En 2014, des documents déclassifiés de la CIA transforment rétrospectivement Le docteur Jivago1957 en arme de propagande culturelle.
Le roman de Boris Pasternak et Lara Prescott, c'est en quelque sorte une affaire de famille.
Prénommée en l'honneur de l'héroïne par sa mère qui adorait l'adaptation du roman par David Lean, c'est son père qui attire son attention sur l'activisme éditorial de l'agence de renseignement étasunienne via un article publié par le Washington Post©.
En effet, à la fin des années 1950, pour des raisons idéologiques, Le docteur Jivago n'est pas autorisé a être publié en U.R.S.S., Boris Pasternak se résigne à faire passer son manuscrit à l'Ouest, et le livre paraît dans un premier temps en Italie.
L'aura sulfureuse que lui prête les autorités soviétiques convainque la CIA de s'en servir, et de lui faire repasser le Rideau de fer™, et de le diffuser dans en langue russe.
À l'époque tout est bon pour amoindrir l'aura du Grand Frère soviétique, qui par ailleurs vient de prendre la tête de la conquête spatiale avec le lancement réussi de deux satellites Spoutnik.
Ces événements contiennent, même à l'état brut, tout le romanesque nécessaire pour faire passer n'importe quel document factuel pour un thriller d'espionnage captivant. Lire à ce propos L'Affaire Jivago de Peter Finn & Petra Couvée, ou encore pour une vision plus générale, l'ouvrage de Frances Stonor Saunders : Qui mène la danse ? La CIA et la guerre froide culturelle ; deux essais d'ailleurs expressément cités par Lara Prescott dans ses « Notes et remerciements ».
Mais l'autrice de « Nos secrets trop bien gardés », que l'on peut voir ci-dessous se recueillir sur la tombe de Pasternak à Peredelkino, adopte un angle bien plus original.
Toute l'histoire autour de l'écriture et de la publication du manuscrit nous sera racontée uniquement au travers des yeux des femmes qui y ont contribué. Olga Ivinskaya la muse et la maîtresse de Pasternak, le pool de dactylos de la CIA, et plus particulièrement Irina, ou encore Sally Forrester.
Roman d'espionnage par la force des choses, « Nos secrets trop bien gardés », qui pour le coup ne font pas références à « l'affaire Jivago », est aussi un polaroid™ des années 1950 et de la place qu'y occupait la gent féminine.
Bien sûr, vu le sujet, au sein de la CIA, dont les hommes, dans leur majorité, avaient oublié le rôle que certaines d'entre elles avaient joué du temps de l'OSS.
« Nos secrets trop bien gardés » et Le docteur Jivago, chacun, à l'aune de ce qu'on voudra bien leur accorder, véhicule un sous-texte qui n'est peut-être pas si éloigné l'un de l'autre.
« Nos secrets trop bien gardés » est un roman dont les 500 et quelques pages vous feront probablement battre des records de vitesse dignes des championnats du monde de lecture rapide. Revers à ce magnétisme, le premier roman de Lara Prescott, acheté 1,7 millions d'euros par l'éditeur américain Knopf™, et vendu 22,50 euros (et 14,99 en numérique) dans l'Hexagone, ne se laisse pas refermer avant d'en avoir totalement fini avec lui.
• Classification : Très très recommandé
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