Accéder au contenu principal

Face au jour


... "Maintenant, larguez les amarres !"
... "Allons de l'entrain.. en douceur...parfait ! Paré à l'appareillage !
... "Ville des vents nous voici !"
... "Hourra ! On monte"
... C'est parmi ces exclamations enjouées que le dirigeable à hydrogène le Désagrément, sa nacelle ornée d'une banderole patriotique, son équipage constitué de cinq jeunes hommes appartenant au célèbre club aéronautique des Casse-Cou, s'éleva brusquement ce matin-là et prit bientôt le vent du sud.
... Quand le vaisseau atteignit son altitude de croisière, et que les silhouettes restées au sol eurent diminué au point de devenir quasi microscopiques, le commandant Randolph St. Cosmo annonça : " Chacun à son poste de manœuvre", et les aérostiers tirés à quatre épingles dans leur uniforme d'été, le blazer rayé rouge et blanc, pantalon bleu ciel, s'exécutèrent fougueusement.
... Ils comptaient arriver le jour même à Chicago, où s'était ouverte il y a peu l'Exposition universelle dédiée à Colomb. Depuis qu'ils avaient reçu leurs ordres, les commérages parmi l'équipage excité et intrigué avaient porté presque exclusivement sur la légendaire "Ville blanche", sa grande roue, ses lacs scintillants, ses gigantesques temples du commerce et de l'industrie en albâtre, et les mille autres merveilles, de nature à la fois scientifique et artistique, qui les attendaient là-bas. [...]


... C'est ainsi que commence le roman de Thomas Pynchon intitulé Contre-jour, ici dans la traduction de Claro.

Les aérostiers connus sous le nom de Casse-cou (- ou la Confrérie des Casse-cou - traduction des Chums of Chance de la version originale) sont nés dans un creuset alimenté par de multiple sources dont une nous éclaire Claro, est une série de romans d'aventures scientifiques dont le héros est un certain Tom Swift.

Ces romans, écrits par une écurie d'auteurs sous le nom de plume de Victor Appleton mettent en scène Tom Swift, un personnage apparu dés les années 1910 et qui apparaîtra, tenez vous bien jusqu'en 2007 et ceci paraît-il, dans des aventures toujours originales. Coolamundo n'est-il pas !

Ainsi, si le personnage connait plusieurs incarnations au travers des différentes séries successives qui lui sont consacrées, il est généralement un adolescent, un génie scientifique dont l'invention du moment sert à résoudre l'intrigue du roman dans laquelle elle prend place.

Ceci étant dit, ce n'est pas la première fois que Thomas Pynchon en appelle à Tom Swift.

J'aime l'hésitation,
elle me met en lévitation

Tom Swift par Michael Golden

... Alors que c'est l'ombre du jeune scientifique intrépide qui apparaît dans Contre-jour, c'est une autre paire de manches dans la nouvelle de 1964 Intégration secrète (Traduction de Michel Doury) Thomas Pynchon associe ouvertement le personnage à son récit en le citant nommément :



Et puis pour comble de malheur, Grover avait lu Tom Swift and His Wizard Camera de Victor Appleton. Il tombait tout le temps sur les aventures de Tom Swift, apparemment par hasard, mais il avait depuis peu une théorie là-dessus, et il était persuadé qu'il existait un plan derrière tout cela, que les livres lui tombaient exprès entre les mains, avec la complicité de ses parents et peut-être aussi de l'école.
En outre, l'ouverture de Contre-jour nous dévoile que les Casse-cou font route vers la Villes des Vents avec pour objectif l'Exposition Universelle de Chicago (de 1893).

... Cette exposition universelle est un "espace/temps" très particulier dans le labyrinthe fascinant et incertain de l'imaginaire et de la réalité -ondoyant sur la ligne brumeuse qui sépare l'irréfutable de l'invention - attendu que l'on ne dénombre plus les visiteurs sur qui cette exposition a eu une influence déterminante, changeant à tout jamais leur vie et par ricochet les nôtres.

