Début 1938, un personnage de bande dessinée apparaît de l’autre côté de l’Atlantique, dont l’inertie mémétique forte n’est plus à prouver quatre-vingt ans après sa création. Superman a en effet durablement fait évoluer la BD étasunienne, au point de créer un genre à part entière, devenu par ailleurs prédominant.
Véritable phénomème (sic) de la littérature dessinée (i.e. un élément de code culturel reconnaissable et reproductible taille XXXL) à l’origine d’une théorie de personnages.
Un miroir aux silhouettes où non seulement les personnages se réfléchissent les uns les autres, mais également où les plus populaires se déclinent en autant d’univers que l’imagination peut en créer.
Batman : White Knight de Sean Murphy en est une très belle illustration.
On y voit un Joker, transformé en politicien, sous l’identité de Jack Napier mais sans la physionomie de Jack Nicholson, qui tente de transformer Gotham, et y transforme Batman.
Personnage créé, soit dit en passant, dès l'origine pour être un « négatif » du Kryptonien, en vertu du miroir aux silhouettes déjà mentionné, où les personnages sont donc des déformations, ou des inversions, de ceux qui existent déjà.
Huit numéros donc, dont un final « extra-size », où le talent de Sean Murphy à la planche à dessin complète un beau savoir-faire au traitement de texte.
En conclusion, Batman : White Knight pose les bases d’un univers qui ne demande qu’à s’épanouir.
« Batman : Curse of the White Knight » prolongera donc cette aventure éditoriale.
Si l’allusion à la première aventure de Zorro, intitulée The Curse of Capistrano, de Johnston McCulley vous aura échappé, peut-être que quelques scènes rappelant les planches qu’Alex Toth a dessinées pour le justicier masqué californien y réussiront.
Ce type d’univers alternatif est en effet toujours l’occasion d’intertextualités et de réappropriation.
Ici par exemple, Batman s’opposera à Azrael, un personnage bien connu des amateurs du Caped Crusader, inventé par Dennis O’Neil & Joe Quesada au début des nineties.
Héritière reconnaissante d’une littérature du rebondissement et de la volte-face, la mini-série en huit numéros est une totale réussite. Elle conjugue en effet avec beaucoup d’adresse de nouvelles combinaisons de situations anciennes.
En plus d’un scénario particulièrement intrépide, Sean Murphy et Matt Hollingsworth, son coloriste, donnent à lire des planches époustouflantes. Chaque personnage et chaque plan est un élément narratif indissociable du tissu scénaristique que tissent les dialogues et les récitatifs. Le langage corporel des personnages, les plans et leur colorisation expriment autant l’action que la psychologie des uns et des autres.
Le recueil commercialisé par Urban Comics™ est un bel écrin pour cet univers que les relectures n’épuiseront pas avant longtemps.
Seule fausse note, si je puis dire, qui n’est d’ailleurs pas forcément imputable à l’éditeur français, l’interlude consacré à Von Freeze.
Placé entre le sixième et le septième numéro de la mini-série de Murphy, le dessin de Klaus Janson tranche de manière vraiment trop brutale avec celui du natif du New Hampshire.
D’autant qu’à moins d’être passé à côté de quelques chose, je ne vois pas ce qui aurait empêché de mettre cette histoire après le huitième numéro de « Curse of the White Knight ».
Ce qui n'aurait rien changé à mon avis, à la belle déclaration d'amour confraternelle à l'adresse de Janson, que détaille Murphy dans une belle postface.
En l’état, cette pourtant belle histoire, casse le rythme du récit principal.
En définitive, ce deuxième tome complète avec brio un univers parallèle supplémentaire à ceux déjà nombreux du Batman, qui pour le coup risque d’en éclipser un bon nombre.
Si le talent artistique de Sean Murphy ne souffrait guère de contestation, White Knight et « Curse of the White Knight » révèle un scénariste avec qui il faudra décidément compter. S’il avait déjà montré des velléités dans ce domaine sur des œuvres plus personnelles (Off Road et Punk Rock Jesus), le Murphyverse© qu’il met en place sous l’égide de la collection Black Label® le place d’ores et déjà dans le peloton de tête des scénaristes mainstream.
Et c’est pour moi une très bonne nouvelle !
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• Le néologisme « phénomème » est construit à partir du « mème » inventé par Richard Dawkins.
Il s'agit pour le dire vite, d'un réplicateur culturel comparable aux gènes.
La mémétique, une science molle qui étudiait et promouvait ces entités réplicatives d'information est certes tombée en désuétude, mais elle reste à mon sens toujours valable du moment qu'on en fait pas un dogme.
Elle permet en outre, et paradoxalement, de rafraîchir le discours dès lors qu'il est question de parler de phénomènes culturels.
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