Accéder au contenu principal

Everville

Quand vous arrivez à un carrefour, prenez-le !
Yogi Berra

... Je viens de terminer Everville le magnifique roman de Clive Barker et, j'avais envisagé de vous en parler mais encore sous le coup de la sidération cognitive de ma lecture, j'opte pour un extrait du portrait que Guy Astic a consacré à l'auteur  britannique ( Ténèbres n°5 janvier/mars 1999)  ...

L'Art de Clive Barker


[...]
... Il est courant d'envisager pour chaque écrivain une patrie littéraire fétiche. Celle de Barker épouse les contours improbables de Quiddity, l'océan onirique dont la nature échappe à la compréhension - après tout, son nom même repose sur l'interrogatif latin vague par excellence : Quid. De Secret Show (1989) à Everville (1994), sans oublier la nouvelle "Sur les rives d'Amen" (1992), cette étendue s'impose comme un motif obsédant, comme un absolu pour Barker, à la fois l'origine et l'aboutissement de sa création : "Là se trouvaient une structure et un but ; là se trouvait un aperçu de continuité ; là se trouvait le Show, le Grand Show Secret dont la poésie et les rites n'étaient que des mémentos."

... Son accessibilité obéit à des règles précises, dont le rêve est la principale clef. Cela ne surprend guère de la part d'un auteur qui avoue sans ambages tenir un "dream journal". Les hommes arrivent ainsi à Quiddity uniquement à trois reprises. "Lors de la nuit de leur naissance. Lors de la nuit de leur plus grand amour. Et lors de la nuit de leur mort." Quelques individus font exception et y entrent en dehors de ces conditions ; ce sont des filous, des poètes et des magiciens. Des rêveurs éveillés à leur façon. Édifiant !

... Premier constat, Quiddity est la matrice imaginaire assurant l'unité de récits aux ramifications particulièrement abondantes. Que ce soit dans Secret Show ou dans Evervile, l'accent est mis sur la pluralité des histoires mises en route, qui convergent toutes vers un point névralgique : la faille qui ouvre sur l'Océan ou du moins sur les berges. Entretemps, ces histoires ont tendance à s'égarer, à bifurquer, à se croiser. Elles se présentent sous la forme de bribes venues des quatre coins de l'Amérique et passent toutes par une sorte de carrefour, Omaha. Dans Secret Show, Randolph Jaffe se retrouve au cœur de ce complexe en dépouillant au Bureau de Poste Central de Omaha les lettre perdues. Il reconstitue peu à peu la vie secrète de son pays et a le sentiment "d'être assis au carrefour de l'Amérique". Pour y mettre de l'ordre, il pratique la "synchronicité". Dans Everville, Grillo prend la relève de Jaffe au même endroit. Il utilise le Récif, des ordinateurs montés en réseau afin de procéder au maximum de "connexions" et assembler le puzzle. Réseau, connexion, synchronicité et carrefour, voilà les maîtres-mots qui jalonnent les fictions hantées par Quiddity. Ils qualifient surtout à merveille le travail de Barker, véritable tisseur de récits et mythonaute à la dérive, qui fait sienne la tradition du Kathasaritsagara, cet Océan des histoires sans fin et sans mainstream célébré par Salman Rushdie dans Haroun et la mer des histoires.

