est pas du tout surprenant que nous ayons traversé votre civilisation sans même nous en rendre compte. » 
— « Où est l’astronef de votre expédition ? Cette petite torpille de laquelle vous venez de débarquer ne saurait transporter plus d’une ou de deux personnes. » 
— « Vous ne vous imaginez pas que je vais vous révéler l’orbite de notre astronef. Je suis descendu tout seul dans cette petite torpille. La présence de villes sur cette planète indiquait une vie intelligente, avec un certain degré de technique, aussi ai-je débarqué – naturellement en secret – pour me livrer à une enquête plus approfondie. Mais il semble que vous ayez détecté notre présence à une certaine distance déjà. » 
— « Oui, nous avons repéré votre torpille par les vibrations de ses rayons de gravité. Mais, par contre, nous avons été incapables de percevoir la moindre trace de votre astronef. Quel genre d’écran utilisez-vous pour les vibrations du moteur stellaire ? Nous n’avons jamais réussi à les supprimer aussi complètement. Et pourquoi votre torpille est-elle à propulsion chimique ? » 
— « Je ne saurais vous révéler le secret de l’écran à vibrations. Quant à notre torpille à moteur à huile… eh bien ! Sur Alfar, nous avons réussi à mettre au point une technique très perfectionnée des réacteurs à huile. Étant donné l’efficacité du rayon de gravité, nous pouvons tout simplement nous passer d’énergie atomique pour un aussi petit engin. » 
— « Ah, je comprends. Mais je n’ai pu détecter ni fer, ni argent dans votre torpille…»
 — « Ces deux métaux sont difficiles à obtenir sur Alfar. Nous nous arrangeons fort bien avec des alliages et du cuivre. » Beoric se pencha en avant comme s’il se rendait subitement compte qu’il divulguait trop de choses. 
— « À votre tour à présent. Qui êtes-vous ? Pourquoi êtes-vous ici ? Pourquoi cette inquisition plutôt qu’un accueil aimable ? » 
— « C’est une longue histoire, » pensa le monstre, « et du reste vous n’avez certainement pas été un modèle de franchise. Néanmoins, je vous souhaite la bienvenue sur la Terre. Petit-être aimeriez-vous venir à notre Quartier général ?… » 
— « Eh bien !… ce serait certainement le point de départ qui conviendrait le mieux… Cependant, je tiens à vous prévenir que si je ne suis pas de retour sur mon astronef au bout de trois révolutions de cette planète, on viendra me chercher… armes en mains. » 
— « N’ayez aucune crainte. Nous ne sommes pas avides. La Terre est suffisamment riche pour nous tous. » Beoric observait la figure osseuse du monstre, se terminant en un museau. Il avait l’impression qu’il arrivait presque à suivre les pensées secrètes de la créature : 
D’où que vienne cet être, qu’il-dise la vérité ou non, il doit être seul sur cette planète. Nous aurions repéré n’importe quel astronef qui aurait atterri quelque part. En outre, il est coupé de ses compagnons. La loi des carrés inverses ne permet pas d’envoyer une pensée à plus de quelques centaines de kilomètres au maximum, et son astronef doit certainement être plus loin dans l’espace car sans cela nous l’aurions détecté. Il est seul, sans armes et incapable de communiquer avec les siens. En trois jours, nous aurons bien le temps de décider que faire…
 — « Mon nom vocal est Hraagung. Venez, une voiture nous attend. » 
— « Une voiture ?…» 
— « Mais, oui, naturellement. » Hraagung eut un horrible ricanement sardonique. « J’avais été désigné pour vous accueillir, du fait que mes sens me permettent de suivre le métal de votre torpille sans instruments compliqués. Mais à cause de mon aspect, il ne m’est pas possible de circuler ouvertement sur cette planète. » 
— « Je serai obligé de me mettre à l’abri avant l’aube, » pensa Beoric. « Sur Alfar le soleil est diffus et rouge, presque éteint. C’est pourquoi je suis capable de voir très nettement au clair de lune, mais je ne puis supporter l’éclat et les rayons ultra-violets d’un astre du type G. » 
— « Tiens ! » Hraagung s’interrompit et Beoric put presque le voir méditer cette révélation dans son cerveau. C’était évidemment un aveu de faiblesse de sa part, mais il avait été obligé de le faire. Du reste cela ne tirait pas à conséquence dans cette civilisation hautement développée avec ses écrans et ses vêtements protecteurs. « Et qu’auriez-vous fait si vous ne m’aviez pas rencontré ? » 
— « Je me serais forcément caché pendant le jour et j’aurais dormi. L’éclairage des villes nous avait prouvé que les créatures habitant cette planète devaient être diurnes, ce qui ne faisait que rendre plus facile ma mission d’espionnage. » 
— « Oui… certainement. Eh bien ! nous n’avons pas loin à aller. Par ici. » 
Le monstre prit lourdement les devants. Beoric tordit ses cheveux mouillés, d’un blond argentin, lui tombant jusqu’aux épaules, et le suivit. Ils traversèrent le bosquet d’arbres et débouchèrent sur une route. Une automobile terrienne y était garée. Une conduite intérieure, à quatre roues, évidemment à propulsion chimique. En s’en approchant, Beoric sentit un froid subit glacer ses nerfs… ce qui signifiait : du fer
Il s’y était attendu, mais cela ne facilitait nullement les choses. Chacun de ses instincts lui hurlait de ne pas approcher de cette voiture. Fer… fer… fer… tu n’as qu’à le toucher pour voir ta main partir en fumée ! Du fer… du fer froid… à l’affût ici, au clair de lune ! 
Mais il allait être obligé d’entrer dans cette boîte métallique. Pas un seul instant il ne lui faudrait montrer cette peur qui déchirait ses nerfs tendus et obscurcissait son cerveau. S’ils savaient, s’ils découvraient cette faiblesse fatale des Alfes, c’en était fait de lui. Un millénaire de travail lent et patient, de projets et d’attente aurait été accompli en vain… c’en serait fait de la Terre. Et dire que tout reposait uniquement sur ses épaules. Pendant un instant, il ne parvint pas à se résoudre à monter dans la voiture. Malgré tout son courage et son esprit de décision, malgré le fait sinistre qu’il était obligé de le faire… il s’en sentait incapable. Il ne réussissait pas à surmonter les réflexes qui nouaient ses muscles, annihilaient sa volonté et faisaient perler une sueur froide et amère sur tout son corps. « Du courage ! » 
Cette pensée s’implanta, vibrante, au plus profond de son cerveau. Elle provenait de la mer, des champs au-delà de la route, des arbres qui étaient là murmurant dans le vent de la nuit : « Du courage Beoric ! Tu n’es pas seul ! » 
Mais ils lui envoyaient beaucoup plus que ces pensées. Un véritable influx d’énergie nerveuse envahissait son corps, une force physique le pénétrait brusquement, le fortifiant, calmant les battements frénétiques de son cœur et la tempête panique de son cerveau. Il redevint calme et avança hardiment. 
Un homme se tenait à côté de la voiture. Non… pas un homme, pas un Terrien, quoiqu’il en eût l’aspect et en portât la chemise, le pantalon, le veston et tout l’accessoire vestimentaire conventionnel des naturels de la planète. Il était de grande taille, aussi grand que Beoric et l’Alfe se rendait compte de la force qui était en lui, enroulée dans son corps maigre et dans son crâne allongé, force pareille à celle d’un serpent glacé. La véritable « aura » d’intelligence formidable et de force nerveuse qui émanait de lui ne pouvait se dissimuler. Elle envahissait les ondes télépathiques et s’imposait brutalement sur les nerfs de Beoric et de Hraagung. L’étranger avait écouté leur conversation sur la plage. Maintenant ses pensées arrivaient, lentes et… profondes… « Soyez le bienvenu, Beoric d’Alfar. J’espère que votre séjour sur cette planète sera plaisant et que nous en bénéficierons mutuellement. Je suis… – ma race a complètement abandonné la langue parlée – mais sur cette planète je porte le nom vocal d’Adam Kane. » Il détecta une question de Beoric, l’Alfe ayant perçu des harmoniques de sa pensée. 
