Même si on ne connait pas le scénariste Tom King, la quatrième de couverture du fort volume commercialisé par l'éditeur Urban comics, insiste sur ce point : le scénariste a été un agent de la CIA. Il est en outre précisé, qu'il « apporte une vision éclairante et américano-décentrée sur le chaos de l'Irak post-Saddam Hussein ».
Rien d'anodin dans cette énumération, sinon la volonté d'imposer un « effet de réel ». Voire de donner à la maxi-série, Sheriff of Babylon, le vernis d'un documentaire, rapporté par quelqu'un qui y était.
Sans être tout à fait faux, cette version n'est pas celle que je retiendrai.
D'abord, et il me semble que quiconque à lu les douze numéros ici compilés pour 28 €, peut s'en rendre compte ; The Sheriff of Babylon est d'abord et avant tout, un polar. Une sorte de Casablanca post-11-Septembre.
Ensuite, bien que Tom King et le dessinateur Mitch Gerads soient reconnus comme les créateurs de la série (voir infra), Sheriff of Babylon est une commande de l'éditeur américain DC Comics. Laquelle a connu un strict contrôle éditorial, voire des remaniements.
Pour bien comprendre, je vais rapidement revenir sur la carrière de Tom King, qui ne commence ni ne s'arrête à ses 7 ans passés à la CIA, au sein de la lutte anti-terroriste.
Tom King est d'abord un lecteur et un fan de bande dessinée, au point qu'il choisit l'université de Columbia parce que Matt Murdock (alias Daredevil) y est allé. Et plus pragmatiquement, parce qu'elle est implantée à New York, alors le siège des deux plus grands éditeurs de bande dessinée américaine. King y sera d'ailleurs employé à la fin des années 1990, durant ses années d'université.
Si chez DC il est chargé de photocopier les scénarios, chez Marvel il sera l'assistant de Chris Claremont, celui qui écoute le « maître », relit ses scénarios, et qui l'aide à avancer. Rien de purement créatif au premier chef, mais cela lui permettra de vendre son propre scénario, sur un personnage mineur de l'éditeur (le Chevalier Noir alias Black Knight), pour 500 $ (voir ci-dessous la lettre publiée par Tom King sur son copte Twitter). Lequel scénario n'a cependant, jamais été publié.
Il aura toutefois l'occasion de rencontrer, mais chez la Distingué Concurrence, des gens comme Alex Alonso ou Karen Berger, et d'être là, par exemple, au moment où se décide la fin de Preacher.
Eh oui, même des créations comme Preacher de Garth Ennis & Steve Dillon sont discutées avec l'editor in chief de la maison d'édition qui les publie. La liberté créative est quelque chose de bien relatif dans des multinationales comme DC Comics ou Marvel Comics.
Tout s'annonçait donc plutôt bien pour quelqu'un qui avait découvert la BD avec le 300ème numéro d'Avengers.
Sauf qu'à l'époque Marvel est en pleine banqueroute, et que l'industrie de la BD ne se porte pas beaucoup mieux. À telle enseigne, que certains, comme Bob Harras selon King lui-même, pronostiquent alors la disparition pure et simple, de la bande dessinée américaine.
Pas vraiment un secteur d'activité que l'on a envie d'intégrer.
Étudiant brillant, et poussé par sa mère Tom King rejoint, donc, après avoir travaillé pour un programme d'aide aux malades du cancer, le Département de la Justice des États-Unis, où il rencontrera sa future femme. Nous sommes alors en 2001 sous l'administration Bush fils.
On connait la suite.
L'impact qu'a eu le 11-Septembre, pour ceux qui ne l'on pas vécu en direct, quand bien même était-ce à la télévision, a été très documenté. Ainsi que les mois qui ont suivi. Il n'est donc pas surprenant, connaissant les faits et l'état d'esprit de l'époque, mais cela reste très courageux, que Tom King s'engage dans une guerre « contre la terreur ». Il y passera 7 ans, dont 5 mois en Irak.
Les activités de King pendant ces cinq mois sont assez peu connues (forcément). On sait néanmoins, d'après ses propres dires que son travail en Irak, consistait principalement à recruter des individus soupçonnés de terrorisme, et de les retourner pour qu'ils espionnent leur propre camps. Il se rendra compte rapidement que la réalité du « terrain » n'est pas aussi simple dès lors qu'il s'agit d'un conflit asymétrique, où l’ennemi n'est jamais clairement identifié. Et Sheriff of Babylon rend très bien compte de ce sentiment inconfortable.
Cela étant dit, Tom King revient finalement à la vie civile, et son passeport d'entrée dans le monde de la BD passera par un roman.
