Lorsque l'enfant paraît (Supreme Power #1) |
L’appartenance à un genre (science-fiction, polar, romance, etc.) suppose des modèles que nous - lecteur - nous nous attendons à trouver.
L’horizon d’attente, qui dépend du pacte de lecture, est ce à quoi s’attend le lecteur (normes de lecture intériorisées), avant même souvent d’ouvrir un livre. La couverture, à elle seule, suffit à enclencher un pacte de lecture et l'horizon d’attente qui va avec.
Supreme Power ne repose donc pas sur le modèle (ou stéréotype) attendu qui généralement, oppose un super-héros à un super-vilain, mais sur l’arrivée et la présence même de ce type de personnages dans un monde qui pourrait être le notre.
Comment le monde réagirait-il si un extraterrestre d’apparence humaine débarquait sur Terre ?
Quelqu’un capable de voler par ses propres moyens physiques. Quelqu’un dont la force nécessiterait l’utilisation de l’échelle de Richter pour être mesurée ?
Qu’en ferions-nous ? Que ferait-il ?
Dans un premier temps, le « monde » dont il est question se restreint dans Supreme Power à celui du gouvernement américain. Et encore plus précisément au ministère de la Défense et à des officines relevant des services secrets.
Plutôt que de supposer que la présence d'Hyperion va de soi, J. M. Straczynski retourne aux sources et envisage son scénario sous le prisme du « tragique ».
Autrement dit une histoire marquée par l’entropie, la négativité et la souffrance. Ce que d'aucuns nomment « réalisme ».
Rising Stars #1 |
Il y a dans les 2 cas (Rising Stars & Supreme Power) un phénomène viral à l’œuvre, d’une certaine façon identique à l’arrivée en 1938, de Superman dans l’industrie de la BD américaine (lequel relèverait plutôt de l’ordre du mème).
Le mème est à la culture, ce que le gène est à la nature. C'est une unité d'information, auto-réplicante ; autrement dit une idée, considérée comme autonome et surtout, contagieuse.Autrement dit, JMS fait une lecture au premier degré de l’arrivée du personnage inventé par Siegel & Shuster dans le monde (extra-diégétique) de la bande dessinée, laquelle entraîna l’apparition d’autres personnages du même acabit : Batman (son presque exact contraire), Namor, Wonder Woman, pour n'en citer que quelques uns.
Chez JMS, cette lecture au premier degré est prise au pied de la lettre, et devient un événement diégétique ; le moteur de son scénario.
Un événement qui s’ajoute aux questions que suscitera l’arrivée d’un « surhomme » dans une société la plus proche possible de la notre, sans qu’on utilise pour y répondre, la suspension volontaire d’incrédulité chère à Colleridge.
Cette absence de la nécessité d'une suspension volontaire d'incrédulité, ou sa diminution drastique, fait dire à certains, parlant du type d'histoires dont ressort Supreme Power qu'il s'agit de séries réalistes. Ce qui n'est pas faux, si on veut bien convenir que quelqu'un puisse par exemple courir à Mach 7.
…. Compte tenu de l’impact qu’a eu Superman en tant qu’agent culturel viral (mème). Et plus encore peut-être la relance de 1956, où il s’agissait de ripoliner les super-héros nés avant guerre, en réinventant un « nouveau » Flash ou un « nouveau » Green Lantern, ou en créant une JLA sur le modèle de l’ancienne JSA, on comprend alors que le monde des super-héros soit un vaste miroir aux silhouettes, un pays de décalcomanies.
Je précise cela car la série Supreme Power s’inspire d’une autre série, antérieure, intitulée Squadron Supreme (L’Escadron Suprême dans l'Hexagone).
Thor n°19 (Collection Flash) Arédit/Artima |
Un peu d'histoire ......
…. Né en 1971, de l’imagination de Roy Thomas et du talent artistique de John Buscema dans les pages d’Avengers numéro 69 (et en France dans le Thor n°19 voir supra) série publiée par Marvel aux U.S.A, L’Escadron Suprême résulte en quelque sorte du passage, dans le camp du bien, d’une autre équipe appelée le Squadron Sinister (alias L’Escadron Sinistre), elle-même inventée comme antagoniste des Avengers en 1969.
Comme on le voit le talent « réplicateur » du genre est un super-pourvoir en soi.
Mais ce n’est pas tout.
L’Escadron Sinistre n’est en fait rien d’autre qu’une variation de la Justice League of America (JLA), une équipe appartenant au concurrent de toujours de la Marvel.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué !
En effet, à la fin des années 1960 Roy Thomas écrit pour la Maison des Idée la série Avengers, lors d’une fête organisée chez lui, Mike Fiedrich, un autre scénariste suggère que lui et Dennis O’Neil - qui écrit pour DC Comics la Justice League of America - fassent une sorte de crossover en faisant se rencontrer les équipes dont ils ont respectivement la charge.
L’époque n’est pas vraiment au dialogue entre les deux éditeurs, il faudra donc ruser.
Dessins de Sal Buscema, le frère de John (Les Vengeurs n°3 collection Artima Color Marvel Superstar) |
Hyperion est le pendant maléfique (et marvelien) de Superman, Nighthawk celui de Batman, Dr Spectrum occupe la place de Green Lantern, et Whizzer est le super-bolide de l’équipe en lieu et place du Flash de le Distingué Concurrent.
