Inconnu de la sphère littéraire des (mauvais) genres, John Brownlow n'est pas un total inconnu de la dictature de la marchandise, puisqu'il a à son actif ; un scénario pour le film Sylvia (avec Gwynneth Paltrow et Daniel Craig), ou encore l'écriture de la série télévisée intitulée Fleming, où la vie d'agent de renseignement de Ian Fleming y était racontée.
Il ne quitte d'ailleurs pas les plates-bandes de l'espionnage avec son premier roman « L'Agent Seventeen », dont le protagoniste principal a lui aussi un « permis de tuer ».
Un livre commercialisé en France, via la Série Noire™ grâce à une traduction de Laurent Boscq, au prix de 23 euros.
Et puisque j'en suis à parler traduction, j'ai été surpris de trouver une note de bas de page au sujet d'une chanson qui passe à la radio (intradiégétiquement parlant si je puis dire) ; « Dans l'autoradio de la Pontiac, on vient de jeter quelque chose du pont de Tallahatchie1, mais Barb ne chantonne plus. Elle me regarde.» - et qui renvoie à ce texte: « 1. Ode to Billie Joe, célèbre morceau de Bobbie Gentry. « She and Billy Joe was throwing somethin' off the Tallahatchie Bridge. »(N.d.T.).
Note qui pour le coup ne doit guère renseigner les locuteurs anglophobes.
Alors que notre Joe Dassin national avait superbement adapté pour notre plus grand plaisir, de ce côté-ci de l'Atlantique, cette chanson, dès 1967, sous le titre de « Marie-Jeanne ». Adaptation française donc, dont les paroles sont sûrement plus intelligibles pour des lecteurs tel que moi, qui requièrent l'aide d'un traducteur pour lire ce roman anglais de 512 pages.
Ceci étant dit, « L'Agent Seventeen » démarre joliment :
« Ce que je dis c'est que tous ces trucs que tu vois à la télé et au cinéma, les voyages à fond la caisse dans des contrées exotiques dans des voitures de sport voyantes, les fuites par les toits en faisant du parkour pour éviter les rafales d'automatiques, les idylles avec des célébrités glamour aux origines ethniques variées et aux allégeances suspectes, et la suppression à distance avec des armes silencieuses de cibles choisies pour des raisons qui restent opaques jusqu'au troisième acte, quand les méchants réapparaissent en masse pour te botter le cul, rien de tout ça n'existe.
Absolument rien.
Pas même un tout petit peu.
À moins d'être moi. »
Et puis ça se gâte.
D'abord avec un petit rien.
En effet dès l’entame de l'histoire, Seventeen (dont on apprendra grâce à ses lectures qu'il avait 9 ans en juillet 2001) est en pleine mission, ce qui est au demeurant un procédé classique, mais dont les preuves ne sont plus à faire en matière d'immersion.
Et là encore, rien à dire, c'est du sur-mesure.
Sauf que d'une manière incongrue, incongrue pour moi je veux dire, Seventeen décide d'épargner un personnage.
Ce qui est parfaitement son droit me direz-vous, certes !
Mais les raisons de cette indulgence me sont apparues pour le moins surprenantes : « Son assistant apparaît, un jeune Noir très mince aux pommettes saillantes – Somalien, peut-être ? – moulé dans un pantalon gris qui lui va comme un gant. Il a l'air sympa. Est-ce que Meyer se le tape ? Si c'est le cas, il est plus raffiné que je l'aurais imaginé.
L'assistant s'appelle Bashir. Je n'ai aucune envie de le tuer, donc je change légèrement mes plans [..] »
Vous savez comment ça se passe, si John Brownlow se fend d'une description si précise, pour un personnage qui ne reviendra pas, et qui n'a aucune importance dans l'histoire, c'est que vraisemblablement la description est au moins utile pour celui qui s'en charge.
Or donc, Seventeen a-t-il épargné Bashir parce qu'il est Noir ; ou parce qu'il est gay ?
Oui je sais, ma question est choquante, et elle m'a moi-même choqué.
Jusqu’à ce que John Brownlow ajoute des indication sur le modus operandi de l'agent 17 :
« J'y laisse mon attaché-case, dans lequel la police découvrira plus tard un exemplaire de De la grammatologie de Derrida destiné d'une part à lui donner un poids crédible, mais surtout parce que tant qu'à laisser un indice, autant qu'il soit le plus déroutant et absurde possible. »
Je crois plutôt que Brownlow nous invite à voir son protagoniste sous un angle précis.
Pour ceux qui ne le sauraient pas, l'ouvrage en question de Derrida est considéré - par des gens qui en savent plus que moi - comme la bible de la « déconstruction », notion qui a eu un développement international justement grâce à De la grammatologie, lors de sa traduction en anglais.
