Ce qui m’a le plus frappé, après avoir lu les huit épisodes de la courte prestation de Darko Macan & d’Igor Kordey sur Soldier X, c’est la volonté du scénariste de proposer un cadre formel très travaillé et assez éloigné des standards que l’on rencontre habituellement dans ce type de BD.
Ainsi le premier épisode contient-il 31 planches au lieu des 22 (en moyenne) habituelles, et le héros n’y apparaît qu’à la vingtième. Dès le deuxième numéro une page récapitulative ouvrira chaque histoire, pour ensuite soit s’insérer au milieu des autres pages, soit être absente ; mais une absence elle-même commentée par les personnages principaux.
On est clairement dans un univers dont les personnages ont conscience d’en être.
À la fin du run – dont je soupçonne que pour Macan & Kordey il aurait dû être bien plus long - les deux compères à l’instar d’un Steve Gerber sur Man-Thing (dans des conditions assez proches), apparaissent dans la BD pour un dernier épisode qui clôt avec élégance leur prestation. Idem si je puis dire, pour le changement de titre, opéré par un des personnages de l’histoire elle-même.
En outre, le duo est autant intéressé par le récit que par la grammaire (étude des éléments constitutifs) du genre dominant de la bande dessinée américaine. Un genre – celui des super-héros (et assimilés) - dont fait partie Nathan Summers (alias Soldier X), mais dont l’exploration telle qu’ici pratiquée l’en extrait.
En effet, cette série peut très bien se lire sans connaître ni les X-Men, ni même ce qui a précédé ; voire par quelqu'un qui n'est pas rompu à lecture des aventures des encapées masqués (ou pas).
Hormis les numéros écrits par Tischman puis (surtout) ceux de Macan qui, s’ils ne sont pas essentiels, apparaissent néanmoins en filigrane (et que je recommande de lire vu leurs qualités).
Si le Marvelman d’Alan Moore sert souvent (et avec raison) de carbone 14 à l’exégèse super-héroïque en tant que substrat au récit, Macan se propose d’y soumettre Nathan Summers, à l’instar de son illustre prédécesseur. Ici, il s’agira de convoquer l’un des plus puissants stéréotypes de la geste des surhommes, celui de l’homme providentiel (la première planche est très éloquente).
Ou plutôt son duplicata à l’échelle de l’imaginaire qui l’a enfanté, à savoir, une sorte de dieu en élasthanne (que Moore, compte tenu des avanies rencontrées avec la parution de Marvelman avait lui aussi exploré). Mais au contraire du scénariste anglais, Darko Macan utilise beaucoup plus l’humour et une approche assez proche du ton que Grant Morrison avait eu sur la Doom Patrol.
Une sorte de réconciliation des « contraires ».
Nonobstant ce que j’ai pu dire sur la fin du run de la série Cable [Pour en savoir +], Soldier X montre donc une sensibilité très proche de celle que mettait Steve Gerber dans ses scénarios des années 1970 comme Man-Thing ou les Défenseurs ; des histoires que l’on qualifie de « relevant ». Autrement dit inscrites dans les problèmes de leur temps, quand bien même continuaient-elles de paraître dans un marché de grande consommation et de pur divertissement.
(Et ce n’est pas un hasard si je cite également Moore & Morrison lorsqu’il est question de Steve Gerber)
Il n’est pas question pour moi de dire ici que Darko Macan copie qui que ce soit, mais sa sensibilité et les choix qu’il opère sur Soldier X pourraient être résumés (assez maladroitement je l'admets) par une addition de type : le meilleur de Gerber + le meilleur de Moore + le meilleur de Morrison = Soldier X.
Où le résultat serait somme toute différent de la simple addition des parties censées le constituer, puisque le scénariste croate y apporte bien évidemment son propre talent.
…. Je crois qu’Igor Kordey n’a jamais été aussi bon que sur cette série. Je parle bien entendu de son travail chez Marvel, où il devait souvent rendre des planches dans des délais très courts, voire commandées au dernier moment.
D’autre part, ses couvertures – magnifiques & peintes - expriment avec beaucoup d’énergie et de force, et de justesse le contenu des numéros qu’elles illustrent. L’addition des 8 couvertures donnent peu ou prou un résumé assez saisissant, parfois très fin (la #4 est à ce titre exemplaire), de l’histoire qu’on nous raconte.
La palette du coloriste Chris Chuckry (numéro 1 à 6) augmente la force et le dynamisme que met le dessinateur dans ses planches. Matt Madden son remplaçant, se coule dans l’approche de son prédécesseur (#7), pour ensuite s’en démarquer lors du 8ème et dernier numéro, pour au moins une raison évidente.
…. Si Soldier X est paru dans une collection dédié aux super-héros, son propos, ainsi qu’une approche disons originale, lui donnent des qualités qui pourront aussi plaire aux lecteurs qui ne sont pas forcément des aficionados forcenés du genre.
