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Dirty Harry ; critique d'une analyse politique partiale et idéologique

« Harry est un mal nécessaire, au même titre qu'un avocat ; lequel est prêt à tout pour arriver à ses fins, sans se soucier des conséquences de ses actes. Un avocat fait du droit sans se soucier de justice. Alors qu'Harry sert la justice sans ce soucier du droit. Ainsi son cœur est-il toujours du côté de la victime, alors qu'un avocat ajuste sa sympathie en fonction de ses intérêts.
Un avocat peut être répugnant, mais on a besoin de lui. Et l'on peut penser la même chose d'Harry Callahan. ». (John Milius.)
            Au gré de recherches sur l'Internet© je suis tombé sur une vidéo [Pour en savoir +] dont le thème avait tout pour m'intéresser ; une analyse politique du cinéma dont le sujet est le film Dirty Harry1971. Eastwood, Siegel, Milius, le cinéma des années 1970, bref que du bon, et en plus dans un format ramassé (19'29").
            D'entrée de jeu la vidéo s'attaque à une vieille lune : « À sa sortie en 1971, L’Inspecteur Harry est qualifié de "fasciste". "Fasciste" n’est pourtant pas le bon terme pour décrire politiquement le film. » et propose d'en donner sa propre interprétation « Alors de quoi L’Inspecteur Harry est-il le nom ? ».
On entre dans le vif du sujet lorsque sont décortiqués les mécanismes qui procèdent au choix de la ville de San Francisco. La ville la plus à « gauche » des États-Unis nous explique-t-on, dans un pays alors marqué par l'apparition d'un fort courant « néo-conservateur » : les élection de Reagan et de Nixon, avec en arrière-plan les émeutes de Watts et consorts. Courant idéologique dont le film de Don Siegel sera, nous le verrons, une sorte d’étendard selon l'analyse proposée.
            Une analyse qui pour le coup oublie pourtant un élément très important à mes yeux. Scorpio, le criminel du film, est inspiré du « Tueur du Zodiac », un serial killer jamais identifié qui a justement sévi dans la région de Frisco entre 1968 et 1970. Ce qui n'est sûrement pas anodin quant au choix géographique final.
Don Siegel, le réalisateur de Dirty Harry, a quant à lui, invoquait qu'il y avait à San Francisco « un terrain neuf pour un film d'action. ». Dont acte !
Rien qui invalide pour autant la piste «néo-con », mais qui n'apparait pas dans l'analyse vidéo, quand bien même s'agit-il aussi, d'un choix politique.
            Car, quoi qu'on dise sur ce film, Dirty Harry est d'abord et avant tout une fiction, et Harry Callahan un personnage écrit pour être ce qu'il apparaitra à l'écran, dans un dispositif scénaristique déterminé. Cela va sans dire, et justement ça ne sera jamais dit.
Mieux, cet aspect sera rapidement gommé, la narratrice utilisant le générique du film pour expliquer  qu'il permettrait d'en surplomber la fictionalité, et de l'appréhender comme une représentation réaliste du travail de la police à San Francisco. Sans rire ! 
Mais surtout, ce générique, en s'ouvrant sur le (vrai ?) monument des policiers morts en service de la ville de San Francisco, prend « le parti des forces de l'ordre, quelque soit leur comportement », nous dit-on encore. 
Ce n'est pas rien comme affirmation.
Mais on attendra en vain une explication. 
Voire à défaut l'exemple d'un policier qui, à l'instar du tueur en série bien réel, aurait servi de modèle à Harry Callahan. Nada !
L'émission donne donc l'impression de plaquer sa propre idéologie sans complexe, et sans arguments contradictoires.
Il faudrait donc prendre pour argent comptant que le film excuse la violence policière sans autres formes de procès. Un peu court !
Mais ça ne s'arrêtera pas là.
            Ainsi, lorsque Harry est sommé de justifier une procédure plutôt expéditive antérieure, il explique au maire de San Francisco (autrement dit son patron, le SFPD est municipal), qui lui demande comment il a deviné les intentions d'un violeur, qu'un homme nu, en érection, armé d'un couteau de boucher lancé à la poursuite d'une femme lui semble une preuve suffisante.
Et la narratrice de la vidéo de souligner l'absence de contre-argument de la part du maire (ou du chef de la police également présent), ce qui viendrait donc justifier (intradiégétiquement) la politique expéditive de l'inspecteur Harry comme rationnelle.
J'aurais été très intéressé de connaître la contre-argumentation s'agissant donc d'un homme nu, en érection, armé d'un couteau de boucher qui coure à la poursuite d'une femme, laquelle contre-argumentation aurait donc été capable d'invalider l'évidence. 
Mais celle-ci ne viendra pas.  
Pas plus qu'une contextualisation de la légitime défense s'agissant des U.S.A., de la Californie en 1970, et de la politique d'usage des armes d'un policier en service.
Dommage !    
            Mais Harry n'est pas seulement le policier brutal d'un film qui prend pourtant soin de lui opposer des délinquants et des criminels indéfendables, il est aussi raciste. 
Mais un racisme à géométrie variable, qui en dit plus long sur le discours que sur celui dont il est l'objet.
« Magnéto Sergio ! »
Le rapport aux autres qu'entretient Callahan est interprété de manière différente, du moins les « autres » endosseront-ils des caractéristiques différentes en fonction de la couleur de leur peau lorsque l'analyse les convoquera. 
Sachant que pour moi Harry Callahan est uniquement un stéréotype. Autrement dit, son attitude, ses punchlines, sont imaginées uniquement pour lui donner l'épaisseur psychologique qui lui convient compte tenu des attentes. Difficile par exemple d'imaginer Serpico dans le même registre. Et pour cause.
Mais ne nous arrêtons pas à ça. 
« Magnéto » disais-je !
Ainsi lorsque l'inspecteur Harry à affaire à des hommes Blancs, ces derniers incarnent sa hiérarchie, la politique de la ville, et « l'idéologie libérale ». 