— « Oui, ma race ressemble tellement aux Terriens – extérieurement – qu’une légère intervention chirurgicale nous permet de circuler sur la Terre sans éveiller l’attention. Il faut bien que quelqu’un se charge du rôle d’intermédiaire entre les étrangers et les naturels et c’est à nous que ce rôle est dévolu. En fait, cela est extrêmement utile, même indispensable, pour les entreprises que nous avons sur cette planète. » Hraagung se glissa dans l’arrière de la voiture et se recroquevilla de façon à ne pas être aperçu de l’extérieur. Son immense corps remplit le siège arrière et son odeur rance envahit tout le véhicule. Kane se glissa derrière le volant. « Allons, venez ! » pensa-t-il impatiemment. La peur glaçait Beoric lorsqu’il toucha la poignée de la portière de droite. Elle était chromée, sans aucun danger pour lui, mais la présence du fer fit frémir ses nerfs. D’un mouvement convulsif, il ouvrit la portière et se glissa sur le siège à côté de Kane. Le moteur ronfla et la voiture démarra. 
— « D’où êtes-vous ? » pensa Beoric. « Vous ne me l’avez pas encore dit. » 
— « De différentes étoiles des alentours, » répondit Kane. « Moi, par exemple, je viens de la plus éloignée. » Dans cette pensée, Beoric reconnut l’étoile Deneb. 
— « Mais, » poursuivit Kane avec arrogance, « nous, les Vaettirs, sommes arrivés ici les premiers. Un peu plus tard d’autres races maîtrisèrent le secret des voyages plus rapides que la lumière et arrivèrent sur Sol III au cours de leurs explorations. Hraagung est de…» Beoric interpréta dans son propre cerveau l’image-pensée comme signifiant Sirius. 
— « Et ainsi de suite. À présent, un certain nombre de planètes se sont prises d’intérêt pour la Terre. Sous la direction des Vaettirs, il a été instauré un système évitant des conflits entre ces différentes entreprises. » Il regarda Beoric. Dans son visage maigre, les yeux paraissaient lancer des flammes, lueur intolérable que l’Alfe eut de la peine à soutenir. La pensée du Vaettir pénétra comme un éclair dévastateur dans le cerveau de Beoric : 
— « Nous ne sommes nullement hostiles aux nouveaux venus qui respectent l’ordre établi. S’ils veulent réaliser quelque projet ici ou sur une autre de nos étoiles vassales, ils sont parfaitement libres de le faire, mais sous le contrôle et suivant les directives des Vaettirs, et à condition que cela ne nuise pas aux intérêts établis. Mais s’ils violent notre code, nous les anéantissons. » Beoric gardait tout son sang-froid, se demandant de quelle façon il devait réagir. Après un moment de réflexion, il pensa lentement : 
— « Tout ceci me paraît fort équitable. En fait, un système presque identique est appliqué dans ma civilisation. Il est fort possible que nos deux cultures puissent établir des relations qui nous soient mutuellement profitables. » La réponse arriva cinglante, dure et méfiante : 
— « Peut-être ! » 
— « Mais de quel genre exactement sont vos entreprises ici ? » demanda l’Alfe. 
— « Très variées, selon la race, » dit Hraagung. « Les Procyoniens, par exemple, trouvent que les Terriens constituent une excellente source de sang. Les Altaïriens ne visent qu’à observer le déroulement des événements historiques, cela fait partie de leur programme d’étude du comportement des masses. L’économie Arcturienne dépend du contrôle des moyens de production d’un grand nombre de planètes vassales, ils accaparent tout ce qu’il y a de mieux dans l’industrie et l’agriculture de celles-ci. Nous, qui sommes originaires de Sirius, trouvons que la Terre constitue un excellent avant-poste militaire et une base de ravitaillement en combustible, en outre…» cette pensée rappelait un tigre se léchant les babines, «… les originaires de cette planète nous servent également à d’autres fins. » Beoric lança alors une question à Kane : 
— « Et vous-même… votre race… les Vaettirs de Deneb ? » La réponse vint, dure comme de l’acier, avec une trace d’amusement sinistre : 
— « Nous possédons des intérêts très nombreux et fort variés dans cette partie de la Galaxie. » L’Alfe se laissa aller en arrière sur son siège et essaya de se détendre. Le paysage presque vide commençait à se garnir de maisons par-ci par-là, et l’horizon devant eux reflétait une lueur terne. La voiture roulait rapide et souple à une vitesse qu’un Terrien aurait difficilement pu contrôler. Les ténèbres à l’intérieur de la voiture étaient rances de la puanteur du reptile Sirien. La réflexion des lumières des phares jetait une faible luminescence sur le visage osseux, aux traits durs, d’Adam Kane, faisant ressortir sur un fond d’obscurité les pommettes, les mâchoires et le long nez saillants, en une vision de cauchemar. La force nerveuse du Denebien ne se laissait pas dissimuler, elle tournoyait et faisait des remous dans la voiture comme un courant d’air. Beoric fut obligé de lutter contre cette puissance écrasante.
— « Notre quartier général se trouve là, dans cette ville devant nous. Elle s’appelle New-York, » pensa Hraagung. « En ce moment nous nous trouvons à Long Island. » 
— « Cependant, vos astronefs n’atterrissent pas ici ? » demanda Beoric. Il n’essayait pas de cacher son intérêt qui ne pouvait être que naturel de la part d’un voyageur venant d’une étoile lointaine… pas plus qu’il n’espérait pouvoir cacher les ondes émotives de ses pensées devant l’intelligence étincelante du Denebien. 
— « Pas en ville, non, quoique nous en possédions un pour les cas d’urgence… En fait, l’immeuble du quartier général n’est rien d’autre qu’un astronef camouflé. Mais nos vraies bases et les champs d’atterrissage se trouvent ailleurs. » Beoric eut beau lutter contre son émotion croissante, il fut incapable de maîtriser un cri dans ses pensées : Ainsi, l’immeuble était un astronef… leur immeuble était un astronef… Mais… cela signifiait… Il se rendit compte que le Sirien le fixait de ses yeux froids. Le regard terrible du Denebien ne quittait pas le ruban de la route se déroulant devant lui, mais Beoric sentait que ses sens – et les dieux seuls savaient de combien de perceptions étranges le Vaettir était capable – léchaient, pareilles à des langues de feu, son bloc mental qu’il cherchait à protéger de toutes ses forces… Tremblant légèrement, l’Alfe réussit cependant à rire et expliqua : » Vous venez de me causer une surprise. Je n’avais encore jamais entendu parler de quiconque ayant réussi à faire construire un tel engin sans que les naturels du pays fussent au courant, Comment avez-vous fait ? » La pensée du Denebien, lente, profonde, pénétra dans le cerveau de Beoric. 
— « Oh ! ce fut très simple. Nous avons d’abord fait construire la coque de l’immeuble. Il suffisait de contrôler les cerveaux de quelques inspecteurs municipaux, car les observateurs occasionnels étaient incapables de voir quoi que ce soit d’anormal. Puis, un soir d’orage, nous introduisîmes l’astronef dans cette coque. Nos ouvriers terminèrent le camouflage par le toit, les murs intérieurs et les planchers. » 
— « Et vous avez utilisé de la main-d’œuvre locale ? » 
— « Naturellement. Mais, même à ce moment-là, aucun d’eux ne fut à même de se rendre compte qu’ils ne construisaient pas un immeuble ordinaire. » 
— « Je comprends. » Beoric comprenait en effet et quoiqu’il fut déjà au courant de la plus grande partie de ce qu’il entendait, cela le bouleversa. Quel genre de cerveaux pouvaient bien avoir les Vaettirs pour être capables de munir des milliers d’hommes de fausses mémoires sans qu’ils s’en doutent, afin de les empêcher de se rendre compte de certaines anomalies, même pendant l’exécution des travaux… ? Quelle pouvait être l’étendue de leur puissance ? « Je le découvrirai cette nuit. » pensa-t-il secrètement. 
