•••• Le Vieil homme et la guerre, de John Scalzi, relève de ce qu'on appelle communément le space opera, et plus précisément de sa version militaire. Un aspect martial présent, et moteur du récit fondateur du genre.
Du moins si l'on s'en tient au quadrant étasunien du space opera.
Un récit originel, paradoxalement antérieur à l'invention du terme, et qui précède même l'invention de la science-fiction elle-même, en 1926.
Il peut sembler contre-intuitif de citer une origine datant d'avant l'invention de ce qu'elle désigne, et pourtant.
Si pour des raisons historiques, éditoriales et pratiques j'identifie la naissance de la science-fiction (SF) à la sortie, en 1926, du premier numéro d'Amazing Stories, un pulp magazine créé par Hugo Gernsback, il est évident que des textes relevant du genre lui ont préexisté. C'est d'ailleurs sur et grâce à ce corpus, que Gernsback a pu édifier son propre projet éditorial.
Antériorité également en ce qui concerne le space opera, catégorie dont on attribue l'invention du nom à Wilson Tucker (1941), lequel se serait inspiré de horse opera*, vocable désignant une catégorie de western, aussi bien cinématographiques que télévisés, remplis de clichés et reposant sur une « formule » ; rythmés -parfois- d'intermèdes musicaux et chantés. D'où la présence du mot « opéra ».
« Formule » est ici à prendre au pied de la lettre, en tant que dispositif narratif répétitif, utilisé pour masquer le manque d'imagination de ces productions (et de ceux qui les produisaient).
Horse opera, tout comme dans l'esprit de son inventeur, space opera, était un terme dépréciatif. Wilson Tucker parle dans son fameux article paru donc en 1941, dans un fanzine de SF de : « mauvaises et rebattues histoires de vaisseaux spatiaux », à propos de textes qui lui sont contemporains voire, légèrement antérieurs.
Si l'expression a aujourd'hui perdu tout son potentiel péjoratif dans l'esprit du grand public tout autant que dans celui des aficionados du genre, elle désigne toujours des aventures de vaisseaux spatiaux, d'extraterrestres et de planètes lointaines. Voire très lointaines.
À l'instar du récit fondateur du space opera, du moins celui qui est le plus susceptible de l'être à mes yeux, et auquel je faisais allusion en commençant ce billet critique. Et plus particulièrement dans sa version guerrière, et par extension militaire.
Le texte en question est en fait une suite. Celle du roman fort bien connu de Wells, intitulé dans l'Hexagone La Guerre des mondes, et plus précisément de la suite de son « adaptation », paru en feuilleton en plusieurs livraisons dans le New York Evening Journal, en 1897. Je parle d'adaptation car, outre le changement de titre, les faits relatés sont relocalisés à Concord, dans le Massachusetts, et des ajouts y seront insérés qui ne figurent pas dans la version de l'auteur britannique. Et ceci expliquant sûrement cela, Fighters from Mars, puisque c'est sous ce titre que parue l'histoire dans le quotidien américain, ne respecte pas les lois du copyright, pratique courante à l'époque outre-Atlantique.
La suite, dont je dis qu'elle inaugure et le space opera et le space opera dit militaire, est l’œuvre de Garrett Putnam Serviss astronome, et écrivain de science-fiction. Bien qu'il ne le sache pas lui-même à l'époque.
Intitulée Edison's Conquest of Mars (déjà tout un programme) cette aventure est une revanche sur la précédente invasion marsienne© , voire une frappe préventive à un éventuel retour des belliqueux extraterrestres imaginés par Wells.
On y trouve des vaisseaux spatiaux, non plus envoyés grâce à un canon mais grâce à une énergie antigravitationnelle, des désintégrateurs, des scaphandres, bref tout une quincaillerie dont les auteurs de space opera n'ont pas encore fini de se servir. Et une flopée de personnages réels dont Garret P. Serviss lui-même, qui raconte les faits à la manière d'un journaliste embedded. Parmi cette force frappe qui fera un détour par la Lune avant d'en découdre, il y a bien évidement Thomas Edison, l'inventeur, scientifique et homme d'affaires bien connu.