Notez que le terme « libéral » ne sera jamais explicité, mais surtout ces hommes ne sont jamais présenté comme Blancs. 
Ces interlocuteurs, toujours Blancs donc (la rhétorique racialiste à l’œuvre ici m'oblige à relever la couleur de la peau des personnages), représentent aussi une élite hors-sol et/ou intellectuelle (université de Berkeley). Mais jamais Blanche.
Dirty Harry serait donc la vivante incarnation d'une critique de la bureaucratie et d'un anti-intellectualisme. Mais il n'aurait rien contre les Blancs.
Impressionnant ce qu'un homme qui veut faire son travail est capable de projeter.
             Vient ensuite le cas de Scorpio (également Blanc), dont on nous dit que son allure évoque la contre-culture, mais issu, précise-t-on de « l'imaginaire conservateur ». Toutefois ses actes, difficiles à glisser sous le tapis, sont avantageusement remplacés par un brouillage des catégories. 
En effet, peu importe les actes du tueur, indiscutablement criminels du point de vue du spectateur, Scorpio se voit considérer comme un mauvais justicier, et Harry Callahan comme le bon. Non vous ne rêvez pas, Scorpio vu par l'émission Cinéma & Politique™ est un justicier. Contre-culturel j'imagine !?
Nonobstant son statut de policier Dirty Harry est donc mis sur le même plan que le criminel Scorpio.
« Tonton, pourquoi tu tousses »
            Précédemment, la narratrice, oubliant la réserve qu'elle affichait jusqu'alors, prête à Callahan des valeurs (le travail, l'abnégation), que son langage corporel traite avec une pointe de condescendance très perceptible. Dirty Harry devient, si on veut bien la croire, le représentant de la « majorité silencieuse », qui en plus d'avoir été à l'époque le cheval de bataille de Richard Nixon (on sent que ce n'est pas un compliment), délégitimerait la « parole des minorités ». C'est-à-dire si je comprends bien, que les « minorités » (terme qui ne sera pas plus cerné que celui de « libéral », au demeurant), ne travaillent pas, ne font pas preuve d'abnégation, ou ne sont pas sous-payées.  
Harry aurait-il finalement raison d'être celui qu'on lui somme d'être ?
Il est, ajoute-t-on, « exaspéré par les changements des années 1960 ». Comme si cela était infamant.
            Dans la toute dernière partie l'analyse porte essentiellement sur les rapports qu'entretient Harry avec je cite, « les minorités visibles ». Qu'en termes choisis ces choses-là sont-elles dites.
Néanmoins, tout aussi châtié que soit le langage employé, ça n’empêchera pas l'analyse de glisser du terrain des petits arrangements à celui du faux témoignage. Les uns n'empêchant pas l'autre d'ailleurs.   
Deux scènes sont ainsi proposée, je précise que je n'ai pas revu le film et que je me base uniquement pour ma contre-analyse sur ce qui est dit et montré dans les 19 minutes et 29 secondes de la vidéo, et décortiqué : celle emblématique du film où un braqueur au sol est mis en joue par Callahan : « Do I feel lucky? Well, do ya, punk? ».
Une scène que la narratrice complète par un discours qu'elle bien prend soin d'attribuer à Don Siegel : « selon Don Siegel, si Harry Callahan réagit de la sorte (note du rédacteur : Harry lors de sa pause déjeuner empêche - la bouche encore pleine - une attaque à main armée) c'est parce que l'homme est un cambrioleur (sic), et pas parce qu'il est Noir ».
Cette précision, qui pourtant se passe de commentaire, il s'agit en effet d'un délinquant qu'appréhende un inspecteur de la police de San Francisco, mais mise dans la bouche du réalisateur, dit assez bien que la narratrice s'en désolidarise.
Faut-il comprendre qu'un délinquant Noir et d'abord Noir avant d'être un délinquant ?
Mais le pire est encore à venir.
Tout de suite après cet extrait on nous montre Harry Callahan en consultation avec un médecin, Noir.
Je ne voudrais pas dire de bêtises mais il me semble que c'est l'extrait où Harry est le plus détendu, et où il manifeste le plus d'empathie avec un autre personnage. Ils sont d’ailleurs, précise de médecin, tous les deux de Potero Hill
Mais cette relation quasi amicale est la preuve que ce médecin est le « bon Noir » qui « a prouvé qu'il pouvait répondre aux attentes des Blancs, et qu'il les sert ». Sans rire. Non vraiment, sans rire !
Il y aurait donc le « bon Noir », le médecin et le « mauvais Noir », le criminel, nous précise-t-on. C'est pas vrai, on nous aurait menti ?!
Je vous passe l'analyse des relations entre Harry et son coéquipier « d'origine mexicaine » tout aussi tirée par les cheveux (oups !).
Rappel intéressant, l'inspecteur Harry se coltine en plus de Scorpio, cinq Blancs, un mexicain et deux Noirs en tout est pour tout dans les extraits qu'on nous montre. Il s'entend très mal avec tous les Blancs, et avec un des Noirs, dont je précise qu'il tente de dévaliser un commerce sous la menace d'une arme. Il s'entend bien avec l'autre homme Noir, et fini par faire confiance à son coéquipier mexicain. Dont on peut assez légitimement penser que sa réserve tenait à ce qu'il ne le connaissait pas.
Mais malgré les faits le film suggérerait autre chose. 
Vu la tournure qu'a pris l'analyse au fil des presque 20 minutes de sa durée, on ne pouvait guère s'attendre à autre chose non plus.
            Alors de quoi Harry Callahan est-il le nom ?
De mon point de vue il n'est pas un néo-conservateur, ni un réactionnaire, ni même à proprement parler un vigilante, non l'inspecteur Harry est un anti-héros.
C'est-à-dire quelqu'un qui fait des choses justes avec des moyens qui ne le sont pas.   
Et manifestement ça ne plaît pas à tout le monde. <sourire> 
________
l'affiche de Dirty Harry a été réalisée par Olly Moss, les captures d'écran sont celles de l’émission en question (voir lien supra). L'auteur du poster « Make my Day » façon Simpson™, n'a pas été trouvé. 

