« Quand les hommes, même s'ils s'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents ; au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge. »
Râmakrishna Paramahamsa
Le whodunit à l'anglaise, quand bien même ses fondations ont-elles été posées par l’américain Edgar Allan Poe.
Le roman hard-boiled, et son pendant un peu moins policier (et moins expéditif) mais plus social, dit
« roman noir »; nés tous les deux dans le magazine bon marché étasunien Black Mask.
La France en connaitra une version - pendant longtemps - strictement
« comportementaliste », à cause du format de la Série noire™ (tirant ses traductions vers des abrégées) et de l'idée que s’en faisait Marcel Duhamel, le créateur de la prestigieuse collection de Gallimard™.
On sait aujourd'hui que ce n'était pas le reflet exact de ce qu'écrivaient alors tous les auteurs américains qui y seront publiés.
On recense également des polars historiques, ethniques, voire sportifs. Tous ces sous-genres pouvant allégrement se superamalgamer.
Bref au sein de cette famille nombreuse et incestueuse, il est un sous-genre que j'appellerai, faute de mieux, le polar en « régime d'exception ».
Celui-ci met bien entendu en scène une enquête judiciaire, mais subordonnée à deux sous-régimes sociétaux différents, qui peuvent par ailleurs se conjuguer, comme dans le cas du roman qui nous occupe ici.
L’enquête peut en effet se dérouler sous les fourches caudines d'un régime politique autoritaire. Je pense par exemple à Gorky Park de Martin Cruz Smith, où un enquêteur doit composer avec le régime de la Russie soviétique.
Même si les démocraties occidentales moins autoritaires ne sont pas exemptes de faire - elle aussi - pression sur les enquêtes qui y sont menées. Le meilleur exemple qui me vient à l'esprit est certainement celui du Néo-polar hexagonal des années 1970-1980, qui en a fait l'une de ses articulations majeures. Mais les modalités n'y sont pas exactement les mêmes.
Toutefois, le « régime d'exception » peut également résulter d'un contexte particulier, comme ici avec « La nuit des généraux », en prenant la forme de la guerre.
Laquelle relativise grandement les homicides de droit commun.
En effet, quoi de plus banal, si je puis m’exprimer ainsi, que la mort qui frappe lors d’une guerre !?
Mais c’est justement ce tiraillement entre la mort de masse et le fait divers qui fait toute la saveur de ce type de polar. Et le succès d’un romancier comme l’écossais Philip Kerr par exemple.
Hans Hellmut Kirst (1914-1989) était un écrivain allemand - sous-officier dans la Reichswehr avant la Seconde Guerre mondiale, et pendant celle-ci en tant qu'officier dans la Wehrmacht, qui utilisera son expérience pour écrire de nombreux romans sur ce sujet, dont justement « La nuit des généraux1962 ».
Une histoire qui sera portée sur grand écran par Anatole Litvak, sur un scénario de Joseph Kessel & Paul Dehn, et qui sortira en France en 1967.
Polar historique sous « régime d'exception » donc, « La nuit des généraux » est découpé en trois parties : Varsovie 1942 / Paris 1944 / Berlin 1954.
L'intrigue, qui danse à plusieurs noces : description du milieu des officiers généraux, relations de combats et de comportement qui s'y rapportent, enquête policière bien sûr, vaudeville (quasi), conspiration d'envergure, portrait de l'occupation de Paris, fonctionnement de la police française sous l'Occupation, cette intrigue disais-je est en effet très dense (sic).
On a même un aperçu significatif de la Guerre « froide » telle qu'elle pouvait se vivre à Berlin, un peu avant la construction du tristement célèbre mur.
Mais la traduction de Pierre Kamnitzer, qui est un vrai plaisir de lecture, rend ce foisonnement particulièrement digeste. Et j'imagine qu'en allemand on peut faire le même compliment à Hans Hellmut Kirst.
Ce qui donne un roman qui se lit en définitive, comme un page-turner.
Si la langue y est un vrai plaisir, H.H. Kirst rythme en sus son récit en lui donnant tous les aspects de la vraisemblance, en y incluant des extraits de journaux intimes, des lettres, des rapports, des comptes rendus d’entretien avec les uns et les autres, lesquels entraînent une immersion complète dans l’histoire. C’est du très très bon travail.
En conclusion, je dois dire que je suis un amateur inconditionnel du film, avec notamment Peter O'Toole, Omar Sharif & Philippe Noiret, mais le roman - alors que j'en connais pourtant l'intrigue par cœur, est un must du genre.
Hans Hellmut Kirst s'ingénie à rester crédible, ce qui l'entraîne à proposer un dénouement très astucieux, et surtout comme je l'ai déjà dit, très plausible.
« La nuit des généraux » mériterait d’ailleurs amplement une réédition.
En tout cas, le plaisir que j'ai pris à le lire m'a fait mettre Hans Hellmut Kirst sur ma liste des auteurs à lire.
C'est dire !
Tu piques ma curiosité. Je ne connaissais que le film. Très bon d'ailleurs.
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