« Cette nuit même ! » Cette pensée-réponse émise sur la longueur particulière des Alfes lui arriva de derrière la voiture lancée à toute vitesse. Les autres devaient donc suivre dans leur propre véhicule et… 
— « Il faut que vous vous rendiez compte, » pensa Kane, presque affable, « que l’exploitation de la Terre est très ancienne. En fait, le premier Vaettir est arrivé ici…» Il pensa à une date que Beoric estima pouvoir placer à quelque quatre mille ans en arrière, puis poursuivit : 
— « Mais la colonisation sur une très grande échelle n’a été commencée qu’il y a environ sept siècles, époque à laquelle la civilisation indigène était moins complexe et où il était facile de se faire passer pour tout ce qu’on voulait. Aussi notre organisation est fermement établie. Nous contrôlons la Terre par des corporations et même par les gouvernements que nous influençons ou bien que nous dirigeons tout simplement, partout où cela nous paraît nécessaire, grâce à de vieilles attaches de certains Vaettirs avec des familles hautement respectables et par un nombre d’autres moyens que vous pouvez facilement vous imaginer. C’est ainsi que, au nez et à la barbe des indigènes, nous pouvons faire exactement tout ce que nous voulons. » 
Pendant un instant ses traits d’acier se fendirent en un ricanement. 
— « Les rares Terriens qui soupçonnent que les biens de la Terre ne sont plus leur propriété complète sont considérés comme fous… et généralement cela est vrai. » Beoric se souvint de l’implacabilité qu’il avait lue dans le cerveau de Hraagung et demanda : « Pourquoi vous donnez-vous toute cette peine ? Pourquoi ne pas annexe purement et simplement la Terre ? » 
— « Cela ne correspondrait pas aux desseins des Vaettirs. » 
Cette réponse froide jaillit comme une épée brusquement tirée de ou fourreau. « Notre plan qui prévoit l’évolution dirigée de la civilisation terrienne doit, pendant un certain temps encore, être considéré comme un projet des terriens eux-mêmes. » 
Beoric hocha la tête. Il se laissa aller en arrière sur son siège et regarda passer les immeubles aux contours brouillés par suite de la vitesse folle de leur voiture. Il lui était aisé de se rendre compte par qui était assumée la direction de ce coin de la Galaxie. Les Siriens, par exemple, auraient préféré s’installer en conquérants, profitant franchement des Terriens, les traitant comme du bétail. Mais si Deneb disait « non », c’était bel et bien « non ». 
Et… c’est contre cela que nous nous dressons ! Nous, qui n’avons même pas été capables de triompher des… 
— « Mais vous ne pouvez tout de même pas espérer cacher totalement votre présence ? » pensa-t-il sur la longueur d’ondes universelle. 
— « Nous ne l’essayons même pas, » répondit Hraagung en haussant les épaules. « Au début, nous circulions presque ouvertement et les indigènes nous voyaient fréquemment, ce qui, du reste, est à l’origine, de nombreuses légendes… » 
« Oui, pensa Beoric dans les cases secrètes de son propre cerveau. Oui, je connais ces mythes. Des visions furtives et effrayantes d’« esprits » se promenant de par le monde, possédant une science d’au-delà des étoiles et devenus pour les Terriens les vampires, les loups-garous, les goules, les dragons, toutes les horreurs des vieilles légendes basées sur des faits encore plus horribles. Qu’est-ce qui a été à l’origine de la vague d’adoration du diable au Moyen-Age, sinon les influences grandissantes de l’espace sidéral ? Qui était ce Satan que l’on adorait au cours des messes noires, sinon un Denebien ou un Sirien ou quelqu’autre monstre sentant l’utilité d’un culte de fanatiques… et qui avait dû rire bien souvent lorsqu’il s’entretenait lors de ces conférences avec ses congénères haut placés dans l’Église ou dans l’État. La mythologie des Terriens découle en grande partie de la présence de ces « envahisseurs » ignorés, les humains les ayant unis dans leur esprit, aux mythes qui étaient propres à la planète…
« Plus tard, » poursuivit le Sirien, « lorsque des preuves trop manifestes de notre présence auraient pu amener les esprits plus sophistiqués à suspecter la vérité, nous eûmes recours à quelques précautions. Le berger éloigné dans un pâturage perdu n’a rien à voir avec la direction du domaine. Dans une grande cité on est rarement au courant de ce qui se passe réellement dans la maison voisine. Quel est donc l’humain qui pourrait imaginer que les associés secrets qui contrôlent les industries-clés d’ici, peuvent ne pas être sur la Terre ?… »
Il est vrai qu’ils nous aperçoivent de temps en temps, mais pourquoi nous cacher plus que nous le faisons ? Un homme qui m’aurait entrevu par une nuit noire hésiterait certainement à risquer sa réputation en le racontant à d’autres… même s’il le faisait on dirait qu’il divague, qu’il a le délire ou que sais-je encore ? Et, dans certains cas, lorsqu’un Terrien commence à en savoir de trop, rien n’est plus facile que d’oblitérer sa mémoire. Presque journellement on constate des signes de notre présence… des apparitions dans le ciel, des manifestations et des réapparitions et bien d’autres choses encore. Mais qui donc serait capable de brosser un tableau complet au moyen de preuves aussi dispersées et aussi fragmentaires ? » Le profond ricanement vocal de Hraagung fit vibrer la carrosserie de la voiture. « Les quelques rares Terriens qui ont réussi à rassembler des preuves à peu près cohérentes et ont essayé d’en déduire la vérité, sont considérés comme des paranoïaques et sont la risée de tout le monde. » 
Un rictus de loup fendit le visage de Kane. 
« Mais ce qu’il y a de plus beau, » pensa le Denebien, « c’est que la plupart d’entre eux sont réellement des paranoïaques, car c’est un signe évident d’instabilité que d’attribuer les malheurs du monde à des persécuteurs de l’extérieur… même si, par hasard, cette supposition se trouve être la vérité ! » Maintenant que la voiture pénétrait dans les rues fréquentées, Kane ralentit sa vitesse. Les immeubles se dressaient des deux côtés de la chaussée, cachant les étoiles et partout il y avait du fer… du fer… la ville était une cage d’acier. Beoric fit des efforts pour ne pas hurler. Puis lentement, tandis qu’il tremblait encore, il reprit tout son sang-froid et sa décision. Après tout, ce métal ne pouvait pas lui faire de mal, à moins qu’il le touchât, et en cette minute trop de siècles faisaient fond sur lui. Il était trop tard pour battre en retraite. 
« Tu as raison, Beoric. » 
De puissantes pensées vinrent frapper son cerveau. 
 — « Nous te suivons… Nous entrons également en ville. » 
Pendant un instant Beoric savoura cette certitude. Il était bien une partie intégrante des siens ; les siens le soutenaient, étaient avec lui. Il lui vint à l’esprit – et ce n’était pas la première fois qu’il se faisait cette réflexion – que si la structure du cerveau des Alfes leur permettait de correspondre par télépathie sur une longueur d’ondes indétectable par aucune autre race alors, sans le moindre doute, les Siriens et les autres – et surtout les Vaettirs – pouvaient, eux aussi, penser sur des gammes qu’il lui était impossible de capter. Et quelles pouvaient bien être les pensées qui allaient et venaient dans la nuit qui l’entourait ? 
Si… ô Grands Dieux !… si ces incroyables Vaettirs avaient la faculté d’intercepter toutes les pensées, même les plus secrètes, si c’était là le mystère de leur puissance et si Kane était tout simplement en train de conduire les Alfes vers un piège… Mais il fallait en prendre le risque… La terre elle-même était un piège. 
Il garda le silence. Souple, la voiture se faufilait à travers les rues obscures où seules les lumières d’un jaune terne des lampadaires et de temps en temps un mouvement furtif dans l’ombre d’une ruelle trahissait la vie. On approchait de l’heure de la basse marée de la vie de la grande ville ; telle une bête rassasiée, elle dormait sous la lune à son couchant. 
Les champs et les forêts, les collines, les eaux et le ciel, ne dormaient jamais. Il y avait toujours de la vie en eux : un bruissement de feuilles, un craquement de pas, une lueur d’yeux dans la nuit. Il y avait toujours des remous d’énergie nerveuse, vigilante et alerte ; une vie qui, comme un océan, envahissait la cité. Beoric ne s’était jamais senti seul. Jusqu’à présent. Car ici la ville dormait et il n’y avait aucune vie sauvage pour courir dans les champs et pour bondir dans les eaux noyées de clair de lune. L’esprit tendu de Beoric perçut quelques rongeurs fouillant le sous-sol, un ou deux chats rôdeurs, les zigzags nerveux de quelques insectes voletant autour des réverbères cyclopéens. De temps en temps il y avait une pensée humaine, un Terrien ne dormait pas… et cette pensée semblait éveiller des échos dans ce vaste silence creux de la ville où elle était seule… seule. 
