En lisant Les fantômes de Belfast, je me suis souvenu de l'année 1981 durant laquelle j'avais passé quelques semaines en Angleterre dans le cadre d'un échange scolaire.
Alors jeune collégien, je me souviens encore de l'émotion qu'avait suscitée -le 5 mai- la mort de Bobby Sand, des suites de sa gréve de la faim. Ce souvenirs m'est revenu en mémoire pour deux raisons.
D'une part, le personnage principal du roman en question, Gerry Fegan, ex-liquidateur de l'IRA, a passé 12 ans de sa vie dans la prison de Maze. Celle où justement avait été incarcéré le jeune nationaliste irlandais.
Et d'autre part, le milieu que dépeint Stuart Neville dans son ouvrage, est très loin de l'idéalisme que représentait justement Bobby Sand.
L'auteur y montre notamment comment les foules étaient manipulées pendant les émeutes, comment certains membres de l'IRA profitaient de la misère sociale pour se faire de l'argent et une réputation.
Entre contrebande, gangstérisme et populisme, Stuart Nevillle creuse le sillon d'un « Norn Noir » dans la grande tradition de ses homologues étasuniens ; voire d'un Manchette ou d'un Daeninckx. (Liste non exhaustive)
Je me permets un petit aparté taxinomique :
J'emploie ici l'expression « Norn Noir » concernant ce roman car, Stuart Neville l'a lui-même utilisé (et pour le coup à ma connaissance inventé) pour décrire les nouvelles de son ami Gérard Brennan. Des histoires dans lesquelles Neville voit une forme de fiction policière très spécifique à l'Irlande du Nord, qui mêle violence et humour.
Et si l'humour est moins présent dans son propre travail, il partage néanmoins une sensibilité commune ; faite d'un certain nihilisme.
Une inclination dont il pense qu'elle est largement partagée par les auteurs de romans criminels (ou policiers) de cette partie du monde.
« Norn Noir » est par ailleurs un jeu de mots sur « Norn Iron », qui est la façon dont les gens de ladite partie du monde prononcent « Northern Ireland ». Fin de l’aparté.
Les fantômes de Belfast fait aussi partie de ces romans qui donnent le premier rôle de leur histoire à un tueur, sans pour autant produire de rejet de la part des lecteurs. Si j'en crois ma propre expérience toujours, Gerry Fegan arrive même à susciter de la sympathie.
Alors que ses actes sont à la fois extrêmement rudimentaires et lâches.
À ce propos, sachez que les « fantômes » du titres peuvent tout aussi bien êtres considérés au premier degré. Ce qui ferait alors de ce roman une histoire du répertoire Fantastique.
Mais revenons à Gerry Fegan, personnage déjà peu recommandable, dont la croisade diminue, à mon avis, encore l'humanité.
Mais aussi et surtout, « héros » de l'histoire ; en tant qu'il renvoie au personnage le plus important du texte. Notamment au travers de son rôle clé dans l’histoire. Mais aussi en tant que personnage auquel on s’identifie ou du moins, pour lequel on risque finalement d'éprouver de la sympathie.
Comment l'auteur, Stuart Neville, arrive-t-il à nous faire adopter le point de vue de Fegan ?
Et à faire de sa croisade une sorte de rédemption ?
De quoi dépend l'influence qu'exerce le récit sur notre opinion ?
Des caractéristiques morales, psychologiques voire physiques que prête l’auteur à son personnage ?
Des conduites et des discours qu'il tient au cours du récit ?
Ou bien cela passe-t-il par l’utilisation de « techniques », de « procédés », c’est-à-dire en définitive, d’une « mécanique » littéraire ?
Autrement dit, le « héros » est-il un effet de texte ou de contexte ?
Il ne fait aucun doute (en tout cas pour moi), que la lecture est une activité codée par le texte.
Le lecteur perd peu ou prou de son libre-arbitre, et la manière dont il voit les personnages passe obligatoirement par le narrateur (qui n’est pas forcément l’auteur, entendons-nous bien).
D’une certaine manière, le narrateur tend aux lecteurs une paire de lunettes dont il a lui-même poli les verres.
