« On vit dans une époque où nos certitudes sont impardonnables. Il faudrait laisser plus de place au doute. » Kenan Görgün
« Le second disciple » a failli s'intituler Rituel, et si on avait lu la quatrième de couverture qui lui était alors consacrée, plusieurs différences seraient apparues.
Dans la mouture qui est finalement sortie, le texte donne, me semble-t-il, l'impression que l'on va lire un thriller, mélange de vengeance et d'opération « undercover » traité cependant via un angle plutôt original.
Mais le roman que j'ai lu est tout autre.
Original il l'est resté, il est même bien plus étonnant que ne le laissait croire la quatrième de couverture en question.
Et s'il s'agit bien d'une d'infiltration, cette mission qui se révélera bien plus suicidaire que prévue, incombera au lecteur.
Fort d'un vécu passé où les deux protagonistes principaux ont eux mêmes habité, c'est-à-dire dans des quartiers populaires, voire prolétaires, de grandes agglomérations de Belgique. Fils d'un imam turc, Kenan Görgün né en 1977 à Gand, a probablement côtoyé les grands frères de Xavier et de Brahim.
S'il écrit depuis une douzaine d'années, c'est en Turquie, en 2013, qu'il connait un hapax existentiel tel que l'a défini Vladimir Jankélévitch : i. e. une rupture, une déflagration qu'on ne voit pas venir et qui jamais ne se reproduira, et qui modifie celui qui le vit pour toujours.
Sur la place Taksim, à Istanbul, il décide que dorénavant il écrira sur ce qui occupe l'autre moitié de son héritage, la partie musulmane, celle qui fait peur à l'Occident, d'une manière qu'il n'a jamais lu jusqu'à maintenant.
On mesure l'ambition de cette prise de conscience.
Premier tome de ce qu'il annonce d'ores et déjà comme une trilogie, « Le second disciple » est la retranscription de la plongée dans la tête de deux jeunes hommes, Brahim organisateur d'un attentat meurtrier, et de Xavier, qui deviendra son ami et son disciple, ex-militaire, lui aussi incarcéré, pour avoir dans un bar, « mis en salade » la gorge d'un opportun éméché.
Une psycho-analyse éprouvante qui avance de concert avec la mise en liberté conditionnelle de Brahim, et la conception d'un attentat par Xavier devenu Abu Kassem, dont la terreur devrait faire oublier celle causée par le 11-Septembre.
Cette mise à nu de deux âmes est écrite dans un style qui ne laisse aucune place au doute quant à la qualité d'écrivain de Kenan Görgün. Et heureusement !
Même s'il peine finalement à mettre à distance l'univers mental toxique dans lequel il nous plonge, son style nous offre toutefois l'envie de continuer .
En effet « Le second disciple » est un livre très dur. D'abord avec les protagonistes, mais aussi avec le lecteur. Kenan Görgün prend ainsi soin de faire faire, notamment, à l'un de ses personnages, un examen de conscience. Comment en est-il arrivé là ?
Compte tenu de sa vie, et en regard du reste de sa famille.
Et la réponse fait froid dans le dos.
Personne ne sort indemne de cette plongée en apnée, l'auteur ajoute même à son roman une chute, que l'on voyait venir en filigrane certes, mais dont le choc n'en sera pas pour autant amoindri.
« Le second disciple » est un roman noir magnifique, très dur, qui vous met la tête en salade, et dont pourtant Kenan Görgün nous annonce que la suite est encore un ton au-dessus. Qu'elle devrait nous mettre K.O.
Pour ma part c'est déjà fait !
(À suivre ....)
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