La ville dormait. Beoric sentait la force vive des humains endormis, inquiets, les nerfs en pelote, même pendant leur sommeil. C’était comme une léthargie écrasante, un million et un million et encore un million de corps endormis, avec toutes leurs peines et leurs chagrins, et tous leurs désirs se donnant libre cours dans leur esprit. L’Alfe ferma son cerveau à cette marée gluante, mais elle déferlait autour de lui, s’étendait comme une couverture trempée de sueur sur son système nerveux. Ils sont trop nombreux. L’écrasante énormité des forces vives de combien de millions ?… Dix ? – est plus que nous ne pouvons en supporter… Et cependant nous essayons de faire échec à ceux qui régissent ce monde… 
Ils avaient atteint les abords de la zone moins dense entourant le quartier principal des affaires. C’était la situation logique pour le Quartier Général… assez bien placé pour ne pas éveiller les soupçons de la police et cependant dans un quartier calme où il n’y avait pas de circulation nocturne. Et maintenant… oui, les vibrations d’une force vive là-haut, devant eux, des ondes d’un type extra-terrestre provenaient de cet immeuble. 
Beoric considéra la masse obscure devant laquelle la voiture venait de s’arrêter. C’était un immeuble de rapport de dix étages, aussi morne et aussi gris que ceux qui l’entouraient. Une faible lumière luisait dans l’entrée, éclairant une pancarte : RIEN À LOUER. 
« Naturellement ! » se dit Beoric en maîtrisant une forte envie d’éclater d’un rire nerveux. 
— « Personne en vue, » lança brusquement la pensée de Kane. « Nous pouvons entrer. » La masse informe de Hraagung traversa le trottoir avec une vitesse surprenante. Ils entrèrent tous trois dans le hall, pareil à celui de tout autre immeuble du même genre. Les narines sensibles de Beoric se plissèrent en humant les odeurs de saleté et les relents rances de cuisine. Il dut admettre que le camouflage était parfait. 
Même jusqu’à l’humain d’un certain âge installé au comptoir, à moitié endormi. Pendant un instant, Beoric sonda le cerveau de ce Terrien et frissonna en en constatant le… vide. C’était un fait que les Vaettirs, tellement hautains, ne se donnaient pas la peine de se travestir en domestiques. Pour parfaire l’illusion ils avaient besoin de quelques Terriens authentiques, jouant les rôles de concierges ou autres serviteurs. Des Terriens qui pouvaient passer pour des individus normaux, mais dont leurs maîtres vampires avaient drainé toute personnalité. Des robots en chair et en os… Kane se dirigea vers l’ascenseur. 
— « Celui-ci monte directement dans notre astronef, » expliqua-t-il. « Vous y trouverez des aménagements plus confortables. » Semblables à un cercueil peut-être ?… Ou plus probablement à une table de dissection. Ils chercheront certainement à savoir qui je suis réellement. 
Ils sortirent de l’ascenseur dans un couloir très court éclairé de tubes fluorescents donnant une lumière froide. Kane désigna du geste une porte qui s’ouvrit pour révéler une petite chambre somptueusement meublée. 
« Voici une des chambres que nous réservons à nos invités, aux visiteurs transitant par la Terre, » pensa le Denebien. « J’espère que vous la trouverez à votre convenance. Les meubles s’ajustent automatiquement à la forme du corps de celui qui les occupe et vous pouvez régler la température, l’humidité, la pression d’air et tout le reste à votre convenance. » 
L’idée de se faire enfermer dans une chambre étanche n’enchantait pas Beoric. « Je vous remercie, mais je ne suis nullement fatigué. Il m’intéresserait beaucoup plus de faire la connaissance des autres colonisateurs. » 
— « Ainsi que je vous l’ai dit, ceci n’est que notre Quartier Général, » répondit Kane. « Mais la plupart des membres du Grand Conseil de Contrôle se trouvent déjà ici et j’ai convoqué les autres mentalement. Ils ne devraient pas tarder à arriver. » 
— « Tous les conseillers ? Quel grand honneur pour moi ! » Kane montra les dents dans un ricanement sans humour. 
— « Ce n’est pas un trop grand honneur pour un visiteur venant d’aussi loin. » Sa pensée était presque ronronnante et puis, dans un éclair de rapière dégainée, il ajouta : 
« Après tout, nous aurons à décider que faire de vous. » Brusquement et sinistrement Beoric se rendit compte qu’ils n’avaient pas la moindre intention de lui permettre de quitter l’astronef en pleine possession de ses facultés. Deux ou trois cerveaux Vaettirs suffiraient amplement pour percer ses défenses mentales et obtenir un contrôle complet de sa personnalité. Et une fois qu’ils auraient appris tout ce qu’il savait au sujet d’Alfar, ils le laisseraient repartir vers sa torpille, mais il serait complètement dépersonnalisé et leur agent à eux. Les doigts de l’Alfe tâtèrent le couteau suspendu dans une gaine sous sa tunique. Il faudrait qu’il soit capable de contenir un pareil assaut juste le temps nécessaire pour dégainer son arme, et alors la lame de fer brûlerait son cœur. Sans aucun doute les Vaettirs avaient une technique pour faire revivre les morts, mais ils ne pourraient l’appliquer sur lui… en quelques minutes son cerveau et les secrets qu’il renfermait seraient désintégrés, en quelques heures sa chair rapidement protéisée serait de la poussière, même les os ne se conserveraient pas pendant de longues années. Le métabolisme, qui était en même temps et la force et la faiblesse des Alfes, avait au moins l’avantage de leur servir de manteau protecteur. Il n’avait plus peur de la mort. Il s’y attendait plus ou moins. Mais il fut incapable de maîtriser le frisson intérieur qui le parcourut à l’idée que les Vaettirs pourraient d’une manière quelconque, bouleverser son plan d’action. Il savait si peu de choses à leur sujet… si horriblement peu de choses. 
Kane avança dans le couloir. Beoric le suivit, mal à l’aise, se rendant compte que Hraagung fermait lourdement la marche. Il se trouvait entre les deux monstres et n’avait plus aucune chance de s’enfuir. À présent son sort était entre les mains des autres et il n’osait pas faire appel à eux. Ils entrèrent dans une cellule qui brusquement s’anima de mouvement. Beoric présuma qu’elle les transportait vers le centre de l’astronef. Il déclencha une émission télépathique sur la longueur d’onde des Alfes, pour guider les autres, mais n’eut pas de réponse. 
Un silence profond régnait dans le navire. Beoric n’entendait que le léger ronflement de la cellule en mouvement et la lourde respiration de Hraagung accroupi à côté de lui, dur et froid. Il percevait la montée, pareille à une marée sombre, de fluides nerveux non humains tourbillonnant dans son centre récepteur télépathique et il sentait la coque d’acier de l’astronef, son léger magnétisme rémanent paraissant frigorifier ses nerfs. Grâce aux Dieux ! le plancher métallique, les murs et les plafonds étaient non-ferreux. Néanmoins, il se trouvait dans une cage en fer, comme pris dans une toile d’araignée, et sa respiration s’étranglait dans sa gorge. La cellule s’arrêta. Sa porte s’ouvrit sur un petit vestibule. Lorsque les trois passagers en sortirent, une autre créature apparut brusquement sur une plaque métallique et se dirigea vers la pièce adjacente. Beoric sursauta. « Que diable !…» Puis, se reprenant avec la rapidité d’esprit innée de sa race, il pensa : « Je suppose que vous avez, en quelque sorte, réussi à appliquer le principe de la propulsion interstellaire à de courtes distances. Mais comment ? Dans notre civilisation nous n’avons jamais réussi à rendre son utilisation possible pour des bonds de moins d’une année-lumière. » 
— « La véritable distance minimum est d’environ cent cinquante kilomètres, » répondit Kane. « C’est ainsi que nous sommes en mesure de réunir une séance plénière du Conseil de Contrôle en un rien de temps. Même les délégués des autres planètes seront présents ce soir. » 
— « Des autres planètes ?… Mais… elles sont à des millions de kilomètres de distance ! Comment votre pensée peut-elle atteindre…» Les yeux intolérablement brillants de Kane se posèrent, méditatifs sur l’Alfe. « Les Vaettirs ont maîtrisé certains principes de télépathie que des races inférieures ne sauraient atteindre, » pensa-t-il, hautain.
