"Un musée, de nuit, on se
croirait dans le ventre d’une baleine."
D’un partenariat scellé
entre les éditions Futuropolis et le musée du Louvre s’est développée une
collection atypique de bandes dessinées au fil des années au gré de
l’inspiration d’auteurs venus d’orient comme d’occident. Le cadre de ces
publications autorise aux auteurs conviés un accès privilégié pour visiter les
galeries et les coulisses du Louvre, d’en arpenter couloirs et recoins de jour
comme de nuit pour s’imprégner de l’atmosphère du musée. Empli des énergies qui
parcourent les lieux, à charge de l’auteur d’imaginer un récit s’inscrivant au
sein du décor fantasmatique louvresque. Après diverses publications, c’est au
tour de Taiyô Matsumoto de se voir offrir l’opportunité de s’aventurer dans « le
ventre de la baleine » avec son nouveau manga Les chats du Louvre. Initialement
publié en deux tomes en noir et blanc, ce récit a été complété d’une édition
intégrale parée de couleurs réalisées pour l’occasion par Isabelle Merlet.
Loin d’être bridé par la
contrainte de base, Matsumoto y trouve au contraire matière à l’exploration de
questionnements intimes qui émaillent son œuvre depuis des décennies, ceux de l’enfance
éprouvée face à la réalité abrupte, parfois cruelle et incompréhensible du
monde environnant. L’auteur anime ici un protagoniste d’un genre nouveau dans
son œuvre. Soit un chaton blanc neige répondant au sobriquet de Flocon, un
passe-tableau capable de se réfugier dans les peintures quand il ne rôde
pas dans les allées du musée, admirant silencieusement les œuvres disséminées çà
et là. Flanqué d’une meute hétéroclite de félins réfugiés dans les combles de
cette étrange bâtisse, Flocon est le témoin privilégié des déambulations
poétiques empruntées par l’écriture et le trait de l’auteur.
Sculptures, tableaux et
autres curiosités s’adonnent à un discret ballet en arrière-plan des cases quand
le dessin virevoltant du mangaka profite du cadre hors-normes du musée pour
déployer par touches un imaginaire fantastique propice à la rêverie et
l’errance. Taiyô Matsumoto laisse s’envoler au fil des planches toutes sortes
d’idées magnifiques, dont ce parti-pris d’avoir conjugué l’anthropomorphisme animal
aux errements de l’homme avec un rare bonheur, les félins déployant une silhouette
humanoïde sans pour autant se départir de leurs attributs bestiaux dès lors qu’ils
se soustraient à la vue des humains. Basculant sous leur apparence animale dès
que les humains font irruption dans leur quotidien, les matous investissent les
pages de chapitre en chapitre au rythme des excursions et autres escarmouches
ponctuant le récit avec la virtuosité coutumière dont fait preuve Matsumoto dans le découpage.
Le trait se délie et les cadrages se déploient pour saisir des panoramas
traversés par le temps et les saisons, la vie et la mort; la maestria graphique
à l’œuvre se resserre autour de tourments intimes qui agitent les
protagonistes, illustrant tant les affres d’un chat couleur neige qui ne
vieillit pas que les pas d’un vieux gardien sillonnant inlassablement les
dédales du musée à la recherche d’un être cher disparu.
A la virtuosité du dessin
répond une palette de couleurs soigneusement apposées par Isabelle Merlet. Les
fins aplats et le travail délicat sur les ambiances à l’œuvre – les virées
nocturnes doucement bleutées comme les rêveries embuées de rouge impriment durablement
la mémoire – donnent un cachet indéniable à cette version, retranscrivant le caractère évanescent des saisons qui s’estompent. Les choix
chromatiques opérés s’accompagnent d’un façonnage discret du trait noir vers
une teinte de bleu-violet, adoucissant les contrastes en vue d’harmoniser les
ambiances sur des planches dont la dominante de noir aurait pu rendre
rédhibitoire l’ajout primaire de couleurs sur le dessin brut. Le récit trouve
ainsi un nouvel équilibre visuel, l’expérience de la lecture en couleur renouvelant
les sensations procurées par l’histoire. Le lecteur curieux peut se faire une
idée du rendu de cette version en visitant le blog d’Isabelle Merlet [Pour en savoir+], qui propose un
comparatif planche à planche des deux versions témoignant du travail accompli
sur les couleurs.
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