Mais comment cela se passe-t-il ?
• Premier point, je dirais que le partage du savoir créé de la « complicité ». Il me semble que le lecteur se met « automatiquement », ou disons assez facilement, à la place du personnage qui a le même savoir que lui.
• Second point dont la synergie avec le premier point est indéniable, le degré d’intimité que le lecteur partage avec les personnages influence le degré de sympathie qu’il leur témoigne.
Et sur ce plan là, le roman en tant que média est un véritable sésame. Il offre en effet assez facilement, et de la manière la plus naturelle qui soit, d’entrer dans la vie intérieure des protagonistes.
Et il ne fait pas de doute que celui sur lequel le narrateur se focalise le plus, obtiendra une meilleur identification que les seconds rôles ou les nombreux figurants qui peuvent côtoyer le « héros ».
Une identification d’autant plus renforcée grâce à l’utilisation de certains thèmes, dont l’un des plus porteur est sans nul doute celui du désir, et plus particulièrement celui dit du « désir contrarié ».
Deux points qui apparaissent clairement à la lecture de Les fantômes de Belfast.
On n'omettra pas non plus la mise entre parenthèses de notre faculté critique, en vertu d’une sorte de pacte globale de lecture (Cf. Coleridge). Ce qui permet tout autant de « croire » que des extraterrestres vivent sur Terre, que d’émousser l’aversion que l’on pourrait avoir envers ce type de personnage.
Et si en y réfléchissant, la véritable nature de Gerry Fegan réapparaît finalement, la prise de conscience de la mainmise qu'avait l'auteur sur notre faculté de jugement rend l'aveuglement du personnage principal plus compréhensible.
Une sorte de preuve par l'exemple !
Or donc, Les fantômes de Belfast, est à la fois un roman distrayant et un rappel précieux sur un pan de l'Histoire un peu oublié aujourd'hui.
On peut dire sans crainte de se tromper que le « Norn Noir », à l'instar des romans Noirs américains, voire du « Néo-polar », apporte lui aussi une conscience politique aux romans policiers traditionnels.
C'est ce que j'appelle une belle entrée en matière !
Alors jeune collégien, je me souviens encore de l'émotion qu'avait suscitée -le 5 mai- la mort de Bobby Sand, des suites de sa gréve de la faim. Ce souvenirs m'est revenu en mémoire pour deux raisons.
D'une part, le personnage principal du roman en question, Gerry Fegan, ex-liquidateur de l'IRA, a passé 12 ans de sa vie dans la prison de Maze. Celle où justement avait été incarcéré le jeune nationaliste irlandais.
Et d'autre part, le milieu que dépeint Stuart Neville dans son ouvrage, est très loin de l'idéalisme que représentait justement Bobby Sand.
L'auteur y montre notamment comment les foules étaient manipulées pendant les émeutes, comment certains membres de l'IRA profitaient de la misère sociale pour se faire de l'argent et une réputation.
Entre contrebande, gangstérisme et populisme, Stuart Nevillle creuse le sillon d'un « Norn Noir » dans la grande tradition de ses homologues étasuniens ; voire d'un Manchette ou d'un Daeninckx. (Liste non exhaustive)
Je me permets un petit aparté taxinomique :
J'emploie ici l'expression « Norn Noir » concernant ce roman car, Stuart Neville l'a lui-même utilisé (et pour le coup à ma connaissance inventé) pour décrire les nouvelles de son ami Gérard Brennan. Des histoires dans lesquelles Neville voit une forme de fiction policière très spécifique à l'Irlande du Nord, qui mêle violence et humour.
Et si l'humour est moins présent dans son propre travail, il partage néanmoins une sensibilité commune ; faite d'un certain nihilisme.
Une inclination dont il pense qu'elle est largement partagée par les auteurs de romans criminels (ou policiers) de cette partie du monde.
« Norn Noir » est par ailleurs un jeu de mots sur « Norn Iron », qui est la façon dont les gens de ladite partie du monde prononcent « Northern Ireland ». Fin de l’aparté.