Et… combien d’autres choses encore ont-ils maîtrisées ? 
Il n’est plus surprenant qu’ils aient imposé leur civilisation. Ils entrèrent dans la Salle du Conseil. Elle était longue, haute de plafond et la lumière d’une blancheur glaciale brillant sur les murs métalliques les rendait particulièrement irréels. On avait l’impression que cette salle s’étendait à l’infini. Vers le milieu de la pièce il y avait une table autour de laquelle les maîtres de la Terre étaient assis, étendus ou accroupis sur des lits de repos. Les yeux de Beoric en firent le tour et la peur mordante, incrustée, de toutes les générations fugitives des siens hurla le long de ses nerfs et clama dans son cerveau. Il s’arrêta, luttant pour recouvrer son sang-froid, et son regard bleu et aveugle rencontra les leurs, fixés sur lui. Quoique reconnaissant immédiatement leurs races différentes il laissa à Hraagung le soin de lui indiquer celle de chacun des conseillers. Il y en avait deux de chaque, de Sirius, de Procyon, d’Arcturus et d’Altaïr, et cinq Denebiens. Si elle ne l’était pas ailleurs, ici la domination absolue des Vaettirs s’étalait ouverte et arrogante. Ils étaient assis au haut de table, drapés dans leur propre vanité et Beoric se sentit incapable de soutenir le feu de leurs regards. Il considéra les autres. Hormis les Denebiens, il n’y avait que les Siriens qui paraissaient réellement formidables. Les Procyoniens étaient de petits bonshommes insectiles, rabougris, qui buvaient le sang des Terriens endormis et se nourrissaient de l’énergie nerveuse radiée par les Terriens éveillés, une espèce totalement parasitaire qui, quoique sapant l’intelligence et l’énergie de ses victimes, faisait moins de mal que le suggéraient les légendes de vampires basées sur les activités procyoniennes. Les Arcturiens étaient rusés, implacables – leurs faces à museaux pointus évoquaient le renard – et extrêmement intelligents, mais comparativement petits et faibles. Les Altaïriens placides, enroulés dans leurs tentacules et observant la scène de leurs yeux froids, calmes, n’étaient sur la Terre qu’en tant qu’observateurs scientifiques. Ils n’avaient aucune sympathie pour les naturels et quoique participant très volontiers au contrôle de la Terre, ils ne faisaient aucun mal directement. Beoric, tendu, se dit qu’il lui fallait tenir compte d’eux tous, mais, en fait, c’était l’impérialisme brutal des Siriens et la domination absolue des Denebiens qui étaient la véritable plaie de la Terre. Ou de la… Galaxie ? Qui donc pouvait savoir exactement quelles étaient les limites de leur ténébreuse emprise ? 
Il se rendit compte que Kane et Hraagung étaient allés occuper leurs places à la table du Conseil. À présent, celui-ci était au complet et il ne voyait pas de place réservée pour lui, il serait obligé de se tenir debout devant eux. Ils ne se donnaient même pas la peine de déguiser le fait qu’ils le considéraient comme leur prisonnier. 
— « Je crois que vous êtes tous au courant de l’histoire de cet étranger, » émit le cerveau de Kane. « Pour nous, la question se pose : qu’allons-nous faire ? » La pensée lente, presque ensommeillée, mais très perçante d’un Altaïrien se manifesta : « Je suggérerais qu’en premier lieu nous cherchions à savoir si cette histoire est vraie ou fausse. » 
— « Naturellement, » répondit Kane, en ajoutant sardoniquement : « Mais ce serait manquer de courtoisie envers notre visiteur que de ne pas l’accepter pour telle, au moins pour le moment. » 
— « Certainement. » Le regard gris de l’Altaïrien se posa sur Beoric. « Si nous échangions simplement quelques questions et quelques réponses pour mettre les choses au point de part et d’autre ? » 
— « Avec grand plaisir, » accepta l’Alfe. Brusquement il se sentit presque sur un terrain connu. C’était comme les intrigues de courtisans des temps passés, des joutes rapides de paroles, de l’ironie subtile… S’ils s’en tenaient à cela il n’aurait aucun mérite à rester à la hauteur de la situation. 
— « Je comprends fort bien une certaine méfiance très naturelle de votre part, » commença-t-il, « mais elle me semble quelque peu injustifiée. Comment une grande civilisation comme la vôtre peut-elle se montrer aussi inquiète au sujet d’un seul astronef ? » 
— « Un astronef provenant d’une civilisation dont nous ignorons la force, un astronef possédant au moins une arme magnifique, l’écran vibrations, dont nous ne savons rien, » émit Hraagung sans ambages. « Quelles nouvelles pensez-vous rapporter à votre astre d’origine ? » 
— « Des nouvelles amicales, je vous l’assure. De quelle utilité seraient pour nous des conquêtes de l’autre côté de la Galaxie, quelle utilité la Terre pourrait-elle avoir pour nous qui avons besoin de vêtements protecteurs pour nous aventurer à la lumière du jour ? » 
— « De nombreuses races nocturnes ne voient jamais leur propre soleil et si elles continuent d’exister, c’est parce qu’elles savent s’y soustraire, » grogna Hraagung. « Il est probable que vous trouveriez la nuit très confortable sur la Terre. Cependant, je me plais à croire que vous recherchez quelque chose de plus considérable qu’une seule planète insignifiante. »
— « Le malheur chez vous, les Siriens, » pensa sarcastiquement un Arcturien, « est que vous êtes totalement incapables de concevoir une mentalité différente de la vôtre. Vous, qui vous lancez à la conquête d’autres planètes simplement dans un but de lucre et de pillage, ne comprendrez jamais l’attitude, disons de ma race, qui améliore délibérément les conditions sur la Terre, pour en bénéficier par la suite. Vous… eh bien ! vous occupez la Terre, vous y maintenez des bases militaires, uniquement parce que vous craignez que nous en installions ici, pour nous en servir contre Sirius. » 
— « Oh ! je crois que de temps en temps un bon petit « extra » leur fait également plaisir, » railla un Procyonien. « Ils aiment à combiner la disparition d’un Terrien… avec la satisfaction de leur propre bedaine. Ce sont d’excellents bouchers… mais ils n’ont jamais entendu parler de bonnes vaches à lait que l’on peut traire. » Les Siriens s’agitèrent dangereusement et Beoric sentit un flot de fureur envahir la pièce. Ces races rivales se détestaient entre elles. S’il n’y avait pas eu la poigne de fer des Vaettirs, ils se seraient sauté à la gorge d’un instant à l’autre. Une pensée Denebienne perça ce brouillard d’ondes furieuses qui s’entrecroisaient : « Ça suffit ! » C’était un ordre froid, péremptoire et Beoric sentit la tombée brusque de la rage chez les autres. « Trêve de vos chamailleries, nous avons à nous occuper d’une affaire beaucoup plus importante. Cette arrivée inopinée constitue une crise majeure. » — « Je vous ai déclaré et je répète, » pensa Beoric, « que nous ne sommes que de paisibles explorateurs. Si vous désirez continuer à vivre dans votre isolement, les Alfes ne demanderont pas mieux que de passer très au large de vos territoires, à l’avenir. » 
— « Là n’est pas la question, » vibra la pensée de Kane. « L’existence même d’une autre civilisation comparable à la nôtre constitue un danger pour nos plans. Pour être d’une franchise absolue, les Vaettirs cherchent à étendre leurs activités. Même si les Alfes restaient neutres, leurs soleils pourraient constituer des foyers de résistance pour d’autres races qui possèdent déjà le moteur à vibrations stellaires, mais n’ont pas encore eu de contact avec d’autres civilisations équivalentes. L’histoire de la Galaxie a été soigneusement établie à l’avance, de nombreux développements doivent s’y produire automatiquement, à l’heure prévue, sans même nécessiter la supervision des Vaettirs dont le nombre est comparativement réduit. Nous croyions connaître toutes les races disposant d’aéronefs, voilà qu’à présent apparaissent les Alfes, un facteur complètement imprévu. Même si vos intentions sont les plus amicales et les plus pacifiques, vous détruisez tous nos calculs. Aussi… « ses yeux terribles dardèrent des flammes en direction de Beoric, » …aussi vous devez vous rendre compte pourquoi cette réunion d’urgence du Conseil a été rendue nécessaire. L’urgence est même telle que tous les Vaettirs du Système Solaire sont présents ici ce soir, pour statuer sur votre cas. » Tous les Vaettirs ! 