Peut-être dans un sursaut d’auto-préservation, Thomas n’invente pas d’alter ego à Wonder Woman. Et effectivement, ni Stan Lee (qui se montrera moins conciliant avec Steve Gerber et Wundarr, son sympathique pastiche de Superman), ni DC Comics ne réagiront.
De son côté Dennis O’Neil dépend chez DC, d’un editor, Julius Shwartz, l’homme qui en 1956 a eu l’idée de relancer le genre alors plutôt moribond dans les pages du Showcase #4, comme je l'ai dit précédemment.
L’histoire n’a pas retenu s’il avait même demandé l’autorisation, mais O’Neil ne fera que des allusions timides aux Avengers dans sa propre histoire (JLA #75) comme celle où la contrepartie maléfique d'Atome déclare qu'il peut tout aussi bien devenir un « Goliath ». Du nom d'un des membres des Vengeurs.
Les Champions of Angor reviendront dans les pages de la JLI par Giffen & Dematteis |
Un peu plus tard, en 1971, Mike Fiedrich celui qui avait eu l’idée du « crossover secret » est devenu le scénariste de la JLA, et il y invente les Champions of Angor, un pastiche avérés des Vengeurs (JLA n° 87).
Alors qu’au même moment Roy Thomas, toujours aux commandes d’Avengers, transformera, comme je l’ai dit plus haut, L’Escadron Sinistre en Escadron Suprême.
Au pays des décalcomanies rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme.
Si L’Escadron Suprême n’obtient pas sa propre série, il continue néanmoins d’apparaître ici ou là dans les revues de l’éditeur, qui développe l'univers commun à tous ses personnages, régit par le principe de continuité, que l’on connaît encore aujourd’hui.
Encart annonçant l'arrivée de L'Escadron Suprême (Strange Special Origines n° 208) |
En effet, entre 1985 et 1986, Mark Gruenwald écrit une maxi-série centrée sur cette équipe, et qui pose les questions suivantes :
• Que ferait une équipe de super-héros pour améliorer le monde ?
• Jusqu’où seraient-ils prêts à aller ?
Pour lui laisser une marge suffisante il est convenu que cette aventure se déroule dans un univers parallèle à celui habituel de la Marvel où s’escrime mensuellement Spiderman, le Fantastic Four ou encore les X-Men.
Bref le même deal qu’avec la série Supreme Power de 2003, qui bénéficie aussi d’une sorte d’extraterritorialité en tant qu’elle a son univers propre et indépendant. Du moins au début, mais nous verrons ça plus en détail la prochaine fois.
En attendant, si les 12 numéros scénarisés par Gruenwald (dont je reparlerai bientôt) sont publiés un peu avant l’événement que sera Watchmen (1986-1987), ils sont néanmoins publiés après Marvelman (paru dans le magazine Warrior à partir de 1982), deux séries qui sous l’égide d’Alan Moore posaient aussi – en autres – la question de la place des super-héros dans un monde qui serait le plus proche possible du notre. Et en imaginaient les répercussions qui iraient avec.
Presque 20 ans plus tard, J. M. Straczynski s’essaiera lui aussi d'y répondre.
Le miroir aux silhouettes
…. À toutes fins utiles, je précise que le Marvelman de 1982 que j'évoque, est une mise à jour d’un personnage précédemment créé en 1954 par Mick Anglo, pour le marché britannique.
Lequel Marvelman était un clone presque parfait du Captain Marvel de l’éditeur étasunien Fawcett, personnage au centre d’un long procès dans lequel il était accusé d’être un plagiat pour le dire vite, de Superman, et dont la parution venait de cesser en Angleterre.
Les Watchmen (ou les Gardiens en français) sont quant à eux, des variations (autorisées) de personnages, propriété de l’éditeur Charlton, que DC Comics venait de racheter pour les inclure à son propre cheptel.
En 2003, en s’appropriant L’Escadron Suprême pour le transformer en Supreme Power, J. M. Straczynski ne fait que reproduire un atavisme apparu en même temps que Superman et qui a fait depuis, beaucoup d’émules.
Et non des moindres.
Ou si on veut être plus radical, J. M. Straczynski, tout comme Thomas, Fiedrich, Gruenwald, Anglo ou Moore (pour ne citer que ceux-là), n'est que l'hôte d'un mème qui, à l'instar de l’œuf de Samuel Butler qui se sert de la poule pour se répliquer, utilise les scénaristes le faire.
(À suivre ……)
Formidable rétrospective. Comme toi, je modèrerais le qualificatif de réaliste, puisque dès qu'il y a introduction d'un superpouvoir, il y a nécessité d'une bonne dose de suspension consentie d'incrédulité, ne serait-ce que sur le plan du métabolisme.
RépondreSupprimerJ'ai toujours eu du mal à accorder une telle importance au Squadron Supreme de Mark Gruenwald. D'une part parce que la dimension visuelle reste dans les rails du processus industriel des comics de superhéros, d'autre part parce que l'histoire reste du superhéros classique, n'ayant que supprimé 1 seule règle, celle qui veut que l'évolution de l'environnement des personnages reste globalement semblable à celle de la Terre normale. Je n'y retrouve pas non plus l'élégance formelle de l'écriture d'Alan Moore, ou sa profondeur.
J'avais beaucoup aimé la lecture de Supreme Power, avec une écriture bien marquée par les conventions des récits de superhéros, et une grosse déception de ne pas savoir vers où Straczynski souhaitait diriger sa série interrompue trop vite.