De son propre aveu, Jeremy Carver, le créateur de la série télévisée adaptée des personnages de DC Comics™, ne connaissait pas la Doom Patrol avant d'être contacté, pour qu'il donne un avis sur son éventuel développement cathodique, par les autres producteurs du show en question : Sarah Schechter, Greg Berlanti et Geoff Jones. Il a donc lu tout ce qu'il pouvait sur l'univers de cette équipe atypique née en 1963, dans les pages de My Greatest Adventure. Dont le run 1989-1992 très inspiré du scénariste Grant Morrison.
Une influence indéniable, que ne semble pourtant pas vouloir lui concéder les crédits* du show télévisé.
D'autant que si la reconnaissance en paternité de Danny the Street est un point de litige créatif entre Grant Morrison et Brendan McCarthy, Crazy Jane vient bien de l'esprit tout aussi torturé de l'Écossais. Idem pour Flex Mentallo, personnage qu'on devrait voir apparaître avant la fin de la première saison. Être une parodie des publicités de la méthode d'entraînement physique de Charles Atlas, n'enlève rien à ce qu'en ont fait Morrison et le dessinateur Richard Case dans les pages de la série.
Certes, Grant Morrison est nommément cité dans une saillie ironique de Mr. Nobody (tiens, encore un personnage que l'on doit au run et au propre design de Grant Morrison) au tout début du deuxième épisode, mais je suis étonné qu'on fasse si peu de cas de son copyright créatif.
À la décharge des uns et des autres, la création dans le domaine mainstream (autrement dit dominant) de la bande dessinée américaine, à savoir les super-héros, est souvent sujette à des discussions sans fins chez les amateurs, et à des procès chez les professionnels.
Dont les maisons d'édition, telle que DC Comics™, à qui appartient la presque totalité des personnages qu'elle commercialise sous forme de comic books.
La Doom Patrol originelle n'a d'ailleurs pas échappé aux discussions et aux théories.
Apparue quelques mois avant que la première équipe des X-Men, du concurrent Marvel™, ne s'installe elle aussi dans les kiosques étasuniens, la Doom Patrol n'avait pas seulement en commun avec les mutants un mentor en chaise roulante.
Aujourd'hui on sait de sources à peu près sûre, que l'équipe imaginée par Arnold Drake était le fruit de son étude attentive de ce qui faisait, au début des années 1960, la particularité et le succès des super-héros Marvel™.
L'engouement pour les nouveaux personnages inventés par Stan Lee, Jack Kirby et Steve Ditko, n’était pas passé sous le radar de celui qui inventera plus tard Deadman ou encore Les Gardiens de la galaxie première mouture. À tel point qu'il écrira un mémo, quelques années plus tard, sur ce qui faisait la singularité des super-héros made in Marvel™, à l'attention d'Irwin Donefeld, alors vice-président exécutif de National Periodical™ (qui deviendra DC Comics™).
Un mémorandum qui restera lettre morte.
Reste que lorsqu'il s'est agit de créer, en quatrième vitesse, une nouvelle équipe pour une revue qui battait de l'aile intitulée My Greatest Adventure, l'approche, disons analytique, du marché d'Arnold Drake, lui permet de le faire vite.
Tout en inventant des personnages alors jamais vus chez DC Comics™.
Si Jeremy Carver et son pool de scénaristes s'inspirent largement du travail de Grant Morrison (mais pas seulement), ce dernier avait été, en son temps, tout aussi largement influencé par celui d'Arnold Drake.
Si les membres de la DP semblent avoir été inventés par la concurrence (une sorte de Fantastic Four version freaks), leurs aventures semblent elles, tout droit venir des pages du Captain Marvel de l'éditeur Fawcett™. Dont la caractéristique première de ses aventures, hormis d'en vendre un nombre astronomique, était leur ton enfantin et cartoonesque.
Un aspect qu'Arnold Drake traitera lui, à hauteur d'adulte, mais les super-vilains qu'affronteront la DP semblaient provenir directement de l'imagination de Bill Parker & C.C. Beck .
Cela donnera à ses histoire la distanciation cognitive qui les distinguera de tout ce qui se faisait à l'époque. À la fois farfelu et effrayant.
Grant Morrison lorsqu'il arrive en 1989 sur la série, marche clairement dans les pas de son aîné.
Le scénariste Écossais garde en effet tout ce qui faisait la particularité des histoires de Drake, mais emmène les personnages, les lecteurs et les lectrices, vers de nouveaux horizons, encore plus étranges et inquiétants.
Une atmosphère qu'exacerbera Simon Bisley lorsqu'il s'occupera des couvertures.