Pendant un instant une exaltation sans bornes flamba dans l’esprit de Beoric. 
Tous ces maudits Vaettirs ? Tous, jusqu’au dernier ! C’est bien plus que nous n’osions espérer ! 
Et puis, dans un soudain remous écœurant de consternation : 
Mais… si réellement ils ne sont que cinq pour régir tout le Système Solaire, de quelle puissance énorme doivent-ils disposer ? Ces cinq-là, que ne seront-ils capables de faire ce soir ? 
Il se rendit compte que les yeux étaient fixés sur lui, que les pensées et les sens le fouillaient, l’étudiaient et l’analysaient, en tirant les conclusions inévitables. Il eut un rire nerveux et pensa : « Tout ceci est certainement une surprise pour moi et vous comprendrez qu’elle est alarmante. » 
— « Ne craignez pas que nous désirions conquérir Alfar, » pensa Kane presque méprisant. « Les Vaettirs n’autorisent la conquête complète que de quelques planètes, les autres ; en conformité avec nos projets, sont contrôlées par des moyens plus subtils ; ainsi par exemple, la Terre. » Beoric passa sa langue sur ses lèvres devenues soudainement sèches : « Combien… combien d’étoiles… jusqu’à présent ? » 
Il y eut un instant d’hésitation, puis la pensée d’un Altaïrien lui répondit : 
« Il n’y a aucune raison pour que vous ne le sachiez pas. Notre civilisation – ce qui veut dire la domination des Denebiens – comprend jusqu’à présent environ cinq cents étoiles et son influence s’affirme de plus en plus dans un millier, ou même davantage, d’autres systèmes. Il est donc naturel que…» Il haussa les épaules d’un mouvement sinueux de ses bras démunis d’os. 
— « Vous ne pouvez cependant pas vous attendre à ce que… cette perspective me plaise. » — « Pas de prime abord, » la pensée de l’Arcturien était conciliante, « mais à vrai dire, une telle civilisation peut être extrêmement bénéfique pour ceux qui y sont soumis. » 
— « De quelle façon…» 
— « Voyons, considérez simplement nos propres activités sur la Terre, par exemple. Les maigres ressources du système Arcturien sont presque épuisées depuis bien longtemps déjà, cependant notre race mène une vie prospère en créant et en développant des industries sur des planètes comme la Terre et en prélevant une partie des produits ainsi fabriqués. Il y a environ deux cents ans, nous commençâmes une révolution industrielle ici et nous la fîmes progresser aussi rapidement que les Denebiens voulurent bien nous le permettre. C’est nous qui contrôlons l’industrie florissante, sous les différents camouflages de notre organisation, et tous les produits dont nous pouvons avoir besoin sont dirigés sur Arcturius. C’est nous qui avons guidé les savants terriens sur les voies menant au succès… et ils croient que ce sont eux-mêmes qui font toutes les découvertes. Les ouvriers, dans les usines d’aviation par exemple, ne savent toujours pas qu’une certaine partie des pièces fabriquées par eux le sont pour les astronefs et les engins interplanétaires des Arcturiens. Tous ceux qui se trouvent dans une position où ils pourraient l’apprendre sont induits en erreur par des comptabilités truquées d’une façon parfaite, ou sont tout simplement placés sous un contrôle mental suffisant pour être incapable de remarquer la moindre anomalie. Le pétrole, le fer, les alliages, les céréales, les pièces détachées… une partie de toute la production est envoyée sur Arcturius. Nous ne prélevons pas grand-chose sur chacune des planètes vassales… mais elles sont nombreuses…» 
— « Mais… les gouvernements…» 
— « Les gouvernements ! » L’Arcturien au visage de renard ricana. « Nous sommes les gouvernements, tout au moins partout où cela est nécessaire. Un certain nombre de nations arriérées ont même été industrialisées de force par des gouvernements révolutionnaires que nous avons créés. Si vous saviez combien de dictateurs, de hauts-commissaires, d’industriels et d’autres ne sont que des Terriens dépersonnalisés en contact mental direct avec un être extra-terrestre, vous vous rendriez compte jusqu’à quel point la Terre est complètement réduite en esclavage. Et – lorsqu’ils sont passés sous nos fourches caudines et que nous leur ordonnons quelque développement nouveau – ils marchent. Cependant… (la pensée était devenue vive, persuasive) …cependant, réfléchissez combien la Terre a profité de cette situation. De siècle en siècle, sa population a doublé. Les conditions de vie se sont continuellement améliorées. Les ressources cachées de la planète sont exploitées. Les Terriens sont des pions, d’accord… mais des pions extrêmement bien traités. » 
« Tout cela est très bien. Mais ces guerres sans fin, qui n’ont aucun sens et qui les torturent ? Et cette pollution des magnifiques campagnes vertes par la fumée et les détritus ? Et la pauvreté, la misère et la perte de tout contrôle sur leurs propres destinées ? Et les moments où les plans des Vaettirs exigent de faire marcher les Terriens à coups de fouets, exigent l’abandon de toute dignité humaine ? Il est vrai que je ne suis pas censé savoir tout cela. » 
— « Je ne vois nulle nécessité d’user d’euphémismes, » lança la pensée glaciale de Kane. « Nous appliquons aux Terriens, selon les cas, exactement les traitements qu’exigent les situations particulières. Si un Terrien, après avoir atteint une position éminente, se met à faire une politique contraire à nos desseins, il est liquidé. Il y a eu, par exemple, des présidents du pays où nous nous trouvons ici qui, si nous les avions laissé faire, auraient changé le cours prévu des événements. Ils sont morts… par la balle d’un assassin contrôlé par nous, d’une hémorragie provoquée par un rayon cosmique dirigé ; en fait, nous employons toujours le moyen le plus approprié. Les Vaettirs ne tolèrent aucune intervention dans leurs plans. » 
— « Oui… mais quels sont ces plans ? Quel est votre but ? » Beoric se tourna vers les cinq monstres aux visages farouches installés au haut de table du Conseil. Ses pensées laissaient percer une crainte, nullement feinte. « Je suppose qu’en tant que la plus ancienne et mentalement la plus puissante des races qui s’implantèrent ici, vous avez également établi un contrôle sur les autres, de sorte que même ceux qui sont supposés être vos égaux sont en réalité à vos ordres. Mais pourquoi ? Que cherchez-vous ? Où doit vous mener ce grand plan que vous avez conçu ? » 
— « Cette question n’incombe ni à vous, ni à personne d’autre, » fut la réponse glaciale. « De toute façon, vous ne comprendriez pas si je vous disais la vérité. Si je vous disais que les Vaettirs cherchent à régir l’univers se trouvant à leur portée, ce serait là nous attribuer des mobiles enfantins tels que ceux qui vous animent, car un tel but n’est que le moyen d’arriver à une fin. Si je vous disais, par contre, que l’intelligence des Vaettirs s’impose sur tous les esprits qu’elle a décidé de « contrôler » dans toutes les planètes, augmentant ainsi son propre potentiel et que, pour ce faire, il est nécessaire de « diriger » le destin de ces planètes vers le mode de pensée le plus utile pour nous, c’est-à-dire le plus facilement contrôlable, nous serions alors plus près de la vérité. Si je vous disais…» Pendant un instant la pensée fulgurante de Kane s’affaissa sous le poids d’une lassitude énorme, intolérable : le désespoir de l’être totalement évolué et parvenu à ses fins suprêmes, puis il reprit : 
— «… Si je vous disais qu’il ne reste vraiment plus rien d’autre à accomplir, sauf de mourir, alors, vous comprendriez presque la vérité. Presque ! » 
Où sont-ils ? Où sont les autres ? O Dieux ! pourquoi n’arrivent-ils pas ? 