Je ne vous ferez pas l'injure d'épiloguer sur ladite « déconstruction », puisque cette entreprise nihiliste est passée quasiment dans le domaine public en quittant le secteur de la philosophie pour celui du militantisme.
Woke, le militantisme.
Voici pour votre édification [sourire] quelques exemples que j'ai relevés, disséminés tout au long des pages, et qui me semble attester ma théorie :
L'agent 17 s'attarde par exemple sur le Mont Rushmore, qu'il associe à un
« regrettable tatouage sur la peau de l'Amérique ». Pourquoi pas, hormis si l'on considère que cette sculpture fait partie de l'Histoire des U.S.A..
Mais Seventeen ne s'arrête pas en si bon chemin (sic). Je précise, sans trop déflorer ce roman que vous lirez peut-être, que c'est au lecteur que ce personnage s'adresse lorsqu'il monologue.
Au reste que dit-il ensuite ; « Il faut du cran pour sculpter la tête d'un homme qui possédait six cents esclaves [..]»
Pourquoi cette précision me suis-je demander ?
Avant de comprendre que ces ruminations au sujet du Mont Rushmore est l'équivalent pour Seventeen, du « déboulonnage » de statues ; action militante orchestrée par une poignée de Social Justice Warriors (uniquement occidentaux).
Plus loin, le même Seventeen nous sert un slogan, « Votez Seventeen ! Foutons tous la merde ! Surtout les gens de couleur ! », peut-être pas si abscons qu'il m'avait semblé en première instance.
Un peu plus tard, on apprend que « Vilmos est gay », qu'il « a une centaine de kilos de trop et souffre de troubles du spectre autistique ». Rien que de très littéraire que d'étoffer ses personnages. Soit !
Mais c'est surtout l'occasion pour Seventeen de nous évangéliser : « Ça ne m'a jamais dérangé qu'il soit gay. J'ai couché avec des hommes et avec des femmes. David fut mon premier mec, mais je m'intéressais déjà aux garçons avant. Comme la plupart des hommes, même s'ils ne veulent pas l'admettre. »
Il y a là tout le catalogue « intersectionnel »: la sphère LGBT, l'autisme - Asperger bien sûr, l'obésité, et cet affirmation que tous les hommes s'intéressent aux garçons quoi qu'il puisse avouer.
Une chose est sûre, avec des auteurs de la trempe de John Brownlow, les relecteurs de susceptibilités (sensitivity readers dans le texte) vont se retrouver au chômage.
Ou alors c'est un petit malin, qui manie l'ironie comme personne.
En passant on apprendra que cet « agent du chaos » a fait son éducation notamment grâce « à la communauté émigrée de Montréal », ce qui serait bien innocent si cette liste ne cochait pas déjà tout un habitus progressistes (attention faux-ami) si envahissants.
Bref, si votre route croise celle de Seventeen veillait à vous trimballer avec la photo de votre mari (si et seulement si, vous êtes un homme), et de votre fils adoptif né d'une mère porteuse, car vous aurez comme Henry Chu (chapitre 23) tout son affection. Et probablement la vie sauve.
Mais outre une propagande progressiste (attention faux-ami), que raconte ce roman ?
Je dirais, rien qu'on ait déjà lu ailleurs, ce qui est loin d'être répréhensible s'agissant de littérature alimentaire.
Mais là où le bât blesse c'est que John Brownlow oublie que le vrai peut ne pas être vraisemblable, mais que la littérature de masse ne peut pas trop se le permettre.
Ainsi dans le monde clôt de l'histoire, s'il est bien sûr acceptable que le personnage principal soit quasi invincible et d'une intelligence remarquable. Encore faut-il qu'il n'agisse pas d'une manière tellement idiote que ses actes aillent à l'encontre de ce autour de quoi il a organisé sa vie. Et c'est pourtant ce qui arrive dans ce roman.
Le jeu du chat et de la souris qui s'instaure, tient alors beaucoup trop de la manœuvre dilatoire.
D'une manière générale le catalogue du répertoire du (mauvais) genre auquel ce roman appartient est épuisé dans les grandes largeurs, sans beaucoup d'imagination.
Rien que je puisse reprocher à un auteur qui navigue dans ce quadrant de l'imaginaire.
Sauf qu'à ce titre « L'Agent Seventeen » aurait dû être publié dans une collection de poche, et vendu au prix de ce format.
Là, au contraire il vous faudra débourser 23 €.
Un prix bien trop élevé pour une marchandise qui ne le vaut pas.
Et je ne revient pas sur la propagande woke.
Verdict : Un roman qu'on peut ne pas lire.
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