... Suite de ce voyage dans le temps auquel Robert Bloch nous convie .....
... Ces souvenirs remontaient encore plus loin : au milieu des années vingt, à un monde totalement étranger aux jeunes d'aujourd'hui. C'était un monde dans lequel les voyages dans le temps et dans l'espace étaient extrêmement limités ; un monde dans lequel les longs trajets en automobile faisaient figure d'aventures audacieuses, et dans lequel les voyages en train ou en bateau à vapeur étaient des luxes réservés aux riches. C'étaient un monde dans lequel le ronflement d'un "aéroplane" faisait accourir les gens dans la rue, les yeux levés au ciel pour contempler cette nouvelle invention.
... Dans ce monde-là, à cette époque, la plupart d'entre nous ne voyageaient pas. A la place nous lisions.
... Nos lectures nous transportaient dans des contrées lointaines que ni les voitures, ni les trains, les bateaux, ni les avions n'avaient jamais explorées. Un monde dans lequel il restait encore des millions de kilomètres carrés de montagnes, de déserts et de jungles inaccessibles à l'homme civilisés ; un monde où les cannibales et les coupeurs de têtes existaient réellement, un monde de sauvagerie et de superstition, de cultes étrangers et de coutumes mystérieuses..
... La radio offrait un accès limités à l'information et à la culture, par le biais d'appareils équipés d'écouteurs. La télévision était un rêve éloigné, et le cinéma - encore au stade des films muets - nous donnait un aperçu des réalités extérieures grâce aux actualités hebdomadaires et à quelques documentaires.
... Dans ces conditions, il nous était facile de croire à l'existence possible de ce que nous lisions dans les ouvrages de fiction : ces récits de villes perdues et de civilisations oubliées, profondément enfouies dans les vastes espaces de continents inexplorés. Peut-être le Monde Perdu de Conan Doyle existait-il sur quelque plateau d'Amérique du Sud. Peut-être un mystérieux Docteur Fu Manchu était-il tapi au cœur de Londres, et peut-être qu'un Tarzan en chair et en os se balançait d'arbre en arbre au fin fond de la jungle africaine. Einstein restructurait le concept de l'univers cosmique et Freud étudiait l'univers intérieur du cerveau humain, mais la plupart d'entre nous ignoraient encore ces recherches. Nous vivions dans un monde où la lecture levait tous les obstacles : un monde d'imagination. Là, tout était possible ; même l'existence de monstres et de fantômes.
... On pouvait très facilement rencontrer les monstres et les fantômes dans leur milieu naturel : les pages de Weird Tales.
... Ce périodique, imprimé sur du papier de mauvaise qualité se proclamait "Le Magazine Unique" - ce qu'il était effectivement à la fin des années vingt et au début des années trente. A une époque où la plupart des revues se vendait une dime (dix cents), celle-ci coûtait un quarter (vingt-cinq cents). En un temps où les rééditions en format poche n'existaient pas et où on trouvait très peu - voire pas du tout - d'œuvres fantastiques contemporaines en livre reliés, Weird Tales constituait une passionnante exception.
... Personnellement, j'avais découvert ce magazine à l'âge de dix ans dans un kiosque de la gare du Nord-Ouest, à Chicago. Dans un accès de générosité, ma tante m'avait proposé de choisir l'une des revue sur l'éventaire ; l'enfant doux et innocent que j'étais jeta aussitôt son dévolu sur Weird Tales.
... C'est ainsi que je découvris les œuvres de H.P. Lovecraft. ce n'était pas le plus populaire des auteurs du magazine ; pour autant que je me souvienne, il n'a jamais eu droit de son vivant, à une illustration de couverture pour l'une de ses histoires. Mais si les nouvelles de Seabury Quinn, de Clark Ashton Smith, de Frank Belknap Long, de E. Hoffman Price, de Donald Wanderei et d'Edmond Hamilton me plaisaient, ainsi que celles de Robert E. Howard (à part le cycle de Conan), c'étaient les récits de Lovecraft qui m'impressionnaient le plus.
