La mère Brazier, « voilà un patronyme cracheur de feu »
C'est à une histoire de la cuisine française que Gautier Battistella nous invite à prendre part.
Au menu rien ne manque : la cuisine familiale de l'immédiate après-guerre (voire un peu avant), puis l'apprentissage chez un maître (Bocuse), la découverte de la bistronomie bien avant son heure de hype (je vais vite), la cuisine moléculaire, la « guerre des étoiles » façon « petit livre rouge », et enfin la consécration mondiale, sans oublier Netflix™ et sa soif inextinguible de contenu.
« Quand les dieux veulent perdre un homme, ils exaucent tous ses vœux »
(Oscar Wilde .)
Écrit par un connaisseur, Bauttistella a été salarié pendant 15 ans du Guide Michelin©, ce qui lui permet sûrement les philippiques qu'il prononce, « Chef » (22 euros aux éditions Grasset™) est une description très documentée du royaume des toquets français.
Écrit à la manière du « Voyage du héros » à la sauce Vogler, rectifié par « Les Choses de la vie » de Claude Sautet, ce roman se dévore (sic) d'une traite.
Non pas que Gautier Battistella se serait inspiré de la recette du célèbre script doctor américain ; il est plus simplement allé à la source du romanesque occidental comme Joseph Campbell avant n’importe qui d’autre, mû par une volonté impérieuse, un quasi atavisme.
Car là où Christopher Vogler propose une recette, Gautier Battistella vous invite à un banquet.
« Tu es barbu,
beau gosse,
tu tutoies ton client ?
Tu es forcément un chef locavore,
féru de vins nature
et tu fais pousser des tomates cerise sur le toit de ton immeuble. »
Et ce n'est pas faire injure à quiconque que de préciser que de la recette à l'assiette il y a nécessairement la médiation d'un talent, ou à tout le moins d'un savoir-faire, celui de qui vous régale. Quand bien même savoir refaire quotidiennement les mêmes plats avec une excellence similaire c'est là l'enfance de l'art (culinaire) disait Paul Bocuse. Et sûrement ajouterais-je, l'enfance de l'art littéraire (toutes choses égales par ailleurs). Soyons donc modestes, laissons la révolution aux révolutionnaires.
Ne vous étonnez cependant pas de découvrir des saveurs que vous ne vous attendez pas à découvrir s'agissant d'une telle invitation.
Si Gautier Battistella a écrit un roman qui plaira à quiconque s'imagine sans fausse modestie cordon bleue 3ème dan, et s'il s’intéresse plus généralement à l'histoire (moderne) de la gastronomie, il ne snobe pas pour autant les amateurs de bonnes histoires.
« Dodine de canard pistachée, foie de canard en gelé au sauternes, loup en croûte feuilletée sauce choron »
De celles où les personnages sont joliment mitonnés pour devenir instantanément des individus, dont l'authenticité ne vous semblera pas moins vraie que les plats qui rythment l’existence de Paul Renoir ; 62 ans, tout juste élu « meilleur chef du monde ».
« Chef » c'est aussi le roman d'un métier dont Gautier Battistella nous montre les rivalités, les joies, les risques financiers, l'autoritarisme nécessaire ; bref l'envers du tablier blanc immaculé du « chef ».
« Chef » est en définitive un roman dont je me dit qu'il aurait été impossible de faire mieux.
Nota bene : la très belle couverture signée Mathieu Lauffray (par ailleurs auteur de Bd émérite), comme pour nous rappeler qu'une bonne assiette c'est aussi une belle assiette. [-_ô]
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