Travaillé par le sujet bien avant d'en être l'objet, Tetsuya Tetsui trouvera l'angle et le temps de s'y mettre avec les arguments qui constituent la partie émergée de son talent : l’intelligence et le panache.
Alors qu'il s'intéresse à la censure depuis déjà quelque temps, essentiellement celle qui a touché les bandes dessinées aux États-Unis d'Amérique au début des années 1950, Tetsuya Tsutsui apprend - en lisant des critiques sur l'Internet™ - que Manhole, l'une de ses propres histoires, a été frappée de censure dans la province de Nagasaki.
• Mise en abyme
• Mise en abyme
Le système qui a valu à Manhole d'être classée « œuvre nocive pour les mineurs » au motif de : « incitation considérable à la violence et à la cruauté chez les jeunes », repose uniquement sur l'aspect visuel du manga incriminé.
Un système qu'explique très en détail l'auteur dans « Poison City », puisque ces deux tomes racontent la mésaventure d'un mangaka qui suscite l'attention de la commission d'experts chargée de désigner les livres « nocifs » dans un Japon pré-Jeux Olympiques. Où les manga font partie de l'arsenal du soft power® de l'archipel connu sous l’appellation de « cool japan™ ».
En sus, Tetsuya Tsutsui paye de sa personne en racontant une histoire dans l'histoire, qui si elle était décontextualisée, le principe même du système de censure appliqué dans la province de Nagasaki, risquerait de mettre également « Poison City» à l'index.
Désingularisant son histoire, Tetsuya Tsutsui met donc en scène un jeune mangaka et son tantô à l'aube d'un manga intitulé Dark Walker (l'histoire dans l'histoire déjà évoquée). Et au travers de cette relation entre un auteur et son responsable éditorial, et des remous qu'occasionnera sa série de BD, c'est tout un pan du travail des mangaka que nous révélera Tesuya Tsutsui. Les relations avec l'éditeur du magazine qui accepte donc Dark Walker, celles avec un autre auteur plus chevronné, lui aussi frappé par la censure, la difficulté de joindre les deux bouts dans un monde très concurrentiel. Tout en offrant un panorama des rapports sociaux qui se jouent au Japon.
Par le biais d'une offre venue des U.S.A. Tetsuya Tsutsui introduit longuement ce qui s'est passé au pays de l'Oncle Sam suite à la publication d'un livre, Seduction of the Innocent, de Fredric Wertham, afin de produire un effet d'anticipation sur ce qui risque d'arriver au Pays du Soleil-Levant.
Là encore on peut supposer que l'auteur puise dans sa propre expérience, puisqu'il a été lui aussi remarqué sur l'Internet™ par l'éditeur français ki-oon™, avant qu'il ne publie dans les magazines japonais.
• En conclusion
• En conclusion
Tetsuya Tsutsui est un mangaka selon mon cœur.
Adepte des cycles courts, jusqu'à maintenant il n'a jamais dépassé trois tomes. Capable de reprendre les stéréotypes les plus éculés et de leur redonner une fraîcheur qui semblait les avoir définitivement abandonné. Tetsuya Tsutsui propose des histoires denses et captivantes.
Son entrée en matière pour « Poison City » est un modèle du genre. Quand bien même sommes-nous curieux de voir comment l'auteur traite le sujet principal de ces deux tomes, difficile de ne pas s'intéresser au destin de Tôru Kiritani et de Haruka Sakazaki, les deux personnages phares de Day Walker. Idem pour l'approche didactique de la censure aux États-Unis qui ne tombe pas comme un cheveux sur la soupe, grâce à l'angle qu'adopte Tetsuya Tsutsui pour s'y référer.
Sujet extrêmement sérieux, d'autant que l'auteur lui-même en fait l'objet, la censure est ici abordée via les ressorts les plus immersifs de la fiction.
« Poison City » s'apprécie autant si on connait ce qui l'a motivé, que si on n'en sait rien.
Reste au final un thriller d'anticipation social captivant, et un remarquable sujet d'interrogation personnel : jusqu'où la liberté d'expression peut-elle aller ?
Un sujet qui a pris une ampleur inattendue sept ans après la parution au Japon de « Poison City ». Et qui dépasse largement le cas de Tetsuya Tsutsui et la législation de Nagasaki.
Commentaires
Enregistrer un commentaire