A Once Crowded Sky, publié en 2012, est pourtant une histoire de super-héros, ce qui lui sera bien pratique pour établir des contacts avec le milieu des comic books. C'est Ted Chiang rencontré au festival de San Diego, en 2014, qui lui donnera quelques adresses électroniques d'editors de chez DC Comics.On mesure le chemin parcouru en finalement très peu de temps par le scénariste, devenu depuis un auteur qui compte.
Karen Berger, dont on connait l'influence, sera la seule à se montrer intéressée.
Tom King n'est d'ailleurs pas peu fier d'être sur la même liste que des gens comme Grant Morrison.
Bref un rendez-vous plus tard, Karen Berger l'oriente vers l'un de ses assistants, Mark Doyle, avec qui King fera une histoire courte parue dans une anthologie intitulée Time Warp. It's Full of demons lui permet de retrouver Tom Fowler, qui avait fait les illustrations sur son roman, et d'utiliser une approche formelle (largement inspiré du travail de Keith Giffen, notamment) qui deviendra sa signature.
La machine est dès lors lancée, et King ne cessera plus de travailler pour DC Comics, sauf un bref passage à la concurrence [Pour en savoir +]. Mais pas sans heurt !
Sheriff of babylon, qui devait s'appeler Sheriff of Bagdad (voir la couverture promotionnelle en ouverture de ce billet), avant que des histoires de copyrights ne s'en mêlent, est une histoire que King a proposée à son editor après qu'une idée de polar lui ait été refusée. Ce qui est plutôt cocasse puisque Sheriff of Babylon est aussi un polar.
Peu sûr de son avenir à l'époque, King propose aussi l'idée à son éditeur littéraire. D'ailleurs le scénario de la série sera écrit en même temps qu'un roman, racontant la même histoire. King est cependant très content que ce soit la version Vertigo™ qui l'ait emporté, puisque qu'il tient les comic books pour un art purement américain. Comme le jazz.
L'idée qui deviendra donc celle de Sheriff of babylon est encore une fois rejetée par Dan Didio, l'un des 2 big boss de DC. Pourtant King a puisé dans ses dernières ressources, et oublié ses réticences à écrire sur son expérience des théâtres d’opération militaire.
Entre temps, grâce à Mark Doyle, il est associé à Grayson, série dans lequel le héros homonyme a laissé son costume de Nightwing pour endosser celui d'espion, la série sera un joli carton. Puis se sera Omega Men [Pour en savoir +], qui connaitra un hiatus, que Tom King occupera à écrire The Vision (voir supra) pour la Maison des Idées™.
À partir de là, il semblerait que la côte du scénariste ait pris de la plus-value. Et que son scénario, dans lequel il mettait donc, bon gré mal gré, à profit son expérience d'agent de terrain, soit revenu dans les grâces de l'éditeur. Bien qu'il reconnaisse avoir passé ces cinq mois, dans un confort relatif.
Or donc, un Casablanca post-11-Septembre disais-je, dont le scénario de chaque numéro a dû passer sous les fourches caudines de la CIA. En effet, d'après King, chacun des 12 numéros a été relu par l'agence de renseignement américaine, avant validation.
Un modus operandi que je me suis permis d'imiter, et dont je vous donne le résultat :
Sheriff of Babylon est une maxi-série fortement inscrite dans un style narratif bien connu. Celui où les personnages occupent le gros de leur temps à discuter, où l'étirement de l'action (voir par exemple la planche ci-dessus de 6 cases, alternant vignettes noires et vignettes dessinées) diffère d'autant plus son acmé, où l’esthétisation et le maniérisme sont de rigueur, et surtout où la linéarité de l'action n'est jamais respectée, pas plus que la clôture narrative n'est (totalement) consolante.
Sheriff of Babylon permet de ressentir grâce, essentiellement, à son dispositif, plus qu'au travers de ses personnages et de son histoire (mais pas de leur(s) histoire(s) respective(s) comme autant de bulles, quasi indépendantes) l'anomalie, le dysfonctionnement de l'ordre social.
Et si cette histoire laisse un goût amer, elle le doit entièrement à ses qualités et à son sujet, plutôt qu'à ses éventuelles faiblesses.
Des qualités auxquelles Mitch Gerads, dont j'ai peu parlé (mais ses planches le font bien mieux que je ne le pourrais), n'est pas étranger. La BD américaine, sauf de rares cas, est avant tout un travail d'équipe, auquel il faut aussi, souvent associer les editors, chevilles ouvrières discrètes, mais indispensables dans bien des cas. En l’occurrence ici Jamie S. Rich & Molly Mahan.
