• Un commentaire™© sur le film SICARIO avec de vrais morceaux de spoilers dedans !
…. Bien sûr, savoir que Taylor Sheridan le scénariste de Sicario a comme projet d’écrire une trilogie sur le « Nouvel Ouest »* a orienté le regard que je porte sur le film du réalisateur Denis Villeneuve.
Toutefois, la charge symbolique, l’importance des fantômes sémiotiques ; comme c’était le cas sur Comancheria (que j’ai vu avant Sicario : Pour en savoir +), dans lequel on peut voir un Lone Ranger accompagné de son fidèle Tonto, tout deux vieillissants, pourchassant les frères Toby & Tanner Howard, écho des « bandits d’honneur » du Far West** qui, dès les années 1870 s’attaquaient au côté sombre du capitalisme moderne (Cf. Jesse James***), or donc ce terreau mythologique - une fois encore labouré - ne pouvait pas ne pas m’apparaître.
…. Premier segment d’un triptyque donc, Sicario met en scène une ville frontière typique du folklore lié au Far West, où la loi n’était pas encore totalement présente, et ayant encore un pied dans la Wilderness****.
Ici Ciudad Juárez bien que située au Mexique occupe ce rôle.
Dans la mythologie de la Frontier, la fondation d’une communauté ou la pacification d’un territoire, n’est pas le résultat d’une concordance de volontés individuelles autour d’un contrat commun mais plutôt, un processus rendu possible grâce à l’action violente d’un homme. Un maverick, qui demeurera étranger à la communauté fondée, et dont le destin est de tomber « comme une douille vide » (d'une manière ou d'une autre) une fois son action accomplie (pour paraphraser Hegel), en tant qu’il abolit ses propres conditions d’existence.
D’où le thème très prégnant de l’errance au cœur de la fiction étasunienne.
Cet homme est aussi, selon la formule, « un homme qui connaît les Indiens », dont la matrice fictionnelle est Natty Bumppo alias Bas-de-cuir, le héros de James Fenimore Cooper.
Le héros de la Frontier par excellence.
Un archétype qui a évolué au travers d’incarnations successives, comme le veut la tradition (pour n’en citer que deux) : en détective hard-boiled ou encore en vigilant***** urbain.
Et aujourd’hui cet archétype ne s’attaque non plus aux Indiens, ni aux criminels armés de Thompson, mais aux cartels de la drogue.
Et si l’ennemi a changé, les modalités du combat passe toujours par ce que Richard Slotkin a appelé « la régénération par la violence ».
…. Si Soldado, la suite annoncée de Sicario, est de la même trempe que le film de Denis Villeneuve, l’avenir s’annonce radieux pour les amateurs de bons films.
À ce propos, la mise en scène de Villeneuve n’est pas non plus étrangère à la réussite de Sicario.
Je ne citerai qu’une scène qui je crois donne bien le ton du talent du cinéaste. C’est celle où Reg (Daniel Kaluuya), le coéquipier de Kate Mercer (Emily Blunt) l’agent du FBI qui sert de « candide » au spectateur, sort prendre l’air au tout début du film, juste après la découverte des corps momifiés cachés dans la maison.
La caméra le suit, et permet d'enchaîner avec fluidité et un naturel déconcertant sur le climax d’une séquence d’ouverture d’une incroyable intensité.
Et le reste du film est du même tonneau, entre mise en scène virtuose et symbolique efficace.
Je me dois de ne pas oublier non plus de citer Jóhann Jóhannsson, dont la musique est un élément essentiel à la mise en scène, et dont le thème lancinant n'est pas sans évoquer celui de Les Dents de la mer.
…. En définitive, il ressort que Sicario est bien plus riche que ce que mon commentaire met au jour (et la meilleure adaptation cinématographique du personnage de l'éditeur Marvel : The Punisher), mais je voulais surtout explorer l’aspect « Nouvel Ouest » - revendiqué par Taylor Sheridan - et de ce côté-là (mais pas seulement), la réussite est totale.
