[...]... Peu après la mort de George Orwell en 1950, Howard Hunt avait expédié Alsop et Farr en Angleterre pour rencontrer la veuve d'Orwell, Sonia. Ils n'étaient pas venus la consoler de sa perte, mais l'inviter à leur céder les droits cinématographiques de La Ferme des animaux. Ce qu'elle fit en bonne et due forme, non sans avoir d'abord obtenu la promesse qu'ils lui feraient rencontrer son héros, Clark Gable. "De cette visite, écrit Howard Hunt, est sorti le dessin animé La Ferme des animaux d'Orwell, financé et distribué dans le monde entier par la C.I.A."[...]... En liaison avec Hunt et grâce aux fonds de la C.I.A injectés par Alsop et Farr, Rochemont démarra la production de La Ferme des animaux le 15 novembre 1951. La firme britannique Halas et Batchelor Cartoons Films Ltd. fut choisie pour réaliser le film d'animation le plus ambitieux de son temps (80 dessinateurs, 750 scènes, 300 000 dessins en couleurs).[..]... Le conseil de stratégie psychologique se pencha lui aussi sur le scénario. Selon un mémo du 23 janvier 1952, ses membres n'étaient pas satisfaits, jugeant son "thème un peu déroutant et l'impact de l'histoire telle que l'exprime la séquence animé (...) un peu nébuleuse. Même si le symbolisme est apparemment simple, le message n'a pas grande clarté". Curieusement, la critique des bureaucrates des renseignements américains faisait écho aux inquiétudes antérieures de T.S. Eliot et de William Empson, qui avaient tous deux écrit à Orwell en 1944 pour signaler des défauts ou des incohérences dans la parabole centrale de La Ferme des animaux.... Les problèmes de scénario furent résolus en modifiants le dénouement. Dans le texte original, les cochons communistes et l'homme capitaliste ne font qu'un dans la fange et la pourriture. Dans le film cette conformité est soigneusement gommée [..] et elle est tout simplement éliminée du dénouement. Dans le livre, Orwell écrit : "Dehors, les yeux des animaux allaient du cochon à l'homme et de l'homme au cochon, et de nouveau du cochon à l'homme et de l'homme au cochon ; mais il était impossible de dire lequel était lequel." Mais dans le film les spectateurs voient un dénouement complétement différent, où c'est le spectacle des cochons qui incitent les autres animaux qui les regardent à monter une contre-révolution efficace en prenant la ferme d'assaut. Supprimer les fermiers humains afin de laisser les cochons profiter seuls des fruits de l'exploitation revient à annuler la fusion de la corruption communiste et de la décadence capitaliste. [...]
Qui mène la danse ? La CIA et la guerre froide culturelleFrances Stonor Saunders
... Pour ma part le dessin animé La Ferme des animaux renvoie dos à dos les régimes dits communismes ou capitalistes en ce qu'ils utilisent et exploitent toujours une main d'œuvre qu'ils s'efforcent de rendre meilleur marché. Comme on dit les promesses n'engagent que ceux qui y croient.
En outre la participation des humains n'est pas négligeable au moment de recueillir une part du gâteau.
Winston Churchill ? |
[..]... Cette fable merveilleuse ("fairy story") virant à la satire politique se termine donc sur le double constat d'un cauchemar totalitaire et d'une interchangeabilité des hommes et des cochons, des capitalistes et des staliniens. Les conditions historiques qui présidèrent à la rédaction, entre 1943 et 1944, de La Ferme des animaux sont clairement indexées par Orwell, échaudé par son expérience du NKVD en Espagne. Une préface, publiée à titre posthume, décrypte la première couche de sens de cette contre-utopie : sont visés les déviations du stalinisme - de la trahison de la révolution de 1917 au pacte germano-soviétique, en passant par les grandes purges ou l'instauration d'une police secrète - de même que les compromis de tous bords d'alliés peu désireux de remettre en cause l'URSS ou d'intellectuels enclins à un aveuglement coupable. Les aléas éditoriaux que rencontre Orwell en sont un signe : l'autocensure règne, et seule une petite maison, Secker and Warburg, accepte de publier l'ouvrage en 1945. [...]Anne Simon pour Le Magazine Littéraire n° 492
[..]La victoire de l'idéologie serait-elle donc la défaite de l'éthique ?
... Pas seulement l'éthique. Pour Orwell, cette insensibilité morale a d'autres conséquences : d'une part, un aveuglement stupéfiant de la réalité ("il ment comme un témoin oculaire", aimaient à plaisanter les Soviétiques), de l'autre, la perte de tout sens esthétique et de tout sentiment de la langue écrite et parlée. Si la "LTI" de Victor Kemperer représente, de ce point de vue, le pendant national-socialiste du "duckspeak" stalinien, il est cependant intéressant de noter qu'Orwell décelait certaines prémices de cette corruption moderne du langage dans le jargon des "experts" et des journalistes de son époque. Or non seulement, comme chacun peut le constater, ce nouveau type humain a survécu sans dommage à la chute du mur de Berlin, mais il devrait être évident, à l'ère du "politiquement correct", de la consommation dirigée et du nouveau "management" capitaliste, qu'il se porte comme un charme, au point d'avoir été cloné de façon industrielle. C'est là, du reste, un phénomène qu'Orwell avait clairement anticipé : "D'après tout ce que je sais, écrivait-il en 1945, il se peut que, lorsque La Ferme des animaux sera publiée, mon jugement sur l'Union soviétique soit devenu l'opinion généralement admise. Mais à quoi cela servira-t-il ? Le remplacement d'une orthodoxie par une autre n'est pas nécessairement un progrès. Le véritable ennemi, c'est l'esprit réduit à l'état de gramophone, et cela reste vrai que l'on soit d'accord ou non avec le disque qui passe à un certain moment".
Propos recueillis (extrait) auprès de Jean-Claude Michéa par Élisabeth LévyLe Magazine Littéraire n° 492
Pour les lecteurs intéressés par le langage et son utilisation, ils peuvent se rendre ici où il est question de la LQR pendant actuel de la LTI toutes choses égales par ailleurs.
... Ceci étant La Ferme des animaux est un dessin animé particulièrement captivant, les animaux animés acquièrent une vraie présence à l'écran, l'inéluctabilité de l'histoire fascine et horrifie à la fois, un excellent divertissement qui peut le cas échéant donner à réfléchir.
J'ai un peu de mal à voir comment, en enlevant la conclusion "porcs=hommes", l'ensemble de la parabole ne s'écroule pas. C'était pour moi ce qui parachevait le propos d'Orwell.
RépondreSupprimerNon non, cette conclusion n'est pas absente d'autant que vers la fin les porcs adoptent la station debout, portent des vestes etc..
RépondreSupprimerDonc on ne distingue plus les capitalistes des porcs ?
RépondreSupprimerMais... Rien n'a changé !
Je l'ai vu enfant...
RépondreSupprimerInnocent, je pensais que c'était un disney comme un autre.
Ce film a fait de moi une pourriture !^^