Et pour la part hexagonale, Maxime Le Dain à la traduction, Moscow Eye au lettrage et Cyril Terrier pour ce qui est de l'adaptation graphique
Rien d'anodin dans cette énumération, sinon la volonté d'imposer un « effet de réel ». Voire de donner à la maxi-série, Sheriff of Babylon, le vernis d'un documentaire, rapporté par quelqu'un qui y était.
Sans être tout à fait faux, cette version n'est pas celle que je retiendrai.
D'abord, et il me semble que quiconque à lu les douze numéros ici compilés pour 28 €, peut s'en rendre compte ; The Sheriff of Babylon est d'abord et avant tout, un polar. Une sorte de Casablanca post-11-Septembre.
Ensuite, bien que Tom King et le dessinateur Mitch Gerads soient reconnus comme les créateurs de la série (voir infra), Sheriff of Babylon est une commande de l'éditeur américain DC Comics. Laquelle a connu un strict contrôle éditorial, voire des remaniements.
Pour bien comprendre, je vais rapidement revenir sur la carrière de Tom King, qui ne commence ni ne s'arrête à ses 7 ans passés à la CIA, au sein de la lutte anti-terroriste.
Tom King est d'abord un lecteur et un fan de bande dessinée, au point qu'il choisit l'université de Columbia parce que Matt Murdock (alias Daredevil) y est allé. Et plus pragmatiquement, parce qu'elle est implantée à New York, alors le siège des deux plus grands éditeurs de bande dessinée américaine. King y sera d'ailleurs employé à la fin des années 1990, durant ses années d'université.
Si chez DC il est chargé de photocopier les scénarios, chez Marvel il sera l'assistant de Chris Claremont, celui qui écoute le « maître », relit ses scénarios, et qui l'aide à avancer. Rien de purement créatif au premier chef, mais cela lui permettra de vendre son propre scénario, sur un personnage mineur de l'éditeur (le Chevalier Noir alias Black Knight), pour 500 $ (voir ci-dessous la lettre publiée par Tom King sur son copte Twitter). Lequel scénario n'a cependant, jamais été publié.
Il aura toutefois l'occasion de rencontrer, mais chez la Distingué Concurrence, des gens comme Alex Alonso ou Karen Berger, et d'être là, par exemple, au moment où se décide la fin de Preacher.
Eh oui, même des créations comme Preacher de Garth Ennis & Steve Dillon sont discutées avec l'editor in chief de la maison d'édition qui les publie. La liberté créative est quelque chose de bien relatif dans des multinationales comme DC Comics ou Marvel Comics.
Tout s'annonçait donc plutôt bien pour quelqu'un qui avait découvert la BD avec le 300ème numéro d'Avengers.
Sauf qu'à l'époque Marvel est en pleine banqueroute, et que l'industrie de la BD ne se porte pas beaucoup mieux. À telle enseigne, que certains, comme Bob Harras selon King lui-même, pronostiquent alors la disparition pure et simple, de la bande dessinée américaine.
Pas vraiment un secteur d'activité que l'on a envie d'intégrer.
Étudiant brillant, et poussé par sa mère Tom King rejoint, donc, après avoir travaillé pour un programme d'aide aux malades du cancer, le Département de la Justice des États-Unis, où il rencontrera sa future femme. Nous sommes alors en 2001 sous l'administration Bush fils.
Couverture de John Paul Leon |
L'impact qu'a eu le 11-Septembre, pour ceux qui ne l'on pas vécu en direct, quand bien même était-ce à la télévision, a été très documenté. Ainsi que les mois qui ont suivi. Il n'est donc pas surprenant, connaissant les faits et l'état d'esprit de l'époque, mais cela reste très courageux, que Tom King s'engage dans une guerre « contre la terreur ». Il y passera 7 ans, dont 5 mois en Irak.
Les activités de King pendant ces cinq mois sont assez peu connues (forcément). On sait néanmoins, d'après ses propres dires que son travail en Irak, consistait principalement à recruter des individus soupçonnés de terrorisme, et de les retourner pour qu'ils espionnent leur propre camps. Il se rendra compte rapidement que la réalité du « terrain » n'est pas aussi simple dès lors qu'il s'agit d'un conflit asymétrique, où l’ennemi n'est jamais clairement identifié. Et Sheriff of Babylon rend très bien compte de ce sentiment inconfortable.
