À la fin des années 1970, Joe R. Lansdale s'intéresse aux cowboys et aux soldats Noirs du Vieil Ouest, et s'aperçoit qu'ils n'ont pas peu contribué à le façonner. Contrairement à ce que peuvent alors dire les manuels officiels, les romans ou le cinéma.
La raison en est fort simple, écœurante, mais simple : le racisme.
L'information, pourtant connue, qu'un quart au moins des cowboys étaient Noirs, n'était ainsi pas utilisée. Un pourcentage qui n'était, par exemple, jamais visible dans les pourtant très nombreux westerns que le 7ème Art étasunien diffusera à travers le monde.
Dans un texte où Joe R. Lansdale explique comment il en est venu à écrire son roman Paradise Sky, il cite l'affiche américaine du film de John Ford Sergeant Rutledge (alias Le sergent noir), où la vedette mise en avant est Jeffrey Hunter. Et non Woody Strode, qui incarne pourtant le rôle-titre.
Si le natif de Gladewater, et toujours texan, reconnait avoir lu quelques romans sur l'Ouest avec des héros Noirs, il regrette de n'y avoir jamais rencontré le souffle des épopées qui caractérise pourtant cette période de l'Histoire américaine, telle qu'elle a largement imprégné l’imaginaire collectif.
L'idée d'y remédier a donc fait son chemin.
De ce qu'il a lu sur le sujet, une autobiographie l'a particulièrement impressionné.
Dans ce récit autobiographique paru en 1907, l'ancien esclave déclare avoir, entre autres faits, été connu sous le surnom de Deawood Dick. Un personnage qui a notamment fait les beaux jours, entre 1877 et 1897, des « Dime Novels ». Ces romans bon marché qui ont façonné plus que tout autre la Légende de l'Ouest, entre la fin du XIXème siècle et le début du suivant. Mais où le personnage éponyme n'était pas un Africain-Américain.
Très jeune, Joe R. Lansdale a été influencé pas le souffle épique de l’Iliade et de l’Odyssée, et l'idée de transposer ce sens de l'aventure bigger than life à l'expérience des Africains-Américains dans un Ouest légendaire ne l'a plus quitté.
Il a dévoré tout ce qu'il trouvait sur ceux qui ont fait de la Frontière la matrice qu'y a vu Frederick Jackson Turner, comme Buffalo Bill, Jesse James, Davy Crockett, etc. Toute une théorie de personnages historiques qui ont fait les beaux jours desdits Dime novels, puis des pulp magazines.
Mais l'envie de Lansdale se heurtera aux réalités du marché d'alors. Ou du moins tel qu'il était vu par son éditeur : un roman western sur un héros Noir n'avait aucune chance de trouver son public.
Le temps a passé, et finalement le prolifique romancier a écrit deux courts récits à propos de l'homme qui l'avait tant impressionné au travers du récit de sa vie : Nat Love.
Vu leur bonne réception, Lansdale a donc proposé à son nouvel éditeur, Josh Kendall, le projet qui lui tenait tant à cœur. Lequel n'a marqué aucune des hésitations de ses prédécesseurs. Et Paradise Sky a donc vu le jour au sein de la maison d'édition Mulholland Books™.
Commencé lors d'un voyage en Italie, ce qui allait devenir le roman que l'on connaît s'est enrichi en cours de route (sic) d'une novella indépendante, intitulée Black Hat Jack, écrite lors d'une visite qu'a rendu J.R. Lansdale à G.R.R. Martin dans la bonne ville de Santa Fe (N.Mex).
Trente ans après y avoir pensé, la contribution de Joe R. Lansdale à l'Histoire de l'Ouest, vu au travers un héros Noir, s'est finalement concrétisée.
À son roman s'est ajouté la novella sus-citée et deux nouvelles. Dont l'une d'elles, « Hide and Horns 2009 » est l'objet de ma présente attention.
Il a aussi bien écrit les aventures de Tarzan que celles de Batman ou de Conan. Aussi à l'aise avec ses propres créations qu'avec celles des autres donc ; que ce soit dans le domaine de la littérature, du dessin animé ou de la bande dessinée. Sans parler des adaptations cinématographiques ou télévisées des ses écrits (la série Hap & Leonard, Cold in July, Bubba Ho Tep, etc..).
« Hide and Horns » est donc un court récit de western, dont l'intrigue, relativement simple, est sublimée par le savoir-faire de l'auteur.
Sans le réduire à des « trucs », le style de Lansdale se retrouve peu ou prou partout.
Dialogues dont la justesse n'oublie jamais d'y adjoindre une pointe d'humour (de plus ou moins mauvais goût). Ses personnages font très souvent preuve d'un bon sens acquis au travers de l'expérience. Parfois précoce.
Le texan est en effet inégalable lorsqu'il met en scène de jeunes héros.
Il manipule également les métaphores les plus improbables, qui ne manquent jamais de faire leur effet.
Comme Nat Love dans « Hide and Horns » (disponible dans le recueil Bleeding Shadows), ils se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment. Ou l'inverse, en fonction du point de vue où l'on se place.
Et comme lui, ils agissent comme leur cœur leur commande de le faire.
Ainsi sans savoir pourquoi Cramp se retrouve dans la situation où Nat Love le trouve au tout début de l'histoire en question, celle-ci lui semble suffisamment injuste pour qu'il prenne son parti et se retrouve à abattre des hommes, tenter d'en enterrer un dans le cimetière de Hide and Horns, et à faire l'amour à plusieurs chinoises, dont une amputée d'une jambe, dans un chariot en route vers San Francisco.
Des péripéties qui valent aussi par ce qu'elles révèlent de la nature humaine, lectrices & lecteurs inclus.
« Hide and Horns » est une très efficace entrée dans le cycle de Deawood Dick. De celle qui vous encourage à le compléter sans tarder.
Ce que je ne manquerai pas de faire puisque je me suis déjà procuré la suite, disponible en version numérique, mais seulement en anglais du Texas pour l'instant.
Avant d'en terminer je signale une nouvelle qui m'a fait très plaisir, au mois de février paraitra en France l'adaptation des aventures de Deadwood Dick en bande dessinée, aux éditions Paquet™.
En effet, en 2018 les éditions italienne Bonelli™, également célèbre de ce côté-ci des Alpes grâce à leurs personnages qui ont irrigué pendant des années la BD française : Tex Willer, Zagor, Dylan Dog, etc., ce sont emparées des récit de Lansdale pour les adapter grâce au talent de l'excellent dessinateur Corrado Mastantuono et du scénariste Michele Masiero.
Dont j'ai pu apprécier récemment la reprise de Mister No, un autre personnage made in Bonelli™, car Bonelli™ continue de fournir sa dose d'évasion dans l'Hexagone, avec Matteo Cremona au dessin et Luca Saponti & Giovanna Niro à la colorisation.
Bref une très bonne nouvelle donc, et quelques planches pour vous faire votre propre idée :
(À suivre ....)
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