Beoric pensa lentement et amèrement : « C’est donc pour cela qu’il faut des guerres et de la misère, et le développement d’états esclaves. C’est donc pour cela que les hommes… les naturels de toutes les planètes que vous régissez doivent être entravés par de vieilles erreurs qu’eux-mêmes reconnaissent comme leur faisant du tort. Vous dites que des nations indépendantes existent encore dans cet univers. Mais une race capable de comprendre les techniques qu’il m’a été permis d’entrevoir doit certainement être suffisamment intelligente pour se rendre compte que seul un gouvernement planétaire unifié peut mettre fin aux horreurs de leurs destinées. Cependant, ce gouvernement n’existe pas et ceci uniquement parce qu’il ne répond pas aux desseins des Vaettirs. » 
— « Ils l’auront finalement, » répondit Kane, « mais ce sera le genre d’État que nous voudrons qu’ils aient. Et surtout ne perdez plus votre sympathie pour les naturels. Avez-vous l’habitude de plaindre vos animaux domestiques ? » 
Subitement, sa pensée vibra plus violente, glacée et mortelle, écrasante rien que par son volume d’énergie furieuse. 
— « Et maintenant, cette farce a suffisamment duré. Je crois que vous vous êtes suffisamment « enferré » et que nous pouvons commencer à déterminer qui vous êtes en réalité. » 
— « Euh… hein ? » La surprise passa comme une boule de feu autour de la table du Conseil. Seuls, les cinq Vaettirs restèrent maîtres d’eux-mêmes, ils savaient ce qui allait se produire. 
— « Mais naturellement. » Cette pensée de Kane rugit et résonna dans leurs crânes. 
 L’Alfe s’affaissa sous cette avalanche de fureur froide, dévastatrice. « Je suis certain que vous ne vous êtes pas laissés prendre par son histoire… et cependant si. Car elle n’était pas sans une certaine ingéniosité. Mais comment une race manifestement inférieure aurait-elle pu inventer un écran contre les vibrations du propulseur stellaire, alors que les Vaettirs ont cherché en vain à le trouver depuis des millénaires ? Pourquoi est-ce que cet étranger, qui affirme venir d’une civilisation familiarisée avec de tels procédés s’est-il montré si intéressé par la manière dont la Terre est gouvernée… et tellement choqué par ce qu’il a appris ? Et en même temps, choqué dans le mauvais sens et aux mauvais moments. J’ai étudié ses réactions émotives depuis l’instant où je l’ai rencontré. Ces réactions ne se justifient nullement si son histoire était véridique. Il était trop intéressé par certains détails, trop indifférent à d’autres. Seul un Denebien était capable de remarquer ces anomalies, car il les masquait très habilement, néanmoins, elles existaient. Aussi n’y a-t-il qu’une seule réponse. » 
Ses vibrations terribles emplirent soudain la pièce d’une sorte de tonnerre muet : 
« Il n’y a pas d’engin interstellaire. Il n’y a pas de planète Alfar. Il est arrivé ici de l’intérieur du système Solaire ! » 
Pendant un instant il y eut un silence dans lequel l’horreur subite de Beoric déferla, paralysante, sur son épine dorsale. Perdu… perdu… les Vaettirs avaient finalement décelé… 
« Non, Beoric, ils ne savent pas encore ! » 
Cette pensée fut comme un bras puissant venant subitement soutenir son corps sur le point de s’écrouler. 
« Mais nous nous attendions à leurs déductions. Nous sommes actuellement juste devant l’immeuble du Quartier Général. » 
En un instant, Beoric vit la situation avec les yeux de l’Alfe qui lui lançait ce message. Une douzaine de voitures étaient en train de se ranger autour du pâté de maisons. Rien ne trahissait qu’elles étaient entièrement construites en alliages non-ferreux. Les êtres qui en sortaient en trombe portaient les vêtements habituels des Terriens et, dans la lumière diffuse de la rue, pouvaient passer pour des humains. Mais… ils étaient armés. 
« Occupe-les, Beoric. Retiens leur attention pendant les quelques minutes qui nous sont indispensables pour arriver jusque dans la Salle du Conseil et leur couper la retraite… ou l’accès à leurs défenses. Empêche-les surtout de percevoir nos radiations pendant notre approche. » 
Le message hâtif se termina. Et maintenant les vibrations de tous les cerveaux du Conseil se lançaient à l’attaque de celui de Beoric, noyant ses pensées en un envahissement rugissant d’énergie cérébrale. Il crut s’évanouir, sombrer dans une nuit abyssale… non, il lui fallait les tenir occupés, il le fallait à tout prix. 
— « Attendez ! » haleta-t-il vocalement. « Attendez… je vais vous dire…» Les pensées de Kane enserraient le cerveau de Beoric comme dans un cercle d’acier. « Alors, commence. Mais tu ne sauveras pas ta misérable personne si tu te permets de nous dire le moindre mensonge…» 
— « Nous… nous sommes de… de la Terre elle-même ! » 
O Dieux ! voilà que je le leur dis ! Il est impossible de faire autrement… Mais même si un seul des conseillers réussit à transmettre ce renseignement à Deneb… 
— « Non ! vous n’êtes pas des Terriens ! » 
— « Non, nous… c’est-à-dire que… si, nous le sommes. Mais pas… des Terriens humains. » — « Comment avez-vous pu évoluer sur une planète à laquelle vous êtes si mal adaptés ? » — « Nous ne sommes pas mal adaptés du tout, au contraire, nous supportons très bien la nuit terrienne. Nous n’avons pas encore réussi à découvrir nos origines exactes. Manifestement, nous devons avoir des débuts communs avec le genre humain ordinaire, mais ce doit être très loin dans le passé, peut-être à l’époque archéozoïque. Il est vrai que certaines formes de vie incapables de supporter la lumière actinique se sont développées, mais s’accommodant de l’obscurité, voyant au moyen de rayons infrarouges. Malgré des différences très importantes, de métabolisme plutôt que de chimie, les deux types de vie diurne et nocturne peuvent servir de nourriture l’une à l’autre ; ainsi l’espèce nocturne n’a jamais manqué de nourriture… Dans le temps, il y avait une grande variété d’espèces nocturnes et finalement elles évoluèrent en donnant naissance à une espèce très semblable aux hommes… nous ! » 
— « Des balivernes ! » Beoric haleta sous la douleur de l’assaut du Vaettir sur son cerveau. « Il n’existe pas la moindre indication géologique ou paléontologique que de telles espèces aient jamais existé. » 
— « Évidemment, non. » Les pensées de l’Alfe contraient frénétiquement les flux cérébraux du Vaettir. N’arriveraient-ils donc jamais ? Où étaient-ils ? Qu’est-ce qui les retardait ? 
— « Je viens de dire que le métabolisme de l’espèce nocturne est très étrange. Leur équilibre naturel, impliquant de grandes intensités aussi bien d’anabolisme que de catabolisme, permet des vies très longues. J’ai cinq cents ans et cependant je suis un jeune. Mais cela signifie également que nos corps se décomposent très rapidement après la mort. Même les os, étant organiques, s’oxydent très vite. Par conséquent, il n’existe pas de traces fossiles de notre vie. Il se pourrait cependant que quelques-unes aient été préservées par un accident étrange, quoique j’en doute, mais leur quantité serait certainement minime et les paléontologistes humains n’ont simplement pas eu la chance d’en découvrir. Naturellement il n’y a jamais eu aucune possibilité de croisements avec l’espèce dominante…» 
— « Dominante ? Mais pour quelle raison les nocturnes se seraient-ils…»
— « Éteints ? Oui, ils le sont presque. Ils ne pouvaient lutter efficacement contre l’autre type de Terriens, capables de supporter la nuit aussi bien que le jour et qui se reproduisaient beaucoup plus rapidement. Au cours de leur très longue vie, les Alfes n’ont qu’un petit nombre d’enfants. Numériquement, nous avons été sur le déclin depuis des siècles et presque tous les autres genres, apparentés au nôtre sont éteints. » 
— « Ce qui n’explique toujours pas…» 
— « Nous avons également d’autres points faibles. » 
Il n’y a plus aucun mal à le leur dire à présent, car si les autres n’arrivent pas très rapidement, tout sera fini de toute façon. 