__________
Si ce commentaire™© a été fait à partir de la lecture des numéros étasuniens de la série, pour une meilleur accessibilité je propose des pages extraites de la revue publiée par Panini dans une traduction de Laurence Belingard, et un lettrage d'Eric Montesinos. (Revue X-Men du n° 81 au n° 90/2003-2004)
Ainsi le premier épisode contient-il 31 planches au lieu des 22 (en moyenne) habituelles, et le héros n’y apparaît qu’à la vingtième. Dès le deuxième numéro une page récapitulative ouvrira chaque histoire, pour ensuite soit s’insérer au milieu des autres pages, soit être absente ; mais une absence elle-même commentée par les personnages principaux.
On est clairement dans un univers dont les personnages ont conscience d’en être.
La page de "récap" du n°3 |
En outre, le duo est autant intéressé par le récit que par la grammaire (étude des éléments constitutifs) du genre dominant de la bande dessinée américaine. Un genre – celui des super-héros (et assimilés) - dont fait partie Nathan Summers (alias Soldier X), mais dont l’exploration telle qu’ici pratiquée l’en extrait.
En effet, cette série peut très bien se lire sans connaître ni les X-Men, ni même ce qui a précédé ; voire par quelqu'un qui n'est pas rompu à lecture des aventures des encapées masqués (ou pas).
Hormis les numéros écrits par Tischman puis (surtout) ceux de Macan qui, s’ils ne sont pas essentiels, apparaissent néanmoins en filigrane (et que je recommande de lire vu leurs qualités).
Si le Marvelman d’Alan Moore sert souvent (et avec raison) de carbone 14 à l’exégèse super-héroïque en tant que substrat au récit, Macan se propose d’y soumettre Nathan Summers, à l’instar de son illustre prédécesseur. Ici, il s’agira de convoquer l’un des plus puissants stéréotypes de la geste des surhommes, celui de l’homme providentiel (la première planche est très éloquente).
Ou plutôt son duplicata à l’échelle de l’imaginaire qui l’a enfanté, à savoir, une sorte de dieu en élasthanne (que Moore, compte tenu des avanies rencontrées avec la parution de Marvelman avait lui aussi exploré). Mais au contraire du scénariste anglais, Darko Macan utilise beaucoup plus l’humour et une approche assez proche du ton que Grant Morrison avait eu sur la Doom Patrol.
Une sorte de réconciliation des « contraires ».
Nonobstant ce que j’ai pu dire sur la fin du run de la série Cable [Pour en savoir +], Soldier X montre donc une sensibilité très proche de celle que mettait Steve Gerber dans ses scénarios des années 1970 comme Man-Thing ou les Défenseurs ; des histoires que l’on qualifie de « relevant ». Autrement dit inscrites dans les problèmes de leur temps, quand bien même continuaient-elles de paraître dans un marché de grande consommation et de pur divertissement.
(Et ce n’est pas un hasard si je cite également Moore & Morrison lorsqu’il est question de Steve Gerber)
Il n’est pas question pour moi de dire ici que Darko Macan copie qui que ce soit, mais sa sensibilité et les choix qu’il opère sur Soldier X pourraient être résumés (assez maladroitement je l'admets) par une addition de type : le meilleur de Gerber + le meilleur de Moore + le meilleur de Morrison = Soldier X.
Où le résultat serait somme toute différent de la simple addition des parties censées le constituer, puisque le scénariste croate y apporte bien évidemment son propre talent.
…. Je crois qu’Igor Kordey n’a jamais été aussi bon que sur cette série. Je parle bien entendu de son travail chez Marvel, où il devait souvent rendre des planches dans des délais très courts, voire commandées au dernier moment.
D’autre part, ses couvertures – magnifiques & peintes - expriment avec beaucoup d’énergie et de force, et de justesse le contenu des numéros qu’elles illustrent. L’addition des 8 couvertures donnent peu ou prou un résumé assez saisissant, parfois très fin (la #4 est à ce titre exemplaire), de l’histoire qu’on nous raconte.
La palette du coloriste Chris Chuckry (numéro 1 à 6) augmente la force et le dynamisme que met le dessinateur dans ses planches. Matt Madden son remplaçant, se coule dans l’approche de son prédécesseur (#7), pour ensuite s’en démarquer lors du 8ème et dernier numéro, pour au moins une raison évidente.
…. Si Soldier X est paru dans une collection dédié aux super-héros, son propos, ainsi qu’une approche disons originale, lui donnent des qualités qui pourront aussi plaire aux lecteurs qui ne sont pas forcément des aficionados forcenés du genre.
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Si ce commentaire™© a été fait à partir de la lecture des numéros étasuniens de la série, pour une meilleur accessibilité je propose des pages extraites de la revue publiée par Panini dans une traduction de Laurence Belingard, et un lettrage d'Eric Montesinos. (Revue X-Men du n° 81 au n° 90/2003-2004)
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