... Six années passèrent, au terme desquelles nous nous installâmes à Milwaukee, à East Knapp Street. C'était en 1933 ; la Dépression étranglait le monde, et ma famille n'échappait pas à la son étreinte. Lycéens, je recevais un dollar par mois d'argent de poche. Cette somme princière devait couvrir tous mes frais : billets de cinéma, sucres d'orge, cornets de glace, livres de prêt, timbres de collection et d'autres somptueuses extravagances. Et malgré mon goût immodéré pour ces luxes divers, je mettais de côté un quart de cet argent pour l'achat mensuel de Weird Tales.
... L'immeuble de Knapp Street où nous habitions était situé dans un quartier résidentiel. A un paté de maison au nord, sur Odgen Avenue, se trouvait un centre commercial. Il y avait parmi les magasins un bureau de tabac tenu par deux vieilles dames célibataires. L'une vendait des cigares ; l'autre les fumait. La boutique faisait également office de bureau de poste et de confiserie ; mais pour moi, son principal attrait l'éventaire à journaux. Sur cet éventaire, le premier jour de chaque mois, était exposé le dernier numéro de Weird Tales.
... Comme la boutique ne recevait que deux ou trois exemplaires du "Magazine Unique", la prudence commandait d'effectuer son achat avec ponctualité.
... Or quels que fussent mes défauts à cet âge, je n'étais certainement pas imprudent. Et j'étais assurément ponctuel. Au point, quelquefois, d'arriver un jour ou deux trop tôt, dans l'espoir qu'il y eût de l'avance dans les livraisons.
... Comme la boutique ouvrait à sept heures du matin précises pour fournir aux clients éventuels des timbres à trois cents ou des cigares à un nickel, je me faisais un devoir d'être là dès l'ouverture des portes - ou même avant.Afin de ne risquer aucun retard, je sortais généralement du lit vers six heures et demie, j'enfilais en toute hâte ma culotte de golf - sans prendre le temps de fermer les assommantes boucles en métal, sous les genoux - et je descendais l'escalier en courant. Une fois dehors, au lieu de contourner le pâté de maisons - long détour qui m'aurait fait perdre, au bas mot, trente précieuse secondes - j'enfilais à toute allure la ruelle, séparant les immeubles. Je débouchais sur Ogden Avenue, juste en face de la rue où se trouvait la boutique, et je fonçais vers l'entrée, une pièce de vingt-cinq cents serrée dans ma petite main brûlante. Haletant, les pupilles dilatées, un mince filet de bave dégoulinant des commissures de mes lèvres, je faisais irruption dans le magasin.
... Et on dit que les adolescents d'aujourd'hui sont esclaves de la drogue !
... L'immeuble de Knapp Street où nous habitions était situé dans un quartier résidentiel. A un paté de maison au nord, sur Odgen Avenue, se trouvait un centre commercial. Il y avait parmi les magasins un bureau de tabac tenu par deux vieilles dames célibataires. L'une vendait des cigares ; l'autre les fumait. La boutique faisait également office de bureau de poste et de confiserie ; mais pour moi, son principal attrait l'éventaire à journaux. Sur cet éventaire, le premier jour de chaque mois, était exposé le dernier numéro de Weird Tales.
... Comme la boutique ne recevait que deux ou trois exemplaires du "Magazine Unique", la prudence commandait d'effectuer son achat avec ponctualité.
... Or quels que fussent mes défauts à cet âge, je n'étais certainement pas imprudent. Et j'étais assurément ponctuel. Au point, quelquefois, d'arriver un jour ou deux trop tôt, dans l'espoir qu'il y eût de l'avance dans les livraisons.
Harold Gauer & Robert Bloch |
... Et on dit que les adolescents d'aujourd'hui sont esclaves de la drogue !
(À suivre ....)
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