_______________
* Taylor Sheridan : « Sicario et Comancheria sont les deux premières parties d'une trilogie qui va s'achever avec Wind River, mon prochain film (NDLR : une chasse au tueur dans l'Utah avec Jeremy Renner et Elizabeth Olsen). C'est une exploration de la nouvelle frontière américaine, des conséquences de la conquête de l'Ouest que nous subissons encore aujourd'hui. L'Arizona dans Sicario, le Texas de l'Ouest dans Comancheria. » (Source)
** Le Far West est ici à comprendre comme l’expression du mythe fondateur de la Frontier, de l’Ouest. J’utilise le terme américain de « Frontier » (majuscule + italique) au lieu de celui francophone de « frontière » dont l’équivalent étasunien est « border ».
La Frontier c’est cet espace théorisé par l’historien Frederik Jackson Turner dès 1893, raconté par Theodore Roosevelt (notamment dans les 4 tomes de The Winning of the West) ou encore par Buffalo Bill au travers du Wild West Show, voire par Owen Wister (auteur entre autre de The Virginian) – liste non exhaustive. Autrement dit un territoire initiatique, la matérialisation métaphysique de l’esprit civilisateur qui s’impose par la force, un hiéroglyphe d’où l’homo americanus émerge. Donc rien à voir – ou presque – avec la frontière qui délimite deux pays de part et d’autre d’icelle.
*** À propos des « bandits d’honneur », ce n’est sûrement pas qu’une coïncidence si Nick Cave & Warren Ellis qui ont travaillé sur la musique du film de Ron Hansen et Andrew Dominik, intitulé : L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (2007) ont aussi travaillé sur Comancheria, le second volet de la trilogie de Taylor Sheridan.
**** La Wilderness - héritage des Puritains - est un lieu encore inapprivoisé, un no man’s land, où vit le Mal.
***** Le vigilant, dont le schéma actanciel participera à l’élaboration du justicier masqué puis du super-héros, a probablement vu le jour dans le film de D.W. Griffith, Naissance d’une nation (Pour en savoir +).
SYNOPSIS :
La zone frontalière s’étendant entre les États-Unis et le Mexique est un territoire de non-droit où les trafiquants de drogues internationaux imposent leur pouvoir. Un agent du FBI idéaliste découvre ce monde brutal en assistant les membres d’un groupe d’intervention du gouvernement qui l'ont enrôlée dans leur plan pour provoquer la chute d’un des patrons des cartels mexicains |
Toutefois, la charge symbolique, l’importance des fantômes sémiotiques ; comme c’était le cas sur Comancheria (que j’ai vu avant Sicario : Pour en savoir +), dans lequel on peut voir un Lone Ranger accompagné de son fidèle Tonto, tout deux vieillissants, pourchassant les frères Toby & Tanner Howard, écho des « bandits d’honneur » du Far West** qui, dès les années 1870 s’attaquaient au côté sombre du capitalisme moderne (Cf. Jesse James***), or donc ce terreau mythologique - une fois encore labouré - ne pouvait pas ne pas m’apparaître.
…. Premier segment d’un triptyque donc, Sicario met en scène une ville frontière typique du folklore lié au Far West, où la loi n’était pas encore totalement présente, et ayant encore un pied dans la Wilderness****.
Ici Ciudad Juárez bien que située au Mexique occupe ce rôle.
Dans la mythologie de la Frontier, la fondation d’une communauté ou la pacification d’un territoire, n’est pas le résultat d’une concordance de volontés individuelles autour d’un contrat commun mais plutôt, un processus rendu possible grâce à l’action violente d’un homme. Un maverick, qui demeurera étranger à la communauté fondée, et dont le destin est de tomber « comme une douille vide » (d'une manière ou d'une autre) une fois son action accomplie (pour paraphraser Hegel), en tant qu’il abolit ses propres conditions d’existence.
D’où le thème très prégnant de l’errance au cœur de la fiction étasunienne.