Là où Herbert George Wells inversait le processus colonial, et donnait la victoire aux Terriens via un coup de chance, Serviss reprend la main -dans tous les sens du terme- en permettant la découverte de minerais sur Mars, après en avoir détruit toute la population autochtone. Toute ressemblance avec la Conquête de l'Ouest™, la théorie de la Frontière made in F.J. Turner et le génocide des Amérindiens n'a sûrement rien de fortuit.
•••• John Scalzi avance gaillardement sur les brisées de son lointain prédécesseur, qu'il dépasse en terme de propulsion tout autant qu'en matière d'extraterrestres. Toutefois il y ajoute une retenue en évitant le piège du manichéisme, et pas mal d'humour. Là où Serviss et lui se rejoignent le plus, c'est au niveau des idées. John Scalzi n'en manque assurément pas.
Le Vieil homme et la guerre est un formidable roman, bourré d'action comme on s'y attend, mais aussi de personnages que Scalzi sait rendre attachants, intéressants ou franchement antipathiques. Les différents extraterrestres que son personnage principal, John Perry, rencontre, offrent le dépaysement escompté et une diversité qui permet outre de ne pas lasser malgré les nombreux affrontements de l'histoire, d'introduire un questionnement sur les raisons qui poussent les Forces de Défense Coloniale à faire ce qu'elles font.
•••• Bref très loin d'être le récit bas du front que l'ajout du terme militaire pourrait laisser croire à certains, Le Vieil homme et la guerre est un roman très divertissant, punchy, et souvent très drôle. Le premier tome d'une série qui, si elle est du même niveau que lui, augure de sacrément bons moments de lecture.
Incidemment, Le Vieil homme et la guerre (magnifique titre soit dit en passant) m'a fait penser à Rogue Trooper.
John Perry le personnage principal inventé par Scalzi partage pas mal de points communs avec celui inventé par Gerry Findlay-Day & Dave Gibbons pour l'hebdomadaire anglais de bandes dessinées 2000AD. Une série, et un univers que je ne saurais trop recommander à ceux & celles qui ont aimé Le Vieil Homme et la guerre.
* À propos du horse opera et du space opera, voir ce qu'en dit Leslie Fiedler dans son ouvrage Le Retour du Peau-Rouge.
Du moins si l'on s'en tient au quadrant étasunien du space opera.
Un récit originel, paradoxalement antérieur à l'invention du terme, et qui précède même l'invention de la science-fiction elle-même, en 1926.
Il peut sembler contre-intuitif de citer une origine datant d'avant l'invention de ce qu'elle désigne, et pourtant.
Si pour des raisons historiques, éditoriales et pratiques j'identifie la naissance de la science-fiction (SF) à la sortie, en 1926, du premier numéro d'Amazing Stories, un pulp magazine créé par Hugo Gernsback, il est évident que des textes relevant du genre lui ont préexisté. C'est d'ailleurs sur et grâce à ce corpus, que Gernsback a pu édifier son propre projet éditorial.
Antériorité également en ce qui concerne le space opera, catégorie dont on attribue l'invention du nom à Wilson Tucker (1941), lequel se serait inspiré de horse opera*, vocable désignant une catégorie de western, aussi bien cinématographiques que télévisés, remplis de clichés et reposant sur une « formule » ; rythmés -parfois- d'intermèdes musicaux et chantés. D'où la présence du mot « opéra ».
« Formule » est ici à prendre au pied de la lettre, en tant que dispositif narratif répétitif, utilisé pour masquer le manque d'imagination de ces productions (et de ceux qui les produisaient).
Horse opera, tout comme dans l'esprit de son inventeur, space opera, était un terme dépréciatif. Wilson Tucker parle dans son fameux article paru donc en 1941, dans un fanzine de SF de : « mauvaises et rebattues histoires de vaisseaux spatiaux », à propos de textes qui lui sont contemporains voire, légèrement antérieurs.
Si l'expression a aujourd'hui perdu tout son potentiel péjoratif dans l'esprit du grand public tout autant que dans celui des aficionados du genre, elle désigne toujours des aventures de vaisseaux spatiaux, d'extraterrestres et de planètes lointaines. Voire très lointaines.