Les fantômes de Belfast fait aussi partie de ces romans qui donnent le premier rôle de leur histoire à un tueur, sans pour autant produire de rejet de la part des lecteurs. Si j'en crois ma propre expérience toujours, Gerry Fegan arrive même à susciter de la sympathie.
Alors que ses actes sont à la fois extrêmement rudimentaires et lâches.
À ce propos, sachez que les « fantômes » du titres peuvent tout aussi bien êtres considérés au premier degré. Ce qui ferait alors de ce roman une histoire du répertoire Fantastique.
Mais revenons à Gerry Fegan, personnage déjà peu recommandable, dont la croisade diminue, à mon avis, encore l'humanité.
Mais aussi et surtout, « héros » de l'histoire ; en tant qu'il renvoie au personnage le plus important du texte. Notamment au travers de son rôle clé dans l’histoire. Mais aussi en tant que personnage auquel on s’identifie ou du moins, pour lequel on risque finalement d'éprouver de la sympathie.
Comment l'auteur, Stuart Neville, arrive-t-il à nous faire adopter le point de vue de Fegan ?
Et à faire de sa croisade une sorte de rédemption ?
De quoi dépend l'influence qu'exerce le récit sur notre opinion ?
Des caractéristiques morales, psychologiques voire physiques que prête l’auteur à son personnage ?
Des conduites et des discours qu'il tient au cours du récit ?
Ou bien cela passe-t-il par l’utilisation de « techniques », de « procédés », c’est-à-dire en définitive, d’une « mécanique » littéraire ?
Autrement dit, le « héros » est-il un effet de texte ou de contexte ?
Il ne fait aucun doute (en tout cas pour moi), que la lecture est une activité codée par le texte.
Le lecteur perd peu ou prou de son libre-arbitre, et la manière dont il voit les personnages passe obligatoirement par le narrateur (qui n’est pas forcément l’auteur, entendons-nous bien).
D’une certaine manière, le narrateur tend aux lecteurs une paire de lunettes dont il a lui-même poli les verres.
Mais comment cela se passe-t-il ?
• Premier point, je dirais que le partage du savoir créé de la « complicité ». Il me semble que le lecteur se met « automatiquement », ou disons assez facilement, à la place du personnage qui a le même savoir que lui.
• Second point dont la synergie avec le premier point est indéniable, le degré d’intimité que le lecteur partage avec les personnages influence le degré de sympathie qu’il leur témoigne.
Et sur ce plan là, le roman en tant que média est un véritable sésame. Il offre en effet assez facilement, et de la manière la plus naturelle qui soit, d’entrer dans la vie intérieure des protagonistes.
Et il ne fait pas de doute que celui sur lequel le narrateur se focalise le plus, obtiendra une meilleur identification que les seconds rôles ou les nombreux figurants qui peuvent côtoyer le « héros ».
Une identification d’autant plus renforcée grâce à l’utilisation de certains thèmes, dont l’un des plus porteur est sans nul doute celui du désir, et plus particulièrement celui dit du « désir contrarié ».
Deux points qui apparaissent clairement à la lecture de Les fantômes de Belfast.
On n'omettra pas non plus la mise entre parenthèses de notre faculté critique, en vertu d’une sorte de pacte globale de lecture (Cf. Coleridge). Ce qui permet tout autant de « croire » que des extraterrestres vivent sur Terre, que d’émousser l’aversion que l’on pourrait avoir envers ce type de personnage.
Et si en y réfléchissant, la véritable nature de Gerry Fegan réapparaît finalement, la prise de conscience de la mainmise qu'avait l'auteur sur notre faculté de jugement rend l'aveuglement du personnage principal plus compréhensible.
Une sorte de preuve par l'exemple !
Or donc, Les fantômes de Belfast, est à la fois un roman distrayant et un rappel précieux sur un pan de l'Histoire un peu oublié aujourd'hui.
On peut dire sans crainte de se tromper que le « Norn Noir », à l'instar des romans Noirs américains, voire du « Néo-polar », apporte lui aussi une conscience politique aux romans policiers traditionnels.
C'est ce que j'appelle une belle entrée en matière !
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