... D'autre part, Quiddity apparaît comme un espace menacé par les coups de force qui lui sont assénés dans les deux sens. D'un côté les Iad Uroboros, principaux acteurs du "spectacle qui se déroulait derrière l'écran des mondes", traversent l'Océan pour passer dans la dimension réelle. L'envahissement est imminent dans Secret Show comme dans Everville, les brèches ne cessent de s'élargir. De l'autre les "profanes" comme Jaffe est ses terata, "les terreurs primales solidifiées" tente de violer l'accès  aux flots mythiques. Le mal est tout aussi grand : "ce qui était secret deviendrait banal ; ce qui était sanctifié serait bafoué". Dans ce contexte, spiritualité et onde marine s'avèrent étroitement liées, l'influence du Moby Dick de Melville n'étant pas indifférente à ce parti-pris.
... Quiddity en définitive, c'est l'inorganique et le changeant élevés au rang de valeurs primordiales ; c'est la capacité de l'art à rendre toute matière poreuse, à métamorphoser en permanence la réalité et la fiction. La perversion qui frappe l'Océan est son contraire : les Iad sont une masse compacte, porteuse de l'apocalypse du figement ... qui nécessite une réplique tout aussi apocalyptique et nihiliste, la bombe atomique. L'appréhension technophobe de l'écrivain vient ainsi se greffer à sa crainte de voir disparaître les carrefours imaginaires.      

[..]

Commentaires

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

The Words

... The Words ( Les Mots ) est un film qui avait tout pour me séduire : le roman en tant qu'élément principal, des acteurs que j'aime bien ; D ennis Q uaid, J eremy I rons, J . K . S immons et B radley C ooper. Éléments supplémentaire l'histoire se révèle être une histoire dans l'hisitoire. Ou plus exactement un roman à propos de l'écriture d'un roman, écrit par un autre ; entre fiction et réalité.  Je m'explique. Clay Hammon fait une lecture public de son dernier livre The Words dans lequel un jeune auteur, Rory Jansen , en mal de reconnaissance tente vaille que vaille de placer son roman chez différents éditeurs. Cet homme vit avec une très belle jeune femme et il est entouré d'une famille aimante. Finalement il va se construire une vie somme toute agréable mais loin de ce qu'il envisageait. Au cours de sa lune de miel, à Paris , son épouse va lui offrir une vieille serviette en cuir découverte chez un antiquaire, pour dit-elle qu'

Juste cause [Sean Connery / Laurence Fishburne / Ed Harris / Kate Capshaw]

« Juste Cause 1995 » est un film qui cache admirablement son jeu.             Paul Armstrong , professeur à l'université de Harvard (MA), est abordé par une vieille dame qui lui remet une lettre. Elle vient de la part de son petit-fils, Bobby Earl , accusé du meurtre d'une enfant de 11 ans, et qui attend dans le « couloir de la mort » en Floride . Ce dernier sollicite l'aide du professeur, un farouche opposant à la peine capitale.   Dès le départ, « Juste Cause 1995 » joue sur les contradictions. Ainsi, Tanny Brown , « le pire flic anti-noir des Everglades », dixit la grand-mère de Bobby Earl , à l'origine de l'arrestation, est lui-même un africain-américain. Ceci étant, tout le film jouera à remettre en cause certains a priori , tout en déconstruisant ce que semblait proposer l'incipit du film d' A rne G limcher. La déconstruction en question est ici à entendre en tant que la mise en scène des contradictions de situations dont l'évidence paraît pour

Nebula-9 : The Final Frontier

... Nebula-9 est une série télévisée qui a connu une brève carrière télévisuelle. Annulée il y a dix ans après 12 épisodes loin de faire l'unanimité : un mélodrame bidon et un jeu d'acteurs sans vie entendait-on très souvent alors. Un destin un peu comparable à Firefly la série de J oss W hedon, sauf que cette dernière bénéficiait si mes souvenirs sont bons, de jugements plus louangeurs. Il n'en demeure pas moins que ces deux séries de science-fiction (parmi d'autres telle Farscape ) naviguaient dans le sillage ouvert par Star Trek dés les années 60 celui du space opera . Le space opera est un terme alors légèrement connoté en mauvaise part lorsqu'il est proposé, en 1941 par l'écrivain de science-fiction W ilson T ucker, pour une catégorie de récits de S-F nés sous les couvertures bariolées des pulps des années 30. Les pulps dont l'une des particularités était la périodicité ce qui allait entraîner "une capacité de tradition" ( M ich