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Brooklyn Affairs [Edward Norton / Jonathan Lethem]

Si on ne peut pas ne pas penser à Chinatown en regardant Brooklyn Affairs, à condition d'avoir vu le film de Roman Polanski, l'immobilier y prenant la place qu'occupait l'eau à Los Angeles et Moses Randolph se substituant à Noah Cross.
C'est plutôt dans la filmographie de l’interprète de ce dernier, que le film d'Edward Norton puise plus qu'une parenté (sic). La filiation étant justement un thème partagé par Chinatown et Brooklyn Affairs.
En effet, le long-métrage d'Edward Norton inverse la proposition du film (et du roman de Dashiel Hammett) Le Faucon Maltais.

Dans le film de John Huston, la chasse au trésor autour du Faucon de Malte est à la fois un écran de fumée, et le révélateur d'un meurtre (celui de Miles Archer, collègue de Sam Spade) ; véritable enjeu de l'intrigue.  Un whodunit dont la nature n'apparait qu'à la toute fin.
Dans Brooklyn Affairs c'est l'inverse. 

L'enquête sur le meurtrier du collègue et patron de Lionel Essrog, enjeu apparent (et apparemment central du film), à l'inverse du Faucon Maltais donc, révèle en fait une collusion d'envergure inattendue, et un secret familial (comme dans Chinatown).
En creux, Edward Nortont raconte aussi l'histoire de son grand-père, un urbaniste progressiste, l'exacte opposé de Robert Moses, le modèle avoué de Moses Randolph (allant même jusqu'à singer son amour de la natation), sorte de baron Haussmann new-yorkais, qu'il aurait qualifié d’homme « le plus dangereux d’Amérique ».  
James Rouse, puisque c'est de lui qu'il s'agit, pensait « qu’une cité ne peut se concevoir qu’en considérant tous les aspects de la collectivité : l’éducation, l’infrastructure, l’environnement… Ça n’est pas que des immeubles ; ce sont d’abord des gens qui doivent vivre ensemble. Sa philosophie et son inspiration sont toujours très présentes pour moi et Brooklyn Affairs est naturellement nourri de ses réflexions. » dixit Norton lui-même.      
Film à la réalisation très travaillée, jusque dans sa musique, indispensable, grâce à Daniel Pimberton & Wynton Marsalis, Brooklyn Affairs est aussi une histoire d'acteur. Et Alec Baldwin y est impérial. 

« Plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film », l'adage d'Alfred Hichcock se révèle encore une fois juste. 
J'associe pour le coup à cette réussite, son doubleur Bernard Lanneau. 

Les dialogues de Baldwin sont souvent des monologues, et en tout cas toujours des tentatives de convaincre son auditoire. Dont les spectateurs.
Et Bernard Lanneau y est d'une justesse surnaturelle. Complétement en phase avec le jeu corporel (saisissant) de l'acteur américain, on oublie complétement que Baldwin est doublé.
La prestation d'Alec Baldwin fait passer celle d'Edward Norton au second plan. Alors même que son interprétation d'un personnage atteint de la maladie de Gilles de La Tourette n'est pas piquée des vers.         
            En définitive Brooklyn Affairs est un polar made in fifties très soigné, respectueux de ses aînés. Son scénario appliqué, à la construction minutieuse, est interprété avec beaucoup de conviction par ses interprètes. 

Il se permet même de faire passer quelques idées en contrebande, outre celle sur l'urbanisation qui ne s'encombre pas du facteur humain (et celles plus communes - mais toujours à mon avis indispensables - sur l'affairisme). Comme lorsque l'enseignement de Frank Mina identifie deux idéologies opposées : celle du New Deal basée sur l'entraide, et celle de la victoire de 1945, basée sur l'utilisation de la force. 

Brooklyn Affairs est, selon moi, l'un de ces films, qui se laissent revoir (et écouter) avec beaucoup de plaisir.
Au moins autant que la première fois (en plus de donner envie de revoir ses modèles).        

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