Si la Chicago World's Fair a servi de muse à la fin du XIXe siècle à tant de ses visiteurs - citons par exemple Winsor McCay (le créateur de Little Nemo) & Edgar Rice Burroughs (celui de Tarzan) ou bien encore L.Frank Baum (Le magicien d'Oz) sans oublier Walt Disney - elle maintient aujourd'hui encore son empire sur les imaginations.


Car si Thomas Pynchon intègre la World's Columbian Exposition à son récit il n'est pas le seul. Un autre auteur contemporain de renom s'est également laissé subjuguer par elle et a utilisé la Ville Blanche comme pierre angulaire d'une de ses créations.

"single up all line"

... Alan Moore puisque c'est de lui dont il s'agit, a notamment disposé de nombre de bâtiments de la cours d'honneur de cette exposition appelée la Ville Blanche pour construire Millennium City la cité rétro-futuriste où réside le célèbre super-aventurier de la science Tom Strong.

Soit me direz-vous, mais encore.

Eh bien, dans le numéro 10 de sa série, le "science hero" Tom Strong vit une aventure intitulée Tom Strong and his Phantom Autogyro, et il est clair pour le lecteur, fruit de la méta-génération et pour peu qu'il soit atteint d'apophénie, que ce titre renvoie sans nul doute à la structure des titres des aventures du jeune Tom Swift :
Tom Swift and His Wizard Camera, Tom Swift and His Electric Locomotive Tom Swift and His Magnetic Silencer &cætera ... (Sans parler des trois histoires de ce numéro que je vous laisse découvrir si d'aventure cela vous tente).

On remarquera également une gémellité dans le lettrage des deux titres ainsi que dans la mise en page de la couverture du livre et de l'illustré de bande dessinée.







Greta Gabriel confiera plus tard à une ami que Tom Strong lui a fait l'amour huit fois au cours de la nuit qui précède son étrange voyage, en octobre 1925. Elle dira que son amour était urgent et passionné. Qu'ils ont exploré de nouvelles choses, ce qui l'aurait choquée s'il ne s'était pas émerveillé comme un collégien à chaque découverte.

Au petit matin, il sont l'un contre l'autre, dans ce lit étroit. Dehors, les téléphériques glissent comme des gouttes de buée le long de toiles de tungstène, éclairés par une lune épuisée. Des volutes de fumée imprègnent la pièce du parfum de la cigarette au goloka de Tom Strong.
"C'est ta dernière nuit parmi les vivants, Tom", dit Greta Gabriel.

"Je sais" dit Tom Strong. [..]

Tom Strong et Son Autogire Fantôme
Traduction de Jérémy Manesse
"Swift by name and swift by nature"



... Tel un aérostier en quête de dénouement je me sépare de mon dernier lest, en la circonstance un précipité de Michael Moorcock, qui écrit : "L'ouverture de Contre-jour me rappela la série des Tom Strong, ces romans graphiques d'Alan Moore inspirés des romans populaires de la fin du XIXe siècle mettant en scène des super-héros et explorant l'optimiste scientifique de la période édouardienne, symbolisé par le véritable Nikola Tesla."( L'âge de la science populaire - Traduction Barbara Schmidt - Face à Pynchon Ed le cherche midi/inculte LOT 49).
Ainsi donc, je ne suis pas le seul à remarquer que Thomas Pynchon et Alan Moore sillonnent les mêmes pistes aux étoiles du grand théâtre magique de l'esprit.

Et ça ne date pas d'hier.

"Same thing, only different"

V (for Vendetta de Moore) lisant V (de Pynchon)


Bonjoir chez vous !



Face au jour est le titre d'abord proposé par Claro pour la traduction d'Against the Day, mais c'est finalement Contre-jour qui a été retenu par Pynchon lui-même. Si je me souviens bien.

