Accéder au contenu principal

L'Homme qui rit [Brubaker / Mahnke / Touboul]

« L'Homme qui rit » la bande dessinée d'Ed Brubaker et Doug Mahnke est une lecture qui s'apprécie d'autant plus que l'on a lu, avant, « Batman : Année Un », de Frank Miller & David Mazzucchelli.
Le scénariste,  Ed Brubaker  a souvent déclaré, au travers de son travail, un intérêt manifeste pour les « romans noirs »  ou les films de la même espèce. 
« L'Homme qui rit », récit de 64 pages, n'y échappe pas.

       Ainsi a-t-il décidé d'utiliser une voix hors champ pour deux de ses protagonistes principaux : Batman et Jim Gordon. 
En effet, dès qu'entre en scène Bruce Wayne la voix off fait subtilement le distinguo entre le vigilante gothamite et le riche capitaine d'industrie. Voir le premier récitatif infra, qui prend fait et cause pour la personnalité dominante :
La voix hors champ donc, plus communément appelée voix off, qui permet une focalisation interne, est un des marqueurs les plus prégnants du film noir. En un mot, un stéréotype.

En effet, jusqu'au débuts des années 1940, le récit à la première personne avait rarement été utilisé dans les films hollywoodiens. Edward Dmytryk, en 1944, dans « Adieu ma belle » est le premier à y avoir recourt de manière récurrente, en y ajoutant la vue en caméra subjective. Avant d'investir quasiment la plupart des polars du 7ème art qui suivront.
Un artifice dont les romans noirs et avant eux les récits hard-boiled, font déjà un large usage dès leur « Age d'or », sous la forme du monologue intérieur. 

Une pratique dont je me demande en passant, ce qu'elle doit à la radio, dont l'essor est justement concomitant avec celui des privés durs-à-cuire du matriciel pulp magazine Black Mask
Un média qui demande plus de description que la seule vue du poste ne peut en donner pour raconter une histoire. Et dont les récitatifs sont essentiels.

        « Mon premier scénario de Batman est un décalque d'une histoire de The Shadow »
Bill Finger, cité dans The Steranko History of Comics 

Et pour mémoire, le célèbre personnage de pulp magazine connu sous le nom de The Shadow, à qui Batman doit énormément, était à l'origine le Monsieur Loyal d'une émission de radio.

La dette de Batman est aussi celle d'une filiation ; peut de chose différencie de fait le justicier de Gotham, d'un détective privé type. 
Roman noir graphique donc, « L'Homme qui rit » doit aussi énormément au talent de son dessinateur Doug Manhke. Assisté ici du coloriste David Baron, lequel n'est pas pour rien dans l'ambiance délétère de l'histoire : une sorte de mise à nu de l’inconscient de Gotham.
Mahnke y soigne son storytelling, apportant un soin aussi méticuleux que DC Comics le fait pour l'édition.
L'éditeur américain a en effet, décidé de publier, en 2005, cette histoire auto-contenue dans un Prestige Format™. Écrin qui dit bien l’importance que revêt ce projet pour la Distinguée Concurrence. 
« L'Homme qui rit », titre hommage au film de Paul Leni, dont le personnage de Gwynplaine, interprété par Conrad Veidt, aurait entre autres servi de modèle au Joker, inventé par Jerry Robinson [Pour en savoir +].

Si l’ennemi juré du Caped Crusader y est un personnage important du récit, il agit ici comme un bain révélateur de la noirceur morale - quasi existentielle - de Gotham, et a contrario de l'humanité de Batman.

        « L'Homme qui rit » est une magnifique réussite, une bromance qui n'a pas à rougir d'être sur la même étagère que « Batman : Année Un ». Quelque part au côté de « Killing Joke » et de « Batman Dark Knight ».

Un récit essentiel, ici présenté dans la traduction de Philippe Touboul et le lettrage de Stephan Boschat, pour l'éditeur Urban Comics. Paru dans l'anthologie dédié au criminel le plus recherché du G.C.P.D..   

Commentaires

  1. Merci pour cet article. Je n'ai pas gardé un grand souvenir de cette histoire : je commence à me dire en lisant ton article que je n'ai dû être assez attentif et que j'ai raté les qualités que tu mets en avant. Il faudra que je la relise... mais où ai-je bien pu la ranger ?

    RépondreSupprimer
  2. C'est moi qui te remercie de ton commentaire amigo !

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Juste cause [Sean Connery / Laurence Fishburne / Ed Harris / Kate Capshaw]

« Juste Cause 1995 » est un film qui cache admirablement son jeu.             Paul Armstrong , professeur à l'université de Harvard (MA), est abordé par une vieille dame qui lui remet une lettre. Elle vient de la part de son petit-fils, Bobby Earl , accusé du meurtre d'une enfant de 11 ans, et qui attend dans le « couloir de la mort » en Floride . Ce dernier sollicite l'aide du professeur, un farouche opposant à la peine capitale.   Dès le départ, « Juste Cause 1995 » joue sur les contradictions. Ainsi, Tanny Brown , « le pire flic anti-noir des Everglades », dixit la grand-mère de Bobby Earl , à l'origine de l'arrestation, est lui-même un africain-américain. Ceci étant, tout le film jouera à remettre en cause certains a priori , tout en déconstruisant ce que semblait proposer l'incipit du film d' A rne G limcher. La déconstruction en question est ici à entendre en tant que la mise en scène des contradictions de situations dont l'évidence paraît pour

The Words

... The Words ( Les Mots ) est un film qui avait tout pour me séduire : le roman en tant qu'élément principal, des acteurs que j'aime bien ; D ennis Q uaid, J eremy I rons, J . K . S immons et B radley C ooper. Éléments supplémentaire l'histoire se révèle être une histoire dans l'hisitoire. Ou plus exactement un roman à propos de l'écriture d'un roman, écrit par un autre ; entre fiction et réalité.  Je m'explique. Clay Hammon fait une lecture public de son dernier livre The Words dans lequel un jeune auteur, Rory Jansen , en mal de reconnaissance tente vaille que vaille de placer son roman chez différents éditeurs. Cet homme vit avec une très belle jeune femme et il est entouré d'une famille aimante. Finalement il va se construire une vie somme toute agréable mais loin de ce qu'il envisageait. Au cours de sa lune de miel, à Paris , son épouse va lui offrir une vieille serviette en cuir découverte chez un antiquaire, pour dit-elle qu'

Nebula-9 : The Final Frontier

... Nebula-9 est une série télévisée qui a connu une brève carrière télévisuelle. Annulée il y a dix ans après 12 épisodes loin de faire l'unanimité : un mélodrame bidon et un jeu d'acteurs sans vie entendait-on très souvent alors. Un destin un peu comparable à Firefly la série de J oss W hedon, sauf que cette dernière bénéficiait si mes souvenirs sont bons, de jugements plus louangeurs. Il n'en demeure pas moins que ces deux séries de science-fiction (parmi d'autres telle Farscape ) naviguaient dans le sillage ouvert par Star Trek dés les années 60 celui du space opera . Le space opera est un terme alors légèrement connoté en mauvaise part lorsqu'il est proposé, en 1941 par l'écrivain de science-fiction W ilson T ucker, pour une catégorie de récits de S-F nés sous les couvertures bariolées des pulps des années 30. Les pulps dont l'une des particularités était la périodicité ce qui allait entraîner "une capacité de tradition" ( M ich