À l'instar du récit fondateur du space opera, du moins celui qui est le plus susceptible de l'être à mes yeux, et auquel je faisais allusion en commençant ce billet critique. Et plus particulièrement dans sa version guerrière, et par extension militaire.
Le texte en question est en fait une suite. Celle du roman fort bien connu de Wells, intitulé dans l'Hexagone La Guerre des mondes, et plus précisément de la suite de son « adaptation », paru en feuilleton en plusieurs livraisons dans le New York Evening Journal, en 1897. Je parle d'adaptation car, outre le changement de titre, les faits relatés sont relocalisés à Concord, dans le Massachusetts, et des ajouts y seront insérés qui ne figurent pas dans la version de l'auteur britannique. Et ceci expliquant sûrement cela, Fighters from Mars, puisque c'est sous ce titre que parue l'histoire dans le quotidien américain, ne respecte pas les lois du copyright, pratique courante à l'époque outre-Atlantique.
La suite, dont je dis qu'elle inaugure et le space opera et le space opera dit militaire, est l’œuvre de Garrett Putnam Serviss astronome, et écrivain de science-fiction. Bien qu'il ne le sache pas lui-même à l'époque.
Intitulée Edison's Conquest of Mars (déjà tout un programme) cette aventure est une revanche sur la précédente invasion marsienne© , voire une frappe préventive à un éventuel retour des belliqueux extraterrestres imaginés par Wells.
On y trouve des vaisseaux spatiaux, non plus envoyés grâce à un canon mais grâce à une énergie antigravitationnelle, des désintégrateurs, des scaphandres, bref tout une quincaillerie dont les auteurs de space opera n'ont pas encore fini de se servir. Et une flopée de personnages réels dont Garret P. Serviss lui-même, qui raconte les faits à la manière d'un journaliste embedded. Parmi cette force frappe qui fera un détour par la Lune avant d'en découdre, il y a bien évidement Thomas Edison, l'inventeur, scientifique et homme d'affaires bien connu.
Là où Herbert George Wells inversait le processus colonial, et donnait la victoire aux Terriens via un coup de chance, Serviss reprend la main -dans tous les sens du terme- en permettant la découverte de minerais sur Mars, après en avoir détruit toute la population autochtone. Toute ressemblance avec la Conquête de l'Ouest™, la théorie de la Frontière made in F.J. Turner et le génocide des Amérindiens n'a sûrement rien de fortuit.
•••• John Scalzi avance gaillardement sur les brisées de son lointain prédécesseur, qu'il dépasse en terme de propulsion tout autant qu'en matière d'extraterrestres. Toutefois il y ajoute une retenue en évitant le piège du manichéisme, et pas mal d'humour. Là où Serviss et lui se rejoignent le plus, c'est au niveau des idées. John Scalzi n'en manque assurément pas.
Le Vieil homme et la guerre est un formidable roman, bourré d'action comme on s'y attend, mais aussi de personnages que Scalzi sait rendre attachants, intéressants ou franchement antipathiques. Les différents extraterrestres que son personnage principal, John Perry, rencontre, offrent le dépaysement escompté et une diversité qui permet outre de ne pas lasser malgré les nombreux affrontements de l'histoire, d'introduire un questionnement sur les raisons qui poussent les Forces de Défense Coloniale à faire ce qu'elles font.
•••• Bref très loin d'être le récit bas du front que l'ajout du terme militaire pourrait laisser croire à certains, Le Vieil homme et la guerre est un roman très divertissant, punchy, et souvent très drôle. Le premier tome d'une série qui, si elle est du même niveau que lui, augure de sacrément bons moments de lecture.
Incidemment, Le Vieil homme et la guerre (magnifique titre soit dit en passant) m'a fait penser à Rogue Trooper.
John Perry le personnage principal inventé par Scalzi partage pas mal de points communs avec celui inventé par Gerry Findlay-Day & Dave Gibbons pour l'hebdomadaire anglais de bandes dessinées 2000AD. Une série, et un univers que je ne saurais trop recommander à ceux & celles qui ont aimé Le Vieil Homme et la guerre.
[À suivre .....]
____________________ * À propos du horse opera et du space opera, voir ce qu'en dit Leslie Fiedler dans son ouvrage Le Retour du Peau-Rouge.
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