« Certains métaux, l’argent et le fer, nous sont fatals. Ils catalysent une protéolyse et une oxydation rapide de nos tissus. » Beoric vit les yeux de Kane s’agrandir d’une fraction infime et comprit que d’impitoyables calculs devaient se faire dans ce crâne allongé. Tristement, il poursuivit : 
 « Déjà, à l’époque néolithique, les humains avaient l’avantage sur nous, mais une fois qu’ils eurent appris la métallurgie, notre perte fut scellée. Ils nous chassèrent de tous les pays qu’ils habitaient et, pour des raisons de religion ou de superstition, détruisirent la plupart de nos villes et ouvrages d’art. L’invention des armes à feu, que nous fûmes dans l’impossibilité de copier, fut simplement le coup de grâce. Nous abandonnâmes la lutte et nous retirâmes dans des terres désertes et dans la nuit, vivant dans des demeures cachées et n’ayant plus aucun contact avec les humains. De temps en temps, il se produisait bien une brève rencontre, mais la dernière remonte à trois cents ans et depuis nous avons vécu tellement retirés que les hommes ne croyaient même plus que nous ayons jamais existé. » 
— « Et cependant…» Kane fit une pause, «… ce n’est pas illogique. Si l’on apprenait à un humain que plusieurs races non humaines partagent sa planète avec lui, il ne prêterait certainement pas grande attention à une de plus. Même si cette race supplémentaire était… d’origine terrestre ! » Pendant un moment, il resta silencieux, puis brusquement une pensée aiguë jaillit : 
« Que se passe-t-il ? » Elle eut l’effet d’un coup de poing sur Beoric, et les autres Vaettirs laissèrent éclater leur rage en même temps que Kane. L’Alfe tomba à terre, hurlant de douleur sous cette attaque combinée. 
— « Des étrangers… je sens leurs vibrations – il y a des étrangers dans notre astronef ! » Kane fit un bond de tigre vers la porte, vers la fuite… ou vers les armes atomiques de l’engin. Une flèche siffla et, à travers ses yeux qui se brouillaient, Beoric vit le Denebien tomber en avant, le trait emplumé fiché dans sa poitrine. Il vit ses camarades, les guerriers d’Alfar, se précipiter par la porte. Ils avaient enlevé leurs, vestes et leurs chapeaux humains, et portaient les casques et les cuirasses des vieux jours en bronze au béryllium, étincelants comme de l’or. Ils avaient leurs armes anciennes : arc, lance, glaive, hache. Des clameurs furieuses s’élevaient entre ces murs de métal, le cri du sang de la vengeance. L’air était dense de flèches sifflantes. Elles étaient toutes dirigées sur les Denebiens qui tombèrent avant que leur terrible force mentale, qui aurait encore été capable d’annihiler les envahisseurs, ait pu lancer autre chose qu’un grognement. À présent, les guerriers se précipitaient sur les autres conseillers, glaives et haches brandies, s’abattant et se relevant dégoûtantes de sang, pour s’abaisser encore. 
— « Épargnez-en un ! » s’écria le roi. « Épargnez un Altaïrien ! » Beoric réussit à s’asseoir sur le plancher. Sa tête tournait encore. Ses forces lui revenaient, ses forces et la sensation suffocante, incroyable, qu’il était encore en vie. Que… qu’ils avaient gagné. Les Vaettirs étaient morts. 
— « Comment te sens-tu, Beoric ? » La voix anxieuse était tout contre son oreille. 
— « Très bien. » L’Alfe se releva avec difficulté. 
— « Où… où en sommes-nous ? » 
— « Tout va bien. Je ne détecte plus personne d’autre sur cet astronef. Il est à nous, » dit le roi. Il se tourna vers l’Altaïrien survivant étendu sur le plancher, enroulé dans ses tentacules, sous les pointes des lances des guerriers d’Alfar et le considéra de ses yeux calmes. 
— « Depuis toujours votre race a été la plus raisonnable, » pensa le roi, « et je crois que c’est vous qui coopérerez le mieux avec nous. Nous désirons que vous nous expliquiez la façon de manœuvrer cet astronef. Si vous le faites, nous vous déposerons sur une planète d’où vous pourrez regagner votre monde. » — « Entendu, » répliqua l’octopode, « mais m’expliquerez-vous qui vous êtes exactement, quels sont vos buts et comment vous avez réussi ce coup de main ? » 
— « Nous sommes bien l’équivalent nocturne de l’espèce humaine terrienne, » répondit Beoric. « Nous ne possédons presque aucun pouvoir, mais étant télépathes, nous étions au courant de l’exploitation interstellaire des Vaettirs. Elle nous menaçait autant que nos ennemis séculaires humains… mais en même temps, elle nous offrait une opportunité. » 
Avec le temps nous apprîmes à fabriquer des alliages non-ferreux capables de remplacer le fer et l’acier. Et par un « espionnage » télépathique des faits, des gestes et des pensées de nos envahisseurs, s’étendant sur une période de siècles, nous réussîmes à réunir suffisamment de renseignements pour produire des rayons de gravité et finalement construire une petite torpille. Nous savions que nous ne pourrions jamais pénétrer dans la forteresse des Denebiens s’ils se rendaient compte de notre nature véritable. Les restes de notre race auraient simplement été pourchassés et détruits. Mais, si nous réussissions à envoyer un agent – en l’occurrence moi-même – pour jouer le rôle d’un visiteur venant de quelque grande civilisation formidable au-delà de la leur, ils le traiteraient avec respect, au moins pendant un certain temps. Il réussirait ainsi à pénétrer dans un de leurs astronefs, et ses camarades, dont les despotes étrangers ne suspecteraient pas la présence sur la Terre pourraient mettre à profit la diversion ainsi créée par lui, pour le suivre à l’intérieur de l’astronef et s’en emparer. » 
— « Et maintenant il est à vous, » exprima la pensée de l’Altaïrien. « Et vous avez supprimé tous les Vaettirs du Système Solaire, désorganisant complètement leur domination jusqu’à ce qu’ils puissent envoyer quelqu’un d’autre. Bien joué ! Mais à présent, quelles sont vos intentions ? » 
— « D’abord, » dit le roi, « toute la race des Alfes va quitter le Système Solaire. Cet astronef doit être suffisamment grand pour nous emporter tous, nous restons si peu nombreux… Puis, lorsque nous aurons trouvé une planète à notre convenance, un monde inhabité où nous pourrons nous établir et vivre sans craintes, cachés des Vaettirs par l’immensité de la Galaxie, nous pourrons commencer à préparer notre retour. Et ensuite… une fédération avertie, enthousiaste, d’étoiles libres, équipés d’astronefs pareils à celui-ci, pourra entreprendre quelque chose contre les Vaettirs. » Sa pensée devint farouche. « Et je sais ce que sera ce quelque chose. » 
— « Comme c’est étrange, » médita Beoric. « Les despotes étrangers savaient qu’ils avaient été à l’origine de la majorité des mythes de démons sur la Terre. Il ne leur est jamais venu à l’idée que les mythes de la Féerie et que les bons esprits pouvaient également avoir une origine dans la réalité. Que moi, par exemple, je pouvais être… un elfe ! Que les péris et les ondines, les korrigans et les gnomes, et les farfadets, et le petit peuple de la mer et tout le reste d’entre nous pouvions – d’une certaine façon – avoir une existence réelle… C’est ainsi que l’ennemi séculaire de l’homme, ce peuple de la nuit, mouvant, inconstant, imprévisible, est finalement devenu son sauveur. Et le Royaume des Alfes, ou plutôt le Royaume des Elfes – car nous lui redonnerons maintenant son vrai nom – d’un mythe qu’il était, va se transformer en une réalité. » 
— « Bien dit, Beoric ! Tu as fait là du beau travail, et je te donne l’accolade, » conclut le Roi Oberon.

Traduction d'origine inconnue
Fiction n°3

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