Commentaires

  1. Bonsoir Arty. J'ai vu ce docu il y a quelque temps. Ma réaction ? Pouet-pouet. Les capsules sur les films de gauche (Elio Petri etc.) me semblent plus pertinents (quoique, sur le western spaghetti...). Il y a ici une "analyse" qui s'efforce de faire coller les images au discours, tu l'as fort bien démontré. C'est très manichéen. On fait presque de ce film l'élément déclencheur de la révolution néolibérale en négligeant toutefois le contexte : la fin du flower power, la montée de la violence liée notamment à la drogue et aux sectes, la lutte, parfois violente, pour les droits civiques, une certaine permissivité de la part des édiles sur un fond de transformation des mœurs et de bouleversement démographiques, économiques et sociaux (le déclin des petites villes, de la ruralité, au profit des grandes cités) ... Autant d'éléments qui peuvent expliquer le discours très radical du film sur la nécessité de rétablir l'ordre en enfreignant les droits des criminels.

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    1. Ce qui m'a convaincu de décortiquer cette analyse ce sont les commentaires, dont aucuns ne remettaient en cause ce qui était dit. Alors qu'il était pourtant flagrant que le parti pris (très décomplexé) bafouait la réalité pourtant évidente des images.
      Plutôt que de commenter, ce qui n'aurait eu aucune portée, je me suis essayé à l'exercice de la contre-analyse. [-_ô]
      Ç'a été long, et cela a demandé pas mal de boulot, mais le jeu en valait la chandelle.
      Bref, merci de ton retour.

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