Un désert filmé ici comme un être vivant & en tout cas hostile - tout comme la ville de Juárez - est omniprésent dans Sicario, tout comme dans nombre de western et non des moindres |
Le héros de la Frontier par excellence.
Un archétype qui a évolué au travers d’incarnations successives, comme le veut la tradition (pour n’en citer que deux) : en détective hard-boiled ou encore en vigilant***** urbain.
La chevauchée vers le "fort" sous la protection des "Tuniques bleues" |
Et si l’ennemi a changé, les modalités du combat passe toujours par ce que Richard Slotkin a appelé « la régénération par la violence ».
…. Si Soldado, la suite annoncée de Sicario, est de la même trempe que le film de Denis Villeneuve, l’avenir s’annonce radieux pour les amateurs de bons films.
À ce propos, la mise en scène de Villeneuve n’est pas non plus étrangère à la réussite de Sicario.
Je ne citerai qu’une scène qui je crois donne bien le ton du talent du cinéaste. C’est celle où Reg (Daniel Kaluuya), le coéquipier de Kate Mercer (Emily Blunt) l’agent du FBI qui sert de « candide » au spectateur, sort prendre l’air au tout début du film, juste après la découverte des corps momifiés cachés dans la maison.
La caméra le suit, et permet d'enchaîner avec fluidité et un naturel déconcertant sur le climax d’une séquence d’ouverture d’une incroyable intensité.
Et le reste du film est du même tonneau, entre mise en scène virtuose et symbolique efficace.
The Punisher alias Alejandro Gillick (Benicio del Toro) |
…. En définitive, il ressort que Sicario est bien plus riche que ce que mon commentaire met au jour (et la meilleure adaptation cinématographique du personnage de l'éditeur Marvel : The Punisher), mais je voulais surtout explorer l’aspect « Nouvel Ouest » - revendiqué par Taylor Sheridan - et de ce côté-là (mais pas seulement), la réussite est totale.
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Où l'humanité des uns, dessine en creux l'inhumanité des autres |
* Taylor Sheridan : « Sicario et Comancheria sont les deux premières parties d'une trilogie qui va s'achever avec Wind River, mon prochain film (NDLR : une chasse au tueur dans l'Utah avec Jeremy Renner et Elizabeth Olsen). C'est une exploration de la nouvelle frontière américaine, des conséquences de la conquête de l'Ouest que nous subissons encore aujourd'hui. L'Arizona dans Sicario, le Texas de l'Ouest dans Comancheria. » (Source)
** Le Far West est ici à comprendre comme l’expression du mythe fondateur de la Frontier, de l’Ouest. J’utilise le terme américain de « Frontier » (majuscule + italique) au lieu de celui francophone de « frontière » dont l’équivalent étasunien est « border ».
La Frontier c’est cet espace théorisé par l’historien Frederik Jackson Turner dès 1893, raconté par Theodore Roosevelt (notamment dans les 4 tomes de The Winning of the West) ou encore par Buffalo Bill au travers du Wild West Show, voire par Owen Wister (auteur entre autre de The Virginian) – liste non exhaustive. Autrement dit un territoire initiatique, la matérialisation métaphysique de l’esprit civilisateur qui s’impose par la force, un hiéroglyphe d’où l’homo americanus émerge. Donc rien à voir – ou presque – avec la frontière qui délimite deux pays de part et d’autre d’icelle.
*** À propos des « bandits d’honneur », ce n’est sûrement pas qu’une coïncidence si Nick Cave & Warren Ellis qui ont travaillé sur la musique du film de Ron Hansen et Andrew Dominik, intitulé : L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (2007) ont aussi travaillé sur Comancheria, le second volet de la trilogie de Taylor Sheridan.
**** La Wilderness - héritage des Puritains - est un lieu encore inapprivoisé, un no man’s land, où vit le Mal.
***** Le vigilant, dont le schéma actanciel participera à l’élaboration du justicier masqué puis du super-héros, a probablement vu le jour dans le film de D.W. Griffith, Naissance d’une nation (Pour en savoir +).
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