« C’est du cinéma, on est donc dans la réalité + 1 ou + 2 »
Fred Cavayé
L’épuisement d’histoires originales, et la production exponentielle de fictions nécessitent d’élaborer des stratégies de mises en récit attractives pour captiver le public.
Plonger directement les spectateurs d’un film « au cœur des choses » est toujours payant. Surtout si en plus, comme dans le cas du film réalisé par Fred Cavayé, les personnages et le contexte, en un mot l’histoire, bénéficie de l’effet IKEA®.
L'effet en question est un biais cognitif documenté par Michael Norton, dans lequel les consommateurs accordent une plus-value aux produits qu'ils ont partiellement créés (les meubles de l'enseigne bien connue).
Ici, la chronologie (chamboulée par l'ouverture du film in medias res), les tenants et les aboutissants du scénario (dévoilés au compte-goutte) nécessitent que le spectateur participe activement au storytelling du film qu'il regarde.
L'effet IKEA® implique donc plus le spectateur que ne le ferait une histoire plus linéaire.
En outre, l'utilisation de « désirs contrariés », et la complicité qui née avec des personnages avec qui on partage une certaine intimité, ici Samuel Pierret, sa femme et, dans une moindre mesure, Hugo Sartet, alimentent des sympathies et des antipathies (ceux qui leur veulent du mal) très tranchées.
Ne pas laisser indifférent le spectateur est bien évidemment un gage supplémentaire de son implication.
« À bout portant2010 » adopte au surplus, un rythme feuilletonnant, chapitré par des scènes chocs (la moto, l'enlèvement, le meurtre de sang froid dans la planque, etc.) qui relancent et modifient de quelques degrés, à chaque fois, la direction qu’on suppose que le scénario est en train de prendre.
Un contre-emploi mémorable, et une séquence qui l'est tout autant (où il est question d'une fenêtre), achève de nous faire attendre l’inattendu avec une certaine anxiété : les personnages ne sont plus les seuls à être sur le qui-vive.
Fred Cavayé va jusqu'à construire une symétrie entre Sartet et Pierret au travers d'une fuite, avec à leurs trousses respectives (mais pas au même moment), les quasi mêmes poursuivants.
Deux courses-poursuites à pieds, et qui passent toutes les deux par des « sous-sols » c’est trop pour une coïncidence.
Ce choix, symbolique, rebat bien évidemment encore une fois les cartes d’un Monopoly© de la peur (Pantin, Gare du Nord, métro, etc.) haletant.
D'une manière générale la distribution est particulièrement réussie.
Les actrices et les acteurs ont toutes & tous une présence physique qui permet au réalisateur et à son coscénariste, Guillaume Lemans, de faire un film où les dialogues, relativement rares, vont à l'essentiel.
Reste que tous les personnages ne sont pas non plus interprétés sur le même mode. Mais la présence physique y est pour tous, essentielle. Et ça marche !
La réalisation plutôt sobre, ça bouge dans le plan, mais il y a peu d'effets de caméra, donne un côté réaliste à l'action, quasi continue du métrage.
C’est très énergique, mais ça n’épuise pas avec des « cuts» ou un montage épileptique.
En conclusion, sur une trame largement usée, « À bout portant » ne fait pas de prisonniers, et gagne par K.O face à l'adversité.
Un polar français qui n'a vraiment rien à envier à ses homologues étasuniens ou hongkongais.
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