Commentaires

  1. Le saviez-vous ? Le TASER tire son nom des aventures de Tom Swift. Effectivement, il s'agit de l'acronyme de "Tom A. Swift's Electric Rifle".

    RépondreSupprimer
  2. Des romans de Tom Swift ont été publiés en France. J'ai oublié le nom de l'éditeur, mais c'était une collection de petits formats cartonnés sur le modèle de la Bibliothèque verte, avec des dos jaunes au lieu de vert. J'ai lu Tom Swift et son satellite fantôme, dont l'ambiance était très années cinquante, et qui ne m'avait guère impressionné.

    Pour l'anecdote, selon un des épisodes télévisés du Jeune Indiana Jones, Indy jeune homme a flirtouillé avec la fille de l'écrivain de la série.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

The Words

... The Words ( Les Mots ) est un film qui avait tout pour me séduire : le roman en tant qu'élément principal, des acteurs que j'aime bien ; D ennis Q uaid, J eremy I rons, J . K . S immons et B radley C ooper. Éléments supplémentaire l'histoire se révèle être une histoire dans l'hisitoire. Ou plus exactement un roman à propos de l'écriture d'un roman, écrit par un autre ; entre fiction et réalité.  Je m'explique. Clay Hammon fait une lecture public de son dernier livre The Words dans lequel un jeune auteur, Rory Jansen , en mal de reconnaissance tente vaille que vaille de placer son roman chez différents éditeurs. Cet homme vit avec une très belle jeune femme et il est entouré d'une famille aimante. Finalement il va se construire une vie somme toute agréable mais loin de ce qu'il envisageait. Au cours de sa lune de miel, à Paris , son épouse va lui offrir une vieille serviette en cuir découverte chez un antiquaire, pour dit-elle qu'

Juste cause [Sean Connery / Laurence Fishburne / Ed Harris / Kate Capshaw]

« Juste Cause 1995 » est un film qui cache admirablement son jeu.             Paul Armstrong , professeur à l'université de Harvard (MA), est abordé par une vieille dame qui lui remet une lettre. Elle vient de la part de son petit-fils, Bobby Earl , accusé du meurtre d'une enfant de 11 ans, et qui attend dans le « couloir de la mort » en Floride . Ce dernier sollicite l'aide du professeur, un farouche opposant à la peine capitale.   Dès le départ, « Juste Cause 1995 » joue sur les contradictions. Ainsi, Tanny Brown , « le pire flic anti-noir des Everglades », dixit la grand-mère de Bobby Earl , à l'origine de l'arrestation, est lui-même un africain-américain. Ceci étant, tout le film jouera à remettre en cause certains a priori , tout en déconstruisant ce que semblait proposer l'incipit du film d' A rne G limcher. La déconstruction en question est ici à entendre en tant que la mise en scène des contradictions de situations dont l'évidence paraît pour

Nebula-9 : The Final Frontier

... Nebula-9 est une série télévisée qui a connu une brève carrière télévisuelle. Annulée il y a dix ans après 12 épisodes loin de faire l'unanimité : un mélodrame bidon et un jeu d'acteurs sans vie entendait-on très souvent alors. Un destin un peu comparable à Firefly la série de J oss W hedon, sauf que cette dernière bénéficiait si mes souvenirs sont bons, de jugements plus louangeurs. Il n'en demeure pas moins que ces deux séries de science-fiction (parmi d'autres telle Farscape ) naviguaient dans le sillage ouvert par Star Trek dés les années 60 celui du space opera . Le space opera est un terme alors légèrement connoté en mauvaise part lorsqu'il est proposé, en 1941 par l'écrivain de science-fiction W ilson T ucker, pour une catégorie de récits de S-F nés sous les couvertures bariolées des pulps des années 30. Les pulps dont l'une des particularités était la périodicité ce qui allait entraîner "une capacité de tradition" ( M ich