…. Jesse Sanchez l’héroïne de STREET ANGEL comme le souligne Paul Gravett dans sa préface exemples à l’appui (Clark Kent, Bruce Wayne, Annie la petite orpheline et Tintin), fait partie si je puis dire de la grande famille des héros orphelins, ce que j’appelle (après François Flahaut) des personnage « autofondés ».
Ce type de protagoniste se singularise par son autonomie ; il est capable de s'émanciper de la société et de se tailler une trajectoire libre et personnelle, avant tout fondée sur ses propres qualités.
La prolifération de ce type de personnages outre-Atlantique (pour ce qui nous occupera ici) trouve selon moi, son origine dans un concept philosophique purement nord-américaine : la « self-reliance ».
La self-reliance, ce « soi aborigène » étasunien, que l’on traduit plus justement par la « confiance en son autonomie » que par « la confiance en soi » et qui rejoint, et ce n’est sûrement pas une coïncidence, par bien des points la théorie de la Frontière (Turner, Roosevelt, Buffalo Bill), d'où le "soi aborigène", a été pensée par le philosophe Ralph Waldo Emerson.
On retrouve au cœur de ce concept de self-reliance, la théorie du héros selon Thomas Carlyle, qu’Emerson admirait et qu’il a publié aux U.S.A., telle que définie ainsi : « Tout ce qui est important est fait par un homme seul ».
De mon point de vue la self-reliance est l’élément déterminant qui explique pourquoi le stéréotype du super-héros est né aux U.S.A. et nulle part ailleurs.
Il n’est pas le seul mais il est l’un des plus déterminants.
En effet le super-héros est presque toujours, du moins au début un orphelin, un personnage autofondé ; un homme seul qui fera des choses importantes.
Et sur un plan plus séculier, ou disons sous la juridiction de notre plan d'existence, cela a donné le self-made-man.
Ce que seront par ailleurs souvent les premiers créateurs de comic books de super-héros ; des hommes qui se feront à la force de leur imagination et grâce à leur coup de crayon.
En un mot sans le super-pouvoir propre à n’importe lequel d’entre eux : celui d’attirer les super-problèmes au travers de son antagoniste privilégié le super-vilain.
En effet le premier super-pourvoir de tout super-héros qui se respecte est de créer ses propres adversaires, condition indispensable à sa survie.
Car contre toute attente, un super-héros n'est pas la réponse à un super-vilain ; il est la cause de la prolifération des super-vilains et autres « super-menaces ».
Paradoxalement, la Terre n'a jamais autant près de disparaître que depuis qu'ils sont là pour la protéger.
Sans super-vilain que croyez-vous qu’il arriverait ?
Eh bien sans super-vilain pour le distraire, le super-héros devrait dès lors s’occuper, pour le dire vite, de l’aspect social du monde: guerres, famines, pollutions, épidémies, paupérisation, etc.
Et comment croire un seul instant que Superman ou Tony Stark seraient incapables de remédier à ces maux ?!
Et après avoir remédié à tous ces problèmes, ce qu'ils réussiront sans nul doute à faire puisque ce sont des super-héros, quid de leur devenir ?
Ils seront ces "cartouches vides" dont parlent Hegel.
Ironie du sort, c’est sur cet arrière-plan social, bien peu glamour et captivant pour nous qui avons gardé nos âmes d’enfants, et pour qui une bonne super-baston entre Hulk et Galactus compte plus que l’éradication de la faim dans le monde, que Jim Rugg & Brian Maruca les deux auteurs de STREET ANGEL ont bâti leurs intrigues.
En effet si STREET ANGEL s'inscrit clairement, en citant Wolverine, dans le genre inventé par deux jeunes hommes de Cleveland en 1938 alors qu'ils travaillent pour un éditeur de bandes dessinées new-yorkais, Jesse Sanchez est une super-héroïne passée au tamis du postmodernisme, mouvement dont l'ironie (parfois) mordante travestie (toujours) le pastiche (figure emblématique du postmodernisme) en quelque chose d'inattendu.
Et il faudra vous attendre à de l'inattendu si d'aventure vous lisez ce qu'ont concocté Rugg & Maruca.
Cela dit STREET ANGEL n'est pas une bande dessinée militants ou du moins, elle offre d’abord une lecture très premier degré à base de ninjas, de savants fous, de requin-garou et de vierges-à-sauver (liste non exhaustive), et de blaxploitation.
Afrodisiac en pleine action |
Les deux auteurs privilégient les histoires loufoques et fort distrayantes, à l'humour (noir et bien peu politiquement correct) contagieux.
Toutefois le contexte dans lequel se déroulent les aventures hautes en couleurs de Jesse ménagent leur petit effet Kiss Cool™©, lequel amènera peut-être certains lecteurs à se poser les bonnes questions, c'est-à-dire à se poser des questions tout court.
Plus finaud que ne le laisse penser une lecture superficielle, STREET ANGEL montre à la fois le potentiel de Jim Rugg & Brian Maruca sans pour autant masquer leur talent.
D'ailleurs Street Angel n'a pas de masque.
Traduit par Ian Chidlow et publié par Le Lézard Noir, STREET ANGEL est un recueil d'un peu plus de 180 pages pour 15 €, voire moins en soldes.
Ça serait dommage de passer à côté.
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