Dans la préface qu'il écrit pour le premiers tome des recueils (tpb) américains consacrés au run de Morrison, Tom Peyer insiste pour dire que les membres de la Doom Patrol ne sont pas des super-héros.
Pour ma part je pense tout le contraire, et c'est ce qui distingue justement la série.
Morrison, comme Arnold Drake, utilise justement tous les codes du genre (avec plus ou moins de nuance selon les arcs narratifs) mais dans un contexte extrêmement différent de ce qui est globalement produit pour ce type de personnage.
C'est ce qui en fait justement une série à part lorsque Grant Morrison ou Drake sont aux commandes.
Jeremy Carver et son équipe de scénaristes négligent un peu trop, à mon goût cet aspect. Et quand ils s'y intéressent, les deux premiers épisodes par exemple, la tonalité de l'histoire est tellement ironique qu'elle en perd tout son souffle épique.
Autre aporie, Carver accentue bien trop l'aspect « différent » de ses freaks, ce qui n'échappera à aucun téléspectateur, même sans insister. Et de fait, il enchaîne les round d'étude psychologique. Ça donne l'impression de personnages toujours en train de pleurnicher.
Et lorsqu'il a un personnage vraiment hors-normes (même dans le contexte de la DP), et à mon avis très original, il ne sait pas quoi en faire.
Le dernier épisode que j'aie vu pour l'instant, intitulé Danny Patrol est exemplaire en ce sens.
Danny the Street est une rue douée de sensibilité et d'intelligence, et capable de se téléporter. Ce personnage extraordinaire est au centre du huitième épisode de la première saison, du moins avant d'être évincé par Maura Lee Karup une drag queen, dont le passé va brutalement refaire surface.
Danny the Street est une rue douée de sensibilité et d'intelligence, et capable de se téléporter. Ce personnage extraordinaire est au centre du huitième épisode de la première saison, du moins avant d'être évincé par Maura Lee Karup une drag queen, dont le passé va brutalement refaire surface.
Cet épisode, tout entier (ou presque) dédié à la théorie du genre, fait de Danny the Street un personnage très secondaire, alors qu'il était déjà, par essence, chez Morrison, une incursion dans le monde des drag queens. Mais Carver aime, semble-t-il, surenchérir sur les évidence.
Ensuite plutôt que de faire dans la nuance, l'épisode en question assène de façon très didactique le droit à la différence. Et à qui fait-on la leçon ? À Cyborg !?
Ensuite plutôt que de faire dans la nuance, l'épisode en question assène de façon très didactique le droit à la différence. Et à qui fait-on la leçon ? À Cyborg !?
Pour finir par un pugilat, là où il y avait moyen de confronter la DP à une section d'assaut.
Danny the Street n'étant finalement qu'un décor.
Et pendant ce temps-là, Crazy Jane nous joue un soap opera bien mièvre.
Oui vous avez bien lu, le personnage récurent le plus original de la série, 64 personnalités quand même, nous oblige à regarder un feuilleton à l'eau de rose, dans un dédoublement du discours qui semble être aujourd'hui le langage par défaut de la « pop culture ».
À mi-parcours de la première saison, l'impression que Jeremy Carver et ses collaborateurs ne sont visiblement pas du tout à l'aise avec les personnages les plus incongrus de la distribution, autrement dit presque tous, est patente.
Le résultat se traduit par des épisodes ou très terre à terre : chacun chougne dans son coin (ou lors de réunion façon AA™) ; ou bien ironiques : « OK! faisons une peu de pyrotechnie super-héroïque mais ne croyez pas qu'on soit dupe, hein ! ».
Reste malgré tout une ambiance très attractive, et une distribution, dont le doublage français excellent, dont j'imagine sans peine ce qu'elle aurait donné avec, aux commandes, un vrai amoureux du genre.
Celui des super-héros, bien sûr ! [-_ô]
(À suivre .....)
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* Au sujet des reconnaissances en paternité créative Marv Wolfman et George Pérez, les créateurs de Cyborg sont dans le même cas que Grant Morrison et Richard Case.
- L'illustration qui ouvre ce long commentaire est l’œuvre du designer Doaly [Pour en savoir +].
Viennent ensuite un extrait du générique de la série télévisé, un Mr. Nobody par Richard Case, et une réinterprétation, un peu plus bas, de Danny the Street, toujours par Case [Pour en savoir +].
Entre ces deux illustrations s'est intercalés une couverture de Simon Bisley, un extrait d'une autre par Bruno Premiani, un poster officiel de la série TV, encore du Bisley pour une couverture originale du run de Morrison. Puis une image de la première saison (E01).
Après Danny the Street version Richard Case, une image de la version télévisée (E08), comme on le voit ça commencer pourtant bien.
Puis pour terminer, Flex Mentallo par l'excellent Frank Quitely.
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