Un cameo à la Hitchcock de Mitch Gerads & Tom King (Page 275 de l'édition française) |
A Once Crowded Sky, publié en 2012, est pourtant une histoire de super-héros, ce qui lui sera bien pratique pour établir des contacts avec le milieu des comic books. C'est Ted Chiang rencontré au festival de San Diego, en 2014, qui lui donnera quelques adresses électroniques d'editors de chez DC Comics.On mesure le chemin parcouru en finalement très peu de temps par le scénariste, devenu depuis un auteur qui compte.
Karen Berger, dont on connait l'influence, sera la seule à se montrer intéressée.
Tom King n'est d'ailleurs pas peu fier d'être sur la même liste que des gens comme Grant Morrison.
Bref un rendez-vous plus tard, Karen Berger l'oriente vers l'un de ses assistants, Mark Doyle, avec qui King fera une histoire courte parue dans une anthologie intitulée Time Warp. It's Full of demons lui permet de retrouver Tom Fowler, qui avait fait les illustrations sur son roman, et d'utiliser une approche formelle (largement inspiré du travail de Keith Giffen, notamment) qui deviendra sa signature.
La machine est dès lors lancée, et King ne cessera plus de travailler pour DC Comics, sauf un bref passage à la concurrence [Pour en savoir +]. Mais pas sans heurt !
Sheriff of babylon, qui devait s'appeler Sheriff of Bagdad (voir la couverture promotionnelle en ouverture de ce billet), avant que des histoires de copyrights ne s'en mêlent, est une histoire que King a proposée à son editor après qu'une idée de polar lui ait été refusée. Ce qui est plutôt cocasse puisque Sheriff of Babylon est aussi un polar.
Peu sûr de son avenir à l'époque, King propose aussi l'idée à son éditeur littéraire. D'ailleurs le scénario de la série sera écrit en même temps qu'un roman, racontant la même histoire. King est cependant très content que ce soit la version Vertigo™ qui l'ait emporté, puisque qu'il tient les comic books pour un art purement américain. Comme le jazz.
L'idée qui deviendra donc celle de Sheriff of babylon est encore une fois rejetée par Dan Didio, l'un des 2 big boss de DC. Pourtant King a puisé dans ses dernières ressources, et oublié ses réticences à écrire sur son expérience des théâtres d’opération militaire.
Entre temps, grâce à Mark Doyle, il est associé à Grayson, série dans lequel le héros homonyme a laissé son costume de Nightwing pour endosser celui d'espion, la série sera un joli carton. Puis se sera Omega Men [Pour en savoir +], qui connaitra un hiatus, que Tom King occupera à écrire The Vision (voir supra) pour la Maison des Idées™.
À partir de là, il semblerait que la côte du scénariste ait pris de la plus-value. Et que son scénario, dans lequel il mettait donc, bon gré mal gré, à profit son expérience d'agent de terrain, soit revenu dans les grâces de l'éditeur. Bien qu'il reconnaisse avoir passé ces cinq mois, dans un confort relatif.
Or donc, un Casablanca post-11-Septembre disais-je, dont le scénario de chaque numéro a dû passer sous les fourches caudines de la CIA. En effet, d'après King, chacun des 12 numéros a été relu par l'agence de renseignement américaine, avant validation.
Un modus operandi que je me suis permis d'imiter, et dont je vous donne le résultat :
Sheriff of Babylon est une maxi-série fortement inscrite dans un style narratif bien connu. Celui où les personnages occupent le gros de leur temps à discuter, où l'étirement de l'action (voir par exemple la planche ci-dessus de 6 cases, alternant vignettes noires et vignettes dessinées) diffère d'autant plus son acmé, où l’esthétisation et le maniérisme sont de rigueur, et surtout où la linéarité de l'action n'est jamais respectée, pas plus que la clôture narrative n'est (totalement) consolante.
Sheriff of Babylon permet de ressentir grâce, essentiellement, à son dispositif, plus qu'au travers de ses personnages et de son histoire (mais pas de leur(s) histoire(s) respective(s) comme autant de bulles, quasi indépendantes) l'anomalie, le dysfonctionnement de l'ordre social.
Et si cette histoire laisse un goût amer, elle le doit entièrement à ses qualités et à son sujet, plutôt qu'à ses éventuelles faiblesses.
Des qualités auxquelles Mitch Gerads, dont j'ai peu parlé (mais ses planches le font bien mieux que je ne le pourrais), n'est pas étranger. La BD américaine, sauf de rares cas, est avant tout un travail d'équipe, auquel il faut aussi, souvent associer les editors, chevilles ouvrières discrètes, mais indispensables dans bien des cas. En l’occurrence ici Jamie S. Rich & Molly Mahan.
Et pour la part hexagonale, Maxime Le Dain à la traduction, Moscow Eye au lettrage et Cyril Terrier pour